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Services de paiement : sachons raison garder !

Créé le

16.03.2012

-

Mis à jour le

12.04.2012

La chaîne des paiements fait intervenir des acteurs nombreux aux positions parfois antagonistes, voire dogmatiques… En l’absence d’un pilotage global qui saura trouver le bon équilibre général, le risque est de voir ces activités leur échapper au profit de tiers opportunistes et de services en partie dégradés avec, en  prime, un retour en force de l’utilisation des espèces.

Les services de paiement sont indispensables au bon fonctionnement d’une économie qui n’est pas basée sur le troc, et il faut se féliciter de leur efficacité pour l’ensemble du marché français. Ceci n’empêche certes pas la recherche de progrès et l’innovation, si tant est que l’on reste raisonnablement ambitieux sans casser ce qui fonctionne déjà très bien. Heureusement, nous n’avons pas eu à connaître d’incidents graves et, même au plus fort de la crise, les virements de salaires et pensions ont été traités à bonne date, les commerçants ont pu encaisser les achats par carte et les particuliers utiliser les distributeurs de billets.

Une machinerie sophistiquée

Finalement, on en oublie presque que cette machinerie sophistiquée qui traite plus de 17 milliards d’opérations par an et 30 millions en heure de pointe, fait appel à de la haute technologie et exige d’extrêmes précautions. Soumise à des bouleversements profonds qui interviennent de façon simultanée, elle est aujourd’hui en risque. Les remises en cause des fondements juridiques, des caractéristiques et traitements techniques, ainsi que celles touchant les modèles économiques auront évidemment des effets sur les comportements de chacun, y compris des clients, et donc sur les volumes d’activité. Des interactions en cascades ne peuvent qu’en résulter. Or nul n’a pu anticiper l’ampleur de ces conséquences et de ces risques, faute de véritable étude d’impact globale et d’une organisation en mode projet, avec les outils de pilotage adéquat.

Il est dans l’intérêt collectif d’éviter certains écueils, de ne pas fragiliser ce qui fonctionne efficacement, tout en permettant à chaque acteur économique de tirer bénéfice notamment du SEPA et de son nouvel environnement. Voyons au moins ces problématiques pour l’État, les consommateurs, les commerçants, les établissements de paiement et les banques.

L’État confronté au retour des espèces

L’État est décisionnaire, dans l’ombre de la Commission européenne et de la Banque Centrale Européenne. C’est aussi le plus grand utilisateur pour toute la sphère publique, soit 45 % des virements en France. Il doit évidemment veiller au bon fonctionnement de l’économie, et la crise actuelle soulève suffisamment d’inquiétude pour ne pas ajouter un problème aux citoyens et entreprises sur les paiements. La prévention de la fraude est l’affaire des professionnels, mais la lutte contre les fraudeurs relève d'un désordre public que les services de l’État doivent traiter, en recueillant les plaintes des citoyens (pour décharger les commissariats et alléger les statistiques, ce qui est contesté) et en effectuant toutes les enquêtes utiles. Cependant, l’enjeu majeur qui résulte de ces changements en matière de paiements concerne surtout le budget national, le risque de désaffection des nouveaux moyens de paiements pouvant amener un retour à l’usage massif des espèces. L’effet serait immédiat sur les recettes fiscales permises aujourd’hui par des opérations avec les commerçants ou entre particuliers, traçables et officiellement comptabilisées. Déjà, du fait de la crise, on constate un retour aux espèces avec des volumes croissants de billets en circulation, selon la Banque de France. Pour les personnes à faibles revenus, c’est une façon de mesurer au jour le jour l’argent à dépenser ; pour les autres, elles thésaurisent ou anticipent de nouvelles hausses de la fiscalité (TVA, IRPP, droits de succession). Est-ce un hasard si d’autres pays européens qui utilisent peu les paiements scripturaux ont des soucis pour faire rentrer l’impôt ? Est-ce pure générosité de l’administration fiscale que d’avoir accordé en son temps le bénéfice de 20 % de réduction du revenu à déclarer lorsque l’on adhère à un Centre de gestion agréé et que l'on s’oblige à encaisser par virements, cartes, ou chèques ? Le cash est dangereux et à utiliser avec modération, car non seulement il coûte très cher à manipuler ou en perte de recettes fiscales, mais il va jusqu’à tuer, car il stimule vols et violences physiques sur des particuliers, des commerçants et des professionnels, comme les transporteurs de fonds.

Le bon sens des consommateurs

Pour les consommateurs, il faut de la facilité dans l’utilisation des moyens de paiement (partout et vite), de la sécurité et de la confidentialité, et des prix bas. Ils plébiscitent les avantages de 25 ans d’interbancarité pour la carte CB,  la commodité de l’accès aux distributeurs de billets et automates d’encaissement, de même que la facilité sur Internet. À l’inverse, ils rejettent la complexité de solutions « maison » où le paiement n’est accepté qu’ici ou là, où il faut se pré-enregistrer et s’habituer à des procédures nouvelles, où l’on ne sait à qui s’adresser en cas de difficulté. Quant aux prix, soyons clairs : les consommateurs recherchent la gratuité ou, à défaut, le meilleur rapport qualité-prix. Ils refusent de supporter un coût jusqu’alors à la charge du commerçant. Ils savent que la complexité tarifaire d’offres alléchantes génère de l’opacité sur des frais cachés par ailleurs. Ne décourageons pas les consommateurs d’utiliser des moyens de paiement qu’ils connaissent et apprécient dans cette interbancarité « à la française », et veillons à leur proposer les services qui leur donneront satisfaction à l’usage.

Les exigences des commerçants

Pour les commerçants, il faut faire simple, rapide, efficace, sécurisé… et pas cher. Pour optimiser les investissements informatiques et les traitements internes, il faut une grande homogénéité sur des standards internationaux stables. Le paiement est un élément du dispositif commercial, de l’organisation des caisses ; c’est une composante du prix de revient. Certes les grands commerces et créanciers s’attaquent avec virulence aux frais bancaires, car ils traitent des volumes considérables et sont en position de négocier, voire de modifier certaines procédures, si tant est que les consommateurs veuillent bien s’y plier. La tendance est en effet à renvoyer vers le client des frais d’encaissement que le créancier refuse de prendre à sa charge comme l’illustrent les débats sur le « surcharging » ou les prélèvements. Il faut veiller en toute hypothèse à maintenir une offre de services efficaces qui sécurise la fonction d’encaissement pour les commerçants ; le petit commerce en éprouve d'ailleurs un besoin vital, n’ayant pas de solution propre avec des cartes d’enseigne

Les établissements de paiement, entre créativité et complexité

Les établissements de paiement crées par la Directive sur les services de paiement (DSP) sont les nouveaux venus. Ils cherchent le bon ciblage du marché sur tel ou tel segment (les migrants, les jeux en ligne, etc.), développent des applications innovantes (téléphonie, Internet) et proposent des modèles économiques originaux (prix plus ou moins élevés, ristournes, intégration de données marketing). Ils sont les bienvenus en ce qu'ils apportent une créativité qui stimule le marché et la concurrence. Ils introduisent cependant de la complexité, souvent d'ordre technologique, que certains clients seulement peuvent assimiler. Mais pourquoi ne peut-on les rendre interopérables, ce qui éviterait aux clients d’immobiliser leur trésorerie auprès de plusieurs prestataires et faciliterait les opérations ? Il leur faut aussi rester sûrs (et avoir, à l’identique des banques, les mêmes niveaux de sécurité opérationnelