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Juridique

Le droit français peu favorable au développement du placement privé

Créé le

13.11.2012

-

Mis à jour le

27.11.2012

Moins contraignant qu’une émission publique, le placement privé obligataire demeure rigide en droit français. Plus souples, les alternatives allemandes (Schuldschein) et américaines (USPP) seraient-elles des modèles pour l’Hexagone ?

Face à la raréfaction des crédits accordés par les banques, les entreprises se tournent vers des modalités de financement limitant l'intermédiation bancaire, notamment les marchés obligataires. Des réflexions de Place ont eu lieu ces dernières années, dans le but de renforcer la compétitivité du marché obligataire français.

De manière générale, le développement des marchés obligataires nécessite la réunion d'un ensemble de conditions :

  • un contexte de taux d'intérêt favorable ;
  • un système juridique sécurisant [1] pour des investisseurs qui n'ont pas de relations privilégiées avec l'emprunteur ;
  • un traitement fiscal acceptable ;
  • un degré d'expertise suffisant des régulateurs et des intermédiaires financiers ;
  • enfin des règles relatives à la transparence des marchés financiers adaptées.
Sur ce dernier point en particulier, lorsqu'il est fait appel public à l'épargne, la mise en place d'un financement obligataire suppose le respect d'un certain nombre de règles contraignantes, notamment la préparation d'un prospectus visé par le régulateur et la diffusion au marché d'informations réglementées sur la société émettrice. En France, ce sont essentiellement des souches obligataires d'un montant d'au moins 200 millions d'euros qui sont placées sur le marché.

Par comparaison, le placement privé présente trois avantages principaux :

  • un cadre juridique ne nécessitant pas le respect des règles de transparence contraignantes ;
  • la réalisation de la levée de fonds auprès d'investisseurs ciblés par l'intermédiaire financier ;
  • la possibilité d'utiliser une documentation moins standardisée et plus adaptée aux besoins et aux contraintes de certains émetteurs comme les entreprises de taille intermédiaire (ETI), notamment en termes de taille d'émission.
Les ETI peuvent ainsi mettre en place au profit des investisseurs ciblés des mécanismes de protection contractuels, sous forme de covenants (similaires à ceux existant dans les contrats de prêts bancaires). Ce type de covenants permet de compenser le plus faible accès des investisseurs à l'information financière relative à l'émetteur par rapport à ce qu'ils peuvent obtenir sur un émetteur coté. Les investisseurs, comme les intermédiaires financiers [2] participant à l'opération, doivent alors disposer des équipes adéquates pour assurer le monitoring du contrat de crédit (d'où l'importance du rôle de l'intermédiaire financier dans l'émission).

La procédure de placement privé ne doit pas être utilisée pour contourner les règles afférentes à l'appel public à l'épargne, ni permettre in fine un placement des obligations dans le public. Aussi, les investisseurs ne peuvent céder leurs titres que dans des conditions restreintes.

Rigidités françaises

Les règles de transparence françaises rendent toutefois difficile le développement des placements privés de droit français. Le droit français prévoit en effet que l'offre au public de titres financiers est constituée à partir d'un seuil (relativement faible) de 150 investisseurs potentiels contactés. Les émetteurs français décident ainsi fréquemment de réaliser leur placement privé en se soumettant à des législations étrangères (telles que le droit luxembourgeois, celui de l'État de New-York ou encore d'Allemagne), non seulement pour échapper à ces règles sur l'offre au public, mais également pour aller à la rencontre d'investisseurs étrangers potentiels.

Le placement privé américain (USPP – US Private Placement) est une émission obligataire placée sous la règle 144A, c'est-à-dire exclusivement destinée à des investisseurs qualifiés américains et par conséquent non soumise au contrôle de la SEC [3] . Il n'existe aucune restriction quant au nombre d'investisseurs pouvant être sollicités. Les grandes entreprises françaises ont fréquemment recours à ce dispositif pour accéder au marché des investisseurs américains, mais aussi pour obtenir des financements en dollars difficiles à obtenir auprès des banques françaises.

