Devenu réalité le 31 janvier 2020, le Brexit laisse désormais place à une nouvelle phase, celle de la négociation de la relation de long terme entre le Royaume-Uni et l’Union européenne (UE) et ce, comme l’a résumé Michel Barnier « dans un contexte de divergence réglementaire »
En la matière, il va de soi que le cadre dans lequel s’inscrivent les liens contractuels et financiers entre les institutions financières du Royaume-Uni avec celles de l’UE ne pourra être brutalement rompu. Plusieurs chambres de compensation (Central Counterparty – CCP) présentes au Royaume-Uni, disposent de fait d’une position prépondérante sur la compensation de certains produits financiers, en raison des économies d’échelle dont elles bénéficient et des opportunités de netting
Cependant, quelles qu’aient été les décisions de court terme pour limiter les effets du Brexit, à long terme c’est bien la stabilité financière dans l’Union européenne qu’il nous faut préserver – laquelle, rappelons-le, est très largement organisée par le cadre EMIR, dont la version révisée est entrée en vigueur au 1er janvier 2020. Or, même si d’après l’accord de transition actuellement en vigueur, les CCP britanniques sont tenues de respecter EMIR jusqu’au 31 décembre 2020, il existe un réel risque que les autorités britanniques finissent avec le temps par s’en affranchir et donc, par faire diverger leur droit national du droit communautaire.
Divergence réglementaire
Au demeurant, le Premier ministre Johnson rappelle régulièrement que le Royaume-Uni « prendra toutes les libertés que le Brexit peut lui donner »
Qui plus est, confier à des autorités de pays tiers la supervision d’entités présentant pour l’UE un enjeu fort en termes de stabilité financière, ne va pas de soi. En effet, là aussi, des différences peuvent se faire jour, les intérêts respectifs poursuivis par les autorités respectives du Royaume-Uni et de l’UE pouvant ne pas être alignés. Par exemple, la Bank of England
Identifier les risques pour l’UE
De ce point de vue, l’examen à venir, par la Commission européenne et l’Autorité Européenne des Marchés Financiers (AEMF
La première option possible consisterait à classer dans une catégorie dite de « Tier 2 » les CCP considérées comme systémiques, pour les soumettre à la supervision directe de l’AEMF. Une telle option, toutefois, n’est pas exempte d’incertitude. En premier lieu, l’issue des négociations en cours relatives aux textes de niveau 2
L'intérêt de la relocalisation
Au regard des enjeux, ceci montre l’intérêt d’une « troisième » voie, celle de la relocalisation réglementaire en UE de la compensation de ces produits, la plus à même d’atteindre les objectifs souhaités en matière de stabilité financière. À ce titre, deux outils juridiques sont disponibles sous EMIR. Le premier consiste à refuser d’autoriser une CCP « d’une importance systémique substantielle » à fournir des services dans l’UE, considérant que les risques sont trop importants pour que ses opérations soient localisées dans un pays tiers. Le second pourrait être d’envisager, à moyen terme selon les évolutions réglementaires à venir, le refus de reconnaître (totalement ou partiellement) l’équivalence du cadre juridique britannique et donc une non-reconnaissance de facto des CCP britanniques ou de certains de leurs segments d’activité. Étant les seuls outils à disposition des autorités pour encourager la relocalisation, et réduire ainsi significativement le risque systémique pesant sur la stabilité financière européenne en matière de compensation centrale, ni l’un ni l’autre ne doit être écarté à ce stade. Ce sont leurs modalités d’application et les moyens opérationnels pour réaliser cette relocalisation qu’il faut étudier avec attention.
Mais qu’elle soit impulsée sous l’effet des mesures précitées ou qu’elle reflète une décision des parties prenantes du secteur privé, la condition sine qua non de toute relocalisation sera de proposer une offre compétitive viable en Europe continentale. Ce fut, avec la pleine implication des acteurs de la Place, l’un des ingrédients principaux de la réussite de la migration du repo sur les dettes en euro en février 2019 de Londres vers Paris. Assurer un mouvement coordonné des positions, en concertation avec les participants européens et américains, est en effet crucial pour assurer une liquidité suffisante et éviter les surcoûts. La même logique devrait être à l’œuvre pour développer une offre attractive de compensation des swaps de taux en euro.
Si un tel mouvement comporte nécessairement des coûts d’ajustement à court terme, ceux-ci doivent être mis en regard à la fois des bénéfices à long terme d’un tel rééquilibrage et des coûts de gestion d’une situation d’instabilité financière en l’absence de relocalisation. En d’autres termes, une migration ordonnée et consentie des positions dès aujourd’hui permettra d’éviter plus tard les effets potentiellement déstabilisateurs d’un mouvement brutal, qui impliquerait des pertes importantes pour les membres européens. Plus largement, cette stratégie de reprise de contrôle d’un des pans majeurs des activités de post-marché au niveau de l’UE s’inscrit pleinement dans l’objectif soutenu par la Banque de France d’un réseau polycentrique et résilient de places financières spécialisées sur le continent, contrastant avec la situation monopolistique prévalant aujourd’hui. Sa construction est une étape essentielle vers une UE plus résiliente, qui aura su prendre la mesure de toutes les conséquences du Brexit en matière de stabilité financière.
Le potentiel de la Place de Paris, qui pourrait capitaliser sur une offre de compensation existante, alors que par ailleurs les moyens juridiques de transfert des contrats sont connus et ont été étudiés par le Haut Comité juridique de Place, paraît ici devoir être pleinement exploité.