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États-Unis : Une dette hors normes

Créé le

18.03.2011

-

Mis à jour le

23.08.2011

Une restructuration de la dette américaine est-elle envisageable ? Pour Marc Fiorentino, ​elle est même probable. Après avoir tracé la genèse de la situation actuelle, il décrit le déroulement de ce scénario catastrophe.

Je suis toujours surpris de voir à quel point l’Europe focalise les inquiétudes des investisseurs en matière de dettes souveraines ​ne cesse de surprendre, alors que le monde financier semble accepter la fatalité de la dette explosive des États-Unis. ​Et pourtant certains États américains n’ont rien à envier à la Grèce ou à l’Irlande et certaines villes américaines ressemblent plus à Pompei qu’à un symbole de l’American Dream.

Faisons tout d’abord un état des lieux. La dette américaine se rapproche des 15 000 milliards de dollars. Le déficit américain devrait battre un nouveau record sur l’année fiscale 2011, à 1 500 milliards de dollars, soit près de 10 % du PIB. Ces calculs ne tiennent compte ni des dettes ​ni des déficits des administrations fédérales et municipales…

Le plafond de la dette

Nous sommes confrontés aujourd’hui à une situation assez étonnante. Le plafond légal de la dette américaine a été atteint. L’Administration américaine doit donc négocier régulièrement avec le Congrès, en partie dominé par les Républicains, des augmentations d’endettement pour pouvoir tout simplement fonctionner au quotidien, payer les fonctionnaires et les fournisseurs. Et les Républicains négocient cet accord au prix fort : ils veulent un vrai engagement des États-Unis dans la voie de la rigueur budgétaire. Or, depuis la crise de 2008, l’Administration américaine a fait le choix de la relance par le déficit budgétaire. Pour sortir de la récession post-Lehman, un plan de relance massif a été lancé, dont le coût devait être très largement compensé par l’impact économique positif. Pour l’instant, il n’en est rien. On sait que les États-Unis ont dépensé plus de 1 000 ​milliards de dollars mais on ne sait toujours pas ce que ce plan rapportera. L’économie a rebondi, certes, ​mais à un rythme largement inférieur à celui des précédentes sorties de crise. Et le chômage ne recule pas ​ou peu. Même le marché immobilier reste scotché à un niveau très bas. Or, sans rebond de l’immobilier et sans baisse significative du chômage, pas de rebond spectaculaire de la croissance ; sans rebond spectaculaire de la croissance, pas de hausses des recettes fiscales ; sans hausse des recettes fiscales, ​pas de réduction du déficit budgétaire et donc pas de baisse de l’endettement. CQFD.

Le « modèle » américain

Le choix américain est officiellement celui de la relance aux dépens, à court terme, du déficit budgétaire. Cette stratégie passe également par la ​Réserve fédérale, ​avec une politique agressive d’injection de liquidités et de maintien de taux d’intérêt à zéro. Enfin, le report des réductions d’impôts Bush et la diminution des charges sociales pour les employés équivalent à un nouveau plan de relance. Les États-Unis choisissent donc la fuite en avant. Ils font une croix sur la lutte contre l’inflation et sur le contrôle du déficit budgétaire. Le pari est simple : le déficit budgétaire doit se résoudre par la croissance des recettes provenant de la reprise économique plutôt que par la réduction drastique des dépenses. Il est intéressant de voir que ​l’Allemagne défend le modèle opposé, qu’elle cherche d’ailleurs à imposer à tous les pays de l’Union européenne avec son « pacte de compétitivité ». Pour l’Allemagne, l’austérité est la voie de la prospérité. On ne peut avoir de relance efficace tant qu’on n’a pas fait le ménage parmi les dépenses. L’Allemagne n’est pas opposée à une relance ; elle le prouve actuellement en mettant la pression sur ses grandes entreprises pour qu’elles accordent enfin des hausses de salaire. Mais la priorité est donnée d’abord à la réduction des dépenses. Inutile d’injecter des milliards d’euros qui ne favoriseraient pas obligatoirement la croissance mais pourraient alimenter d’autres mécanismes : par exemple, ​la spéculation qu’encourage l’argent distribué par la FED. Un ​autre risque est de ​favoriser les importations, et donc les déséquilibres, ​comme le font les primes à la consommation américaines.