Mi-prêt, mi-obligation

Plus proche de nous, le droit allemand dispose d'un outil, appelé Schuldschein, à mi-chemin entre l'émission obligataire classique et le financement bancaire. Le Schuldschein comprend trois documents principaux :

  • le contrat de prêt bilatéral entre l'emprunteur et l'investisseur ;
  • le contrat d'agent payeur, conclu généralement avec un établissement de crédit ;
  • un certificat d'endettement (le Schuldschein à proprement parler).
Le Schuldschein se rapproche d'un prêt bilatéral classique conclu auprès d'un établissement de crédit dans la mesure où les termes et conditions sont adaptés aux besoins spécifiques des émetteurs et en fonction des attentes des investisseurs (à l'inverse des obligations «  plain vanilla »). De plus, la remise à l'investisseur du certificat d'endettement par l'émetteur n'est pas un instrument financier, contrairement à l'obligation, et a seulement une valeur probatoire.

Le Schuldschein présente également les caractéristiques d'une émission obligataire, dans la mesure où, contrairement aux prêts bancaires classiques, il ne peut pas donner lieu à plusieurs tirages. N'étant pas un instrument financier, il ne peut pas être cédé par un simple ordre de mouvement ; il peut cependant être librement cédé par l'investisseur (contrairement à la pratique habituelle en matière de prêts bancaires classiques en Allemagne ou en France), à condition de respecter le formalisme de la cession de créances.

À la différence des USPP, qui sont souscrits par tous les types d'investisseurs institutionnels, les Schuldschein sont généralement souscrits exclusivement par des établissements de crédit ou des entreprises d'assurance.

La banque demeure indispensable

Quand bien même ces instruments de levée de dette visent à éviter l'intermédiation bancaire, ils n'y échappent pas totalement. Le placement de l'instrument à proprement parler (Schuldschein ou obligations dans un USPP) auprès des investisseurs doit en tout état de cause être réalisé par un établissement financier. De plus, l'émetteur d'un prêt Schuldschein ou d'une obligation émise dans le cadre d'un USPP aura recours à un établissement de crédit qui officiera en tant qu'agent payeur pour les différents porteurs de Schuldschein.

La différence entre les deux techniques est que dans le Schuldschein, l'agent payeur n'a pas un rôle de représentation des investisseurs. Au contraire, dans le cas d'un placement privé comme l'USPP, l'agent payeur pourra avoir un rôle de trustee ou de fiscal agent lui permettant à ce titre de protéger les intérêts des porteurs de titres.

Enfin, le Schuldschein est, comme indiqué plus haut, un instrument strictement bilatéral, impliquant qu'aucune modification des termes de l'emprunt ne peut être réalisée sans l'accord de l'investisseur concerné. Au contraire, dans un placement privé sous droit français, il est possible de modifier les conditions de l'emprunt en convoquant la masse des obligataires, qui devra se prononcer dans les conditions de quorum et de majorité prévues par la documentation, qui exigent rarement une unanimité.

Il serait intéressant d'intégrer à la discussion sur l'attractivité du marché obligataire français une réflexion visant à accueillir dans notre droit les éléments qui ont permis le succès des USPP et des Schuldschein.

 

1 De ce point de vue, le droit des entreprises en difficulté est déterminant. À cet égard, voir S. Vermeille, « Règle de Droit et développement des modes de financement alternatifs au crédit bancaire... Ou l'inadaptation du droit français à l'évolution de l'économie et de la finance », RTDF n° 2-2012, p. 28. 2 Les banques, mais aussi plus généralement les banques d’affaires et les prestataires de services d’investissement. 3 Securities and Exchange Commission.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº754
Notes :
1 De ce point de vue, le droit des entreprises en difficulté est déterminant. À cet égard, voir S. Vermeille, « Règle de Droit et développement des modes de financement alternatifs au crédit bancaire... Ou l'inadaptation du droit français à l'évolution de l'économie et de la finance », RTDF n° 2-2012, p. 28.
2 Les banques, mais aussi plus généralement les banques d’affaires et les prestataires de services d’investissement.
3 Securities and Exchange Commission.