Square

Etats-Unis

Ce que change l’élection de Trump… et ce qu’elle ne change pas

Créé le

08.12.2016

-

Mis à jour le

04.12.2017

Comparées aux promesses de campagne du candidat Trump, les mesures qui seront effectivement prises par le Président Trump seront bien moins radicales. Pris dans sa globalité, le paysage économique ne sera probablement pas bouleversé. Toutefois, le suspens est de mise dans trois domaines : la politique de la Fed, l’évolution des taux long et les pays émergents.

L’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis représente sans aucun doute un grand changement, sur les plans politique et diplomatique – l’Amérique sera sans doute moins déterminée désormais par une logique de « gendarme du monde » et davantage autocentrée, si l’on se fie aux déclarations de D. Trump –, mais aussi sur un plan purement économique. La question est bien de savoir si la politique économique sera fortement infléchie, notamment la politique budgétaire et fiscale. On sait que sont prévues des baisses d’impôt et une relance des dépenses d’infrastructures, et que l’impact sur le déficit budgétaire peut être très élevé si le programme de campagne de D. Trump est mis en place, avec les conséquences que l’on imagine sur les taux longs, la dette publique… et la politique monétaire. Parmi les autres sujets d’incertitude, la tentation protectionniste : on sait que le candidat Trump a « promis » l’instauration de droits de douane prohibitifs et la renégociation de traités commerciaux notamment. Mais on sait également que le Congrès américain (même s’il est majoritairement républicain) ne donnera pas un blanc-seing au nouveau président sur ces sujets : il n’est en effet pas favorable à de gros écarts budgétaires et il reste plutôt libre-échangiste. Ceci étant, même si l’inflexion reste modérée au regard du programme de campagne, ne pas miser sur des changements significatifs serait sans aucun doute une erreur. Quel sera au total l’impact sur les taux long terme et sur les marchés d’actions ? Autant de questions cruciales dans un environnement qui, depuis la crise financière allie taux bas, désendettement et rigueur budgétaire.

La victoire de D. Trump apporte donc son lot d’incertitudes, sur beaucoup de points, et le risque d’une inflexion majeure de la politique économique, conduisant à un creusement des déficits, n’est pas marginal à ce stade. Il faudra cependant attendre plus de deux mois avant d’avoir des réponses à ces questions (entrée en fonction le 20 janvier, puis discussions avec le Congrès). Après avoir analysé ce qui ne change pas avec l’élection de Trump, nous passerons en revue quelques composantes majeures de ce choc d’incertitude.

Ce que l’on craint mais qui ne verra très vraisemblablement pas le jour

Une vague de protectionnisme sévère

Les États-Unis importent près de 500 milliards de dollars de marchandises par an en provenance de Chine, et près de 300 milliards de dollars en provenance du Mexique, ce qui représente environ 35 % du total des importations de biens, hors produits pétroliers. Adopter un tarif de douane de 45 % sur les importations chinoises et de 35 % sur les importations mexicaines augmenterait l'ensemble des prix des marchandises à l'importation d'environ 15 %. 18 mois après la hausse des droits de douane, et selon le modèle Analytics de Moody’s, cela accroîtrait l'ensemble des prix à la consommation américaine de près de 3 %. Les importations chinoises et mexicaines vers les États-Unis ne devraient cependant pas subir de tels droits de douane. Les législateurs américains au Congrès sont en effet plus apaisés que Donald Trump car ils ont conscience d’une part des efforts continus de la Chine pour libéraliser sa monnaie (processus qui a commencé l'été dernier) et, d’autre part des progrès réalisés sur les travaux d’atténuation de l'immigration clandestine à la frontière mexicaine. Si leurs produits ne sont pas lourdement taxés, la Chine et le Mexique ne feront ainsi pas acte de représailles envers les produits et services américains. À noter que les droits de douane pourraient être extrêmement contre-productifs. En effet, la Chine pourrait ne pas être capable de contenir la dépréciation du yuan, avec les conséquences que l’on imagine : un regain de volatilité, un risque de dévaluation soudaine et massive, un risque sur la stabilité financière, une forte appréciation du dollar… rien de tout cela n’est recherché par D. Trump, bien au contraire.

Un vaste plan anti-migrants

La volonté initiale de refouler aux frontières plus de 11 millions d'immigrants sans papiers n’est pas non plus réaliste, car cela ne représente pas moins de 3,5 % de la population et 5 % de la population active. Toutes choses égales par ailleurs, cela réduirait également la croissance potentielle des États-Unis, ce qui n’est pas souhaité. La feuille de route de D. Trump a déjà été amendée, et il sera sans doute question de reprendre le rythme suivi lors de la grande récession : 500 000 immigrants par an maximum.

Une forte dégradation des déficits publics et de la dette

Le programme initial de D. Trump se traduit par un lourd creusement des déficits publics. Non financées en amont, ses mesures visent à trouver un financement ultérieur, par la croissance à venir. Les pressions inflationnistes et l’augmentation de l’offre de papier liée à un programme de forte relance budgétaire et de baisse de fiscalité provoqueraient (selon les simulations de modèles standards) une remontée brutale des taux d’intérêt à court et long terme. Certaines simulations (celle de Moody’s par exemple) montrent que le programme du candidat Trump pourrait faire remonter le taux d’intérêt à 10 ans de 200 pb la première année et de 460 pb la seconde. Une évolution aussi drastique des taux d’intérêt nous semble très improbable dans la conjoncture actuelle, pour au moins trois raisons :

  • d’abord parce que l’output gap [1] est toujours en territoire négatif selon les estimations du CBO : cela contribue à expliquer la faiblesse des pressions inflationnistes actuelles ;
  • ensuite, parce que les premiers signes d’affaiblissement de la demande globale se sont manifestés en 2016, remettant sur le devant de la scène le thème de la fin de cycle (investissement, profits), avec la demande des ménages comme unique moteur de croissance ;
  • enfin, parce que ce programme ne sera pas mis en application. Le Congrès n’est pas hostile aux baisses d’impôts et aux réformes fiscales, ainsi qu’aux économies dans les dépenses non militaires, mais il est globalement ferme dans son opposition à des déficits plus importants. Autrement dit, le Congrès fera des contre-propositions à D. Trump se traduisant par un impact plus neutre sur les finances publiques. Les deux-tiers des réductions fiscales pourraient ainsi être abandonnées (et davantage concentrées sur les revenus les plus faibles), et la baisse du taux d'imposition sur le revenu des sociétés devrait être plus faible.

Ce que ne change pas l’élection de Trump

Si nos hypothèses se vérifient (pas de vaste recours au protectionnisme, pas de vaste plan de refoulement aux frontières, pas de forte dégradation des déficits publics et de la dette), l’investiture de D. Trump le 20 janvier prochain ne modifiera pas la plupart des éléments clefs qui caractérisent actuellement la conjoncture internationale et les marchés financiers. Citons-en quelques-uns :

  • la croissance mondiale devrait rester au-dessus des 3 %, comme c’est le cas depuis plus de 5 ans ;
  • le commerce mondial n’est plus un moteur de la croissance mondiale. Son repli est essentiellement lié à la baisse généralisée de l’investissement et à la baisse des potentiels de croissance ;
  • l’investissement est en retrait, aussi bien dans les pays avancés que dans bon nombre de pays émergents ;
  • la consommation est partout le moteur de croissance principal ;
  • les politiques budgétaires et fiscales sont désormais plus expansionnistes, y compris en Europe (année électorale, fin des programmes d’austérité…) ;
  • la BCE et la BoJ vont poursuivre leurs programmes de quantitative easing ;
  • les politiques monétaires restent globalement accommodantes. Notons qu’en 2016, 8 pays du G10 ont poursuivi les assouplissements monétaires ;
  • l’inflation n’est pas encore un problème : sur les 120 plus grands pays, plus de 80 % d’entre eux ont une inflation inférieure à la cible établie par leur banque centrale, et dans plus de 15 % des cas, l’inflation est même négative. Jamais ce pourcentage a été aussi élevé depuis la crise financière ;
  • les craintes de stagnation séculaire n’ont pas non plus disparu avec l’élection de D. Trump : la démographie, les gains de productivité, et le poids de la dette sont notamment les raisons majeures de ces craintes ;
  • la Fed reste dans une attitude de prudence extrême : même si le taux d’inflation est proche de sa cible, les conditions de croissance, la stabilité financière et la vigueur du dollar ne lui permettent pas d’entamer un véritable cycle de resserrement monétaire, à l’image de celui suivi en 2004-2006 : durant le dernier cycle de resserrement, la Fed avait relevé ses taux 17 fois en 3 ans (en 17 réunions du FOMC [2] ). On est bien loin du compte dans le pseudo-cycle de resserrement actuel ;
  • bien avant l’ébauche d’un programme sur l’immigration aux États-Unis, un débat sur ce point était vivace dans de nombreux pays, y compris en Europe (migrants, réfugiés…). Cela est d’autant plus important que se profilent de nombreuses élections et que ce sera inévitablement un thème de campagne, aussi bien en France qu’en Allemagne ;
  • la montée du populisme (de droite dans les pays du noyau dur de l’Europe, et de gauche dans les pays périphériques) n’est pas un phénomène nouveau. Il ne fait cependant aucun doute que le Brexit et l’élection de D. Trump ont favorisé une désinhibition des électeurs sur ces thèmes ;
  • on sait déjà que les négociations sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (Brexit) seront difficiles ; le Royaume-Uni ne pourra pas obtenir à la fois l’assurance d’un accès au marché unique (biens et services), d’une politique d’immigration indépendante, d’une politique commerciale indépendante, et ne plus contribuer au budget européen ;
  • en dépit des craintes protectionnistes et des hausses des taux aux États-Unis, l’amélioration des fondamentaux des pays émergents est flagrante : Brésil et Russie sortent progressivement de récession, la Chine parvient à stabiliser sa croissance… ;
  • enfin, l’asymétrie des marchés obligataires (un potentiel de baisse des taux plus faible que le potentiel de hausse) était déjà une réalité avant l'élection de D. Trump.
Ceci étant dit, quelques interrogations demeurent, comme la relation de Trump avec la Fed, la réaction des taux longs et la réaction des marchés émergents.