L’Allemagne est accusée de tuer toute reprise de croissance dans l’œuf. Les États-Unis sont accusés de mener une politique de destruction massive des grands équilibres économiques à des fins purement égoïstes.

L’Allemagne accuse les États-Unis de réitérer les erreurs faites dans les années 2000, des erreurs qui ont mené à la crise des subprimes et à l’explosion de 2008. Les États-Unis accusent l’Allemagne de ne pas avoir tiré les leçons de la crise de 1929 et de mener les pays développés vers la grande déflation. Chacun a choisi son camp.

Pour l’instant, l'avantage est à l'Allemagne. Celle-ci a affiché une croissance insolente en 2010 et on parle déjà d’un déficit budgétaire 2012 en dessous des 3 % du PIB, respectant des critères depuis longtemps passés aux oubliettes, les critères de Maastricht… Pour l’instant, le modèle américain, lui, ne fonctionne pas.

La bombe de la dette américaine

La prochaine bataille aura lieu sur la dette américaine. Tous les protagonistes sont en place. La Chine a cessé de participer aux adjudications américaines. Depuis le début de l’année 2011, la Chine a même massivement vendu une partie de son stock d’obligations américaines. Les États-Unis ont tout de suite créé une commission nationale pour étudier les conséquences du désengagement potentiel de la Chine et Hillary Clinton a déclaré que la dette n’était plus un sujet économique mais un sujet hautement stratégique.

La Banque centrale américaine a donné la possibilité à l’État de se refinancer et a permis d’éviter un krach obligataire en 2010. Le « QE2 » (quantitative easing 2) a absorbé tout ou partie des besoins de financements. Mais la FED ne peut plus acheter elle-même les obligations émises par le Trésor américain. Elle doit au contraire organiser son exit strategy.

Autre élément d’amortissement d’un choc qui aurait déjà dû se produire : la hausse de l’épargne aux États-Unis. Les ménages américains sont tétanisés, ils ne consomment plus et ils épargnent ; cette nouvelle épargne, estimée à plus de 700 milliards de dollars, s’est investie directement dans les obligations du Trésor.

Quel est le scénario qui pourra provoquer la déflagration ? La croissance américaine va accélérer dans les mois qui viennent, l’emploi va repartir brutalement quelques mois, entraînant un rebond de la consommation. Les taux longs vont donc remonter et le coût de la dette américaine se renchérir fortement. Il suffira d’une adjudication hebdomadaire qui se passe mal et ​toutes les armées spéculatives se rueront sur le champ de bataille en achetant les CDS sur la dette US, en vendant massivement à découvert les obligations américaines et en provoquant l’effondrement du dollar. Les agences de notation rajouteront de l’huile sur le feu en supprimant enfin, avec deux ans de retard, le AAA américain et le cercle vicieux sera enclenché.

Quelle solution pour les États-Unis ?

Pour Bill Gross, le patron de Pimco, ​le plus gros gérant obligataire américain, la dette américaine est un « schéma de Ponzi » à la Madoff dans lequel l’argent qu’on emprunte à de nouveaux pigeons sert à rembourser les créanciers précédents, ​et ainsi de suite. Le gérant vedette ne prend pas de gants et il accuse même Ben Bernanke d’alimenter cette « chaîne » avec son injection massive de liquidités. Du côté de la Chine, c’est la même analyse : l’agence de notation chinoise Dagong ​pense que la solvabilité des État s-Unis est au « bord du gouffre ».

En réalité, tout le monde le sait, mais il règne une totale omerta sur le sujet. Les États-Unis ne pourront jamais rembourser leur dette ; ils ne méritent donc pas de garder leur triple A. Ils ne veulent probablement d’ailleurs pas la rembourser. Le pays du Chapter 11, dans lequel un General Motors peut faire faillite un jour en ruinant ses créanciers et ses actionnaires et s’introduire en Bourse le lendemain, ​a toujours eu l’intime conviction qu’il vaut mieux sacrifier ses créanciers que sa croissance ou sa survie économique. Les État s-Unis n’hésiteront donc pas à proposer, si la croissance économique ne redémarre pas rapidement et fortement, un plan de restructuration de leur dette. Le monde n’aura pas d’autre choix que de l’accepter. Et tout pourra repartir comme avant. Pour le meilleur, mais surtout pour le pire…

 

Achevé de rédiger le 1er mars.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº735