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Loi française de séparation

« C’est en étant pionnier qu’un pays peut donner le “la” »

Créé le

27.05.2013

-

Mis à jour le

06.06.2013

La loi française de séparation et de régulation des activités bancaires influence le débat actuel au niveau européen. Ce texte sera précisé, probablement à la rentrée de septembre 2013, grâce à un arrêté ministériel.

Quel est l'objectif de la loi française de séparation et de régulation des activités bancaires ?

Cette loi vise plusieurs objectifs : protéger l'épargnant et le déposant, favoriser le financement de l'économie, empêcher les banques de prendre des risques excessifs, en particulier avec les dépôts de leurs clients, et éviter les situations de crise nécessitant le recours à l'argent du contribuable.

Le titre 1 de la loi, qui sépare les activités bancaires pour compte propre dans une filiale ségréguée est un point essentiel mais il n'est pas le seul. La loi a une cohérence globale, grâce à différentes mesures qui se complètent : elle met en place un régime de résolution [1] des crises bancaires (qui constitue une première étape avant l'entrée en vigueur d'un régime européen), les pouvoirs des autorités de supervision sont accrus et élargis (notamment avec la transformation de l'ACP en ACPR [2] ), la supervision macroprudentielle est significativement renforcée (par la mise en œuvre des instruments prévus par Bâle III), la transparence des activités bancaires est renforcée [3] et plusieurs mesures en faveur des consommateurs visant notamment certains frais prélevés par les banques sont introduites.

Des précisions vont être apportées à la loi par voie réglementaire. Quand seront-elles publiées et porteront-elles notamment sur la tenue de marché ?

Dans son volet séparation, la loi va commencer à entrer en vigueur [4] le 1er juillet 2014. Les précisions seront donc apportées prochainement : à la fin de cet été, probablement à la rentrée de septembre 2013. Elles seront adoptées après consultation avec les parties prenantes et prendront la forme d'un arrêté ministériel qui  donnera des détails et de nouveaux indicateurs, notamment sur la tenue de marché. La liste d'indicateurs donnée par la loi (présence régulière, activité minimale, exigences en termes d'écarts de cotation, limites de risque, NDLR) sera précisée, chacun des critères sera fixé en fonction de chaque type d'actifs. Selon qu'un marché est liquide ou pas, la notion de présence régulière s'entend par exemple de façon différente. Des indicateurs quantifiables pourront éventuellement être donnés – les établissements y voient des outils pratiques –, mais ce point n'est pas encore tranché.

Quelle sera la part de responsabilité des banques ?

La loi confie la responsabilité aux banques de définir elles-mêmes la cartographie de leurs activités et de décider de ce qui demeure ou non dans la maison mère. Puis une discussion s'engagera entre les banques et l'ACP, avant la mise en œuvre de la séparation. L'ACP vérifiera que le market making ne dissimule pas des activités spéculatives de pur compte propre censées être pratiquées au sein de la filiale.

La loi maintient la tenue de marché dans l'entité principale, car il s'agit en soi d'une activité favorable au financement de l'économie, mais ce choix structurant fait par le législateur s'accompagne, en contrepartie, de contraintes fortes : une définition rigoureuse de la tenue de marché et un contrôle sévère.

La loi semble pour l'instant avoir un faible impact sur la structure des établissements (seuls quelques pour-cent du PNB de leurs activités de BFI seraient filialisables) ; l'effet de ce texte sera-t-il surtout préventif ?

Une fois les définitions clarifiées par voie réglementaire, nous serons en mesure d'estimer plus précisément l'impact de cette loi sur la structure des activités des banques. Les chiffres – assez faibles – qui ont été avancés jusqu'à présent par les établissements pourraient être révisés.

Par ailleurs, un facteur important doit être pris en compte : les activités des banques d'investissement, et tout particulièrement les activités pour compte propre, se sont fortement réduites avec la crise. La loi vise à empêcher qu'elles ne se développent à nouveau de manière incontrôlée, comme elles l'avaient fait avant la crise. En fixant une norme dans la durée, la loi aura un impact, pas seulement sur la situation actuelle, mais aussi et surtout sur une situation que nous ne voulons pas revoir. Si les activités en cause se sont établies à un niveau qui est devenu acceptable, la loi ne doit pas mordre à tout prix, mais empêcher les banques de retourner à leurs pratiques antérieures.

La loi donne au Ministre la possibilité de fixer un seuil au-delà duquel la tenue de marché ne pourra plus bénéficier de l'exemption de séparation. Comment ce seuil fonctionnera-t-il ? En cas de dépassement, l'ensemble de la tenue de marché sera transféré dans la filiale ? Ou seule la partie excédant le seuil sera visée ?

Dans un premier temps, le règlement va apporter des définitions et les banques vont élaborer leurs cartographies ; ainsi, les niveaux des tenues de marché des différents établissements seront connus et sous surveillance de l'ACP. En cas de difficulté, le Ministre pourra, s'il le juge nécessaire, et sur avis de l'ACP, fixer un seuil, soit par établissement, soit général. C'est alors seulement que le mode d'emploi exact de cet outil sera défini. Ce que la loi prévoit cependant, c'est que seule la partie qui dépasserait le seuil serait concernée.

Je rappelle toutefois que, comme vous l'avez dit, il s'agit d'un outil donné au Ministre pour limiter la taille des activités de marché dans la maison mère, s'il l'estime nécessaire. C'est un garde-fou, qui peut jouer son rôle si les autres outils – notamment la cartographie et la surveillance par l'ACPR – s'avèrent insuffisants. Voilà pourquoi le législateur a donné à ce seuil un caractère facultatif, à la main du Ministre, et non pas systématique.

Comment doit se comprendre la notion de client dans la loi ? Ce client peut-il être un fonds d'investissement, éventuellement un hedge fund, ou forcément une entreprise non financière ?

La notion de « fourniture de service d'investissement à la clientèle » a une définition large. Il ne s'agit pas de définir une ou plusieurs catégories de clients, mais de distinguer les activités dans lesquelles la banque intervient en réponse à un besoin ou dans l'intérêt de ses clients de celles dans lesquelles la banque intervient pour son seul compte. Dès lors que la banque apporte un service à un client, l'opération est possible dans la maison mère. On n'interdit pas, en particulier, aux banques françaises de fournir des services à des fonds. Mais la loi encadre par ailleurs les expositions que les banques peuvent avoir vis-à-vis des fonds qui, du fait de leur recours à un levier important, peuvent être considérées comme des contreparties particulièrement risquées.

Certains banquiers estiment que la filiale ségréguée ne sera pas viable et disent qu'ils abandonneront leurs activités de pur compte propre ; ne craignez-vous pas de voir ces activités réapparaître dans le shadow banking system ?

Cette question constitue un enjeu important. En effet, si les banques cessent de pratiquer certains métiers, elles pourraient être remplacées par des acteurs moins régulés. Toutefois, pour éviter ce phénomène, la loi évite de multiplier les interdictions et cible quelques domaines précis (comme la spéculation sur les matières premières agricoles ou le trading à haute fréquence). De plus, la manière de réguler plus effectivement le shadow banking fait l'objet de réflexions à l'échelle internationale, notamment au sein du FSB.

Comment situez-vous la loi française par rapport aux préconisations d'Erkki Liikanen ?

Nous nous situons dans la logique du rapport Liikanen. Certes, sur le point précis de la tenue de marché, notre curseur est différent, mais globalement, la philosophie est la même puisqu'il s'agit de défendre un modèle de banque universelle tourné vers ses clients et de filialiser les activités jugées trop risquées. À l’inverse, l'Angleterre choisit de filialiser une partie de l'activité de la banque de dépôts.

Comparée à la règle Volcker, quelle méthode la France adopte-t-elle pour distinguer la tenue de marché du pur compte propre ?

A priori, l'approche française sera plus qualitative. Il s'agit davantage d'énoncer des principes (comme la notion de service à la clientèle donc d'utilité pour l'économie) qui seront précisés et devront être respectés, plutôt que d'énoncer des règles dont l'application serait très automatique.  Nous donnerons des indicateurs, mais nous ne rédigerons pas un texte aussi touffu que celui qui doit permettre de mettre en œuvre la règle Volcker. Notre approche plus qualitative va contraindre les banques à respecter l'esprit de la loi. Elles ne pourront pas le contourner en se réfugiant derrière le respect formel de règles très précises, mais qui pourraient être vidées de leur sens.

Cette loi ne va-t-elle pas réduire la compétitivité des banques françaises ?

La France n'est pas la seule à adopter une loi sur la structure des activités bancaires. Les États-Unis, l'Allemagne, l'Angleterre font de même. Et l'Europe va prendre également des mesures.

Certes, mais les banques françaises ne seront-elles pas parmi les premières à mettre en œuvre une loi de séparation ?

Ce sera certainement le cas en effet, car l'Angleterre et les États-Unis ne semblent pas prêts pour la mise en œuvre avant une longue période ;  mais c'est en étant pionnier qu'un pays peut donner le « la ». Ainsi, l'Allemagne adopte un modèle et un calendrier de mise en œuvre très proches des nôtres et nos deux pays vont peser sur la direction qui sera prise au niveau européen.

1 Les régimes de résolution sont notamment destinés à minimiser le recours à l’argent public quand il s’agit de secourir une banque. 2 L’Autorité de contrôle prudentiel va devenir Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. 3 Les banques devront dévoiler l’existence des filiales qu’elles détiennent à l’étranger, principe qui a été repris par la CRR dans le cadre de la CRD 4. 4 Au 1er juillet 2014, les banques devront proposer une cartographie de leurs activités. Un an après, la séparation devra être effective.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº761
Notes :
1 Les régimes de résolution sont notamment destinés à minimiser le recours à l’argent public quand il s’agit de secourir une banque.
2 L’Autorité de contrôle prudentiel va devenir Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.
3 Les banques devront dévoiler l’existence des filiales qu’elles détiennent à l’étranger, principe qui a été repris par la CRR dans le cadre de la CRD 4.
4 Au 1er juillet 2014, les banques devront proposer une cartographie de leurs activités. Un an après, la séparation devra être effective.