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Assurance et investissement

« Des acteurs “mainstream” peuvent reprendre à leur compte l’hypothèse des “stranded assets” »

Créé le

15.09.2017

-

Mis à jour le

04.12.2017

Précurseur, en 2015, notamment avec ses annonces en termes de désinvestissement du charbon, AXA a implémenté sa stratégie climat depuis deux ans, en l’étendant du côté assurantiel et en publiant son premier reporting « article 173 ».

AXA a été précurseur en termes de politique climatique avec des annonces ambitieuses en 2015, avant la COP21. Votre appréhension et votre prise en compte des enjeux climatiques ont-elles évolué depuis deux ans ?

En effet, beaucoup de choses ont évolué depuis 2015 et la COP21, en externe comme en interne. En mai 2015, lors du premier Climate Finance Day, AXA a fait des annonces sans équivalent pour un investisseur de notre envergure, en mettant sur la table le sujet du désinvestissement comme outil légitime. Nous avons ensuite été suivis par d’autres investisseurs. La COP21 de décembre 2015 a permis de structurer plus fortement la vision des investisseurs, de poser l’objectif de limiter le réchauffement à moins de 2 degrés, et a été suivie par l’article 173 de la loi de transition énergétique en France.

Dans la foulée de nos annonces de mai 2015, AXA a mis en œuvre le désinvestissement de 500 millions d’euros du charbon, qui a été finalisé dès la fin 2015. AXA est sorti des entreprises dont au moins 50 % du chiffre d’affaires dépendait de l’extraction ou de la combustion du charbon. L’objectif était à la fois de réduire nos risques et d’envoyer un signal positif aux marchés et aux régulateurs.

AXA a aussi musclé son action en matière d’engagement actionnarial, notamment en engageant des actions au niveau Groupe, et plus uniquement au niveau de notre gestionnaire d’actifs AXA IM.

Jusque-là, les actions d’AXA étaient surtout focalisées sur son rôle en tant qu’investisseur institutionnel et gérant d’actifs. Nous avons décidé de donner la même importance au sujet du côté assurantiel, de la souscription. Début 2017, après plusieurs mois d’échanges avec nos entités locales, nous avons décidé de ne plus assurer les entreprises du secteur du charbon que nous avons exclues côté souscription.

Pourquoi ce désinvestissement ?

Notre désinvestissement prouve que des acteurs « mainstream » peuvent reprendre à leur compte l’hypothèse des stranded assets (« actifs échoués ») et estimer que le charbon est un risque. En effet, la transition énergétique, qui est déjà en marche, va amener des pans entiers de l’économie à se réorganiser. Il y a aura sans doute des perdants et des gagnants. Nous pensons que le charbon, qui est l’une des formes d’énergie les plus intensives en carbone, n’aura graduellement plus de rôle à jouer dans cette transition. Ce risque industriel devient un risque financier de long terme pour les investisseurs.

Outre le charbon, menez-vous d’autres actions de désinvestissement ?

Après le charbon, nous sommes sortis des entreprises liées au tabac en mai 2016. Cela relève d’une tout autre démarche : le tabac ne représente pas, comme le charbon, un risque financier. Il s’agissait avant tout de cohérence stratégique : comment s’affirmer comme le partenaire santé privilégié de nos clients, tout en investissant dans une industrie qui cause 6 millions de morts par an ? Ce n’était pas cohérent, alors nous y avons remédié. Nous espérons que d’autres investisseurs arriveront à la même conclusion, car il s’agit bien de dénormaliser la place « par défaut » du tabac dans les portefeuilles, d’en faire l’investissement controversé qu’il devrait être. Il faut préciser qu’il ne s’agissait pas de protéger notre réputation : personne ne nous questionnait sur cette relative anomalie. Nous y sommes allés par conviction.

Auparavant, en 2007, nous avions désinvesti des fabricants d’armes dites « controversées » (i. e. dont l’usage est banni par certaines conventions internationales), puis cessé en 2011 d’assurer ces mêmes fabricants d’armes. En 2013, nous avons désinvesti des producteurs d’huile de palme ne respectant pas certaines normes et nous avons mis fin à nos investissements dans un instrument financier problématique en termes spéculatifs, les dérivés agricoles (soft commodities).

Où en sont vos objectifs en termes d’investissements verts et dans quoi investissez-vous ?