Trois grandes interrogations demeurent

Trump : pour une Fed hawkish ou dovish ?

Il était quelque peu étonnant de voir le candidat D. Trump se plaindre de la Fed (elle n’a pas selon lui suffisamment remonté ses taux directeurs) alors même que seule l’intervention de la banque centrale pourrait garantir un « financement sans douleur » des mesures qu’il propose. On peut d’ailleurs se demander si Donald Trump ne sera pas, sur ce point également, amené à faire volte-face une fois arrivé au pouvoir. Les simulations montrent que la politique du candidat Trump ne serait pas soutenable sans soutien de la Fed, c’est-à-dire sans monétisation de la dette. Comment vouloir en même temps avoir une croissance plus forte, un dollar plus faible et une politique monétaire plus restrictive ? Rappelons que dans la moitié des cas (6 fois sur 12), les cycles de resserrement monétaire ont été suivis, depuis 1945, d’une récession de l’économie américaine dans les deux ans qui ont suivi. C’est sans doute ce que le marché craindra s’il était avéré que la Fed va trop vite et surtout trop fort. Pour l’heure, elle veille à éviter une appréciation du dollar (les modèles de la Fed indiquent qu’une appréciation du dollar effectif réel de 10 % équivaut à un resserrement monétaire de 175 pb), et elle est sans doute sensible à la hausse des taux longs. La Fed va certes relever ses taux, mais elle restera modérée dans ses hausses – ainsi qu’elle l’a fait jusqu’à présent – et cela conviendra sans doute au Président Trump.

Une hausse inéluctable des taux longs ?

Au cours des dernières années, nombreux sont ceux qui ont cru que la reprise de la croissance dans les pays avancés, États-Unis en tête était, avec la remontée des indices de prix, une bonne raison pour anticiper une remontée des taux longs. C’était sous-estimer les facteurs lourds comme la – crainte de – stagnation séculaire, le poids des QE, la rigueur budgétaire en Europe (l’austérité), le maintien des pressions déflationnistes… La hausse des taux longs peut provenir de six sources :

  • une remontée significative des perspectives de croissance ;
  • un revirement des politiques de taux d’intérêt ;
  • la fin complète du QE (le non-réinvestissement des papiers venant à maturité aboutissant à la réduction rapide du bilan de la Fed) ;
  • une résurgence de l’inflation ;
  • un renversement des politiques budgétaires et fiscales ;
  • des excès d’anticipations de baisse.
Dans le cas des États-Unis, la première source se matérialise au moins à court terme, les deux suivants ne sont pas vraiment à l’ordre du jour, le quatrième n’est pas encore un sujet de préoccupation (mais un effet de base va faire remonter les indices de prix sur les mois à venir), seul le cinquième peut vraiment prendre de l’ampleur aux États-Unis et il impactera sans le moindre doute les quatre premiers. Attention cependant : la sensibilité aux taux longs a augmenté avec le releveraging des entreprises (à son plus haut historique). À noter aussi que toute hausse des taux longs devient un frein pour la politique monétaire et pour les éventuelles velléités de hausse des taux directeurs. Pour que la remontée des taux longs soit durable, il faudra que la croissance à moyen terme progresse. Rien n’est moins sûr à ce stade.

Un handicap durable pour les marchés émergents ?

L’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis n’est pas étrangère au repli des marchés émergents. Il faut dire que la lecture de son programme de campagne n’avait rien de réjouissant pour ces marchés : des droits de douane prohibitifs, un effet négatif très important sur le commerce mondial, et au total un impact négatif significatif sur la dette américaine, les déficits publics et la croissance mondiale. Pour les marchés émergents, on peut distinguer deux scénarios distincts :

  • soit le nouveau gouvernement américain provoque déficits et récession, ce qui sera extrêmement dommageable pour l’aversion au risque (qui augmentera), la volatilité et les actifs risqués comme les émergents ;
  • soit le nouveau gouvernement est capable de « booster » les anticipations de croissance, ce qui ira de pair avec une résurgence de quelques anticipations d’inflation, une remontée des taux longs et des taux de la Fed. Dans un premier temps mitigé pour les émergents, ce scénario de plus forte croissance devrait leur être favorable, et les facteurs techniques, fondamentaux et atouts de valorisation reviendront au premier plan.
Au total, l’élection de Trump ne change pas radicalement bon nombre de thématiques qui prévalent depuis quelques années, mais il ne faut pas sous-estimer pour autant l’influence du gouvernement à venir sur la politique budgétaire et fiscale notamment. Même si les inflexions du Président Trump seront moindres que celles promises par le candidat Trump, elles seront suffisantes pour changer la configuration des marchés pendant quelques mois… au moins.

Achevé de rédiger le 1er décembre 2016.

 

1 Écart de production, écart entre la prévision du niveau de production et le niveau réel de production.
2 Federal Open Market Committe.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº803
Notes :
1 Écart de production, écart entre la prévision du niveau de production et le niveau réel de production.
2 Federal Open Market Committe.