En mai 2015, AXA s’est engagé à tripler ses investissements verts avec l’ambition de dépasser les 3 milliards d’euros d’ici 2020, pas uniquement dans les énergies renouvelables mais dans de nombreux secteurs, des projets d’infrastructures vertes, des obligations vertes labélisées, du capital investissement, quelques investissements en actions, des fonds d’impact investing… Nous utilisons une définition stricte du « vert », celle de la Climate Bonds Initiative.

AXA est un investisseur de long terme. Publiez-vous un reporting vert en vertu de l’article 173 de la loi de transition énergétique ?

Nous avons beaucoup travaillé sur l’article 173, à partir de l’été 2016. Nous avons publié notre reporting « article 173 » dans le cadre du document de référence annuel d’AXA, qui paraît en février, soit bien avant la date limite du 30 juin 2017. Nous avions même participé au concours organisé fin 2016 par le gouvernement, qui visait à stimuler les réponses avant la date limite réglementaire. Nos efforts ont été récompensés par le premier prix, reconnaissant l’intérêt de certaines analyses.

Pour analyser l’alignement des portefeuilles avec des objectifs de décarbonisation et le risque de transition, nous avons mené une analyse poussée sur quelques portefeuilles représentatifs, un portefeuille obligataire et un portefeuille actions d’AXA France. Nous avons fait des tests de scénarios de transition énergétique et de scénarios stranded assets sur trois secteurs – pétrole et gaz, automobile et énergéticiens –, pour mesurer notre empreinte carbone, analyser la réalité de nos risques liés à nos investissements et chercher à déterminer à quel point les portefeuilles sont alignés avec des portefeuilles 2 degrés. Ces analyses reposent sur des méthodologies encore exploratoires, qui comportent certaines limites.

Nous avons aussi travaillé sur l’analyse des risques « physiques » (notamment taux de destruction ou de pertes sur des actifs immobiliers), en se concentrant sur un portefeuille immobilier et un portefeuille d’infrastructures. Sur le portefeuille immobilier, nous avons modélisé les événements catastrophiques les plus courants en Europe, corrélés avec une géolocalisation individuelle de chaque actif immobilier. Sur ces sujets, nous tissons des liens entre la gestion et la souscription, ce qui n’est pas si fréquent.

Nous travaillons à présent sur la version « 2018 » de notre analyse « article 173 ».

Outre ces analyses, AXA copréside la Task Force sur le climat du G20 [1] et du groupe d’experts sur la finance durable de la Commission européenne [2] . Nous avons essayé, dans le cadre du document de référence d’AXA, d’injecter des éléments des premières recommandations de la TCFD en matière de reporting, de faire correspondre la structure de l’article 173 et celle de la TCFD, qui sont très différentes mais avec des visées similaires. La structure du décret article 173 comprend le processus d’intégration des critères ESG, l’analyse des risques climatiques, et l’alignement des portefeuilles avec des scénarios à faible émission carbone. Pour le second reporting de 2018, nous allons chercher à faire converger davantage article 173 et TCFD. Le fond est proche, mais la forme diffère. Nous allons également tester d’autres méthodologies et tenter d’élargir le périmètre.

Le métier d’assureur change-t-il du fait du réchauffement et de la transition énergétique, votre appréhension du risque climat en tant qu’assureur a-t-elle évolué ?

Les dangers climatiques représentent déjà environ 15 % de nos risques en assurance dommages au niveau mondial. Avec le changement climatique, les catastrophes naturelles gagnent en fréquence et en intensité. En tant qu’assureur, nous modélisons finement les « Cat Nat » (catastrophes naturelles). Nous avons une équipe qui travaille à la direction des risques, dont le travail est, entre autres, de décortiquer les hypothèses du GIEC sur les Cat Nat. En tant qu’assureur, nous regardons par exemple plus en détail les matériaux utilisés pour les bâtiments que l’on assure, et pas seulement s’ils se trouvent dans une zone à fort risque d’inondation ou non. C’est un travail de « data crunching » important.

Est-ce que de nouvelles annonces seront faites par AXA concernant le climat lors de la COP23, au Climate Finance Day du 11 décembre ou à la conférence du 12 décembre ?

Ce qui est certain, c’est que la dynamique politique, économique et financière ne faiblit pas depuis la COP21.

 

 

1 Task Force on Climate related Disclosures (TCFD).
2 High-Level Expert Group on Sustainable Finance (HLEG).

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº812
Notes :
1 Task Force on Climate related Disclosures (TCFD).
2 High-Level Expert Group on Sustainable Finance (HLEG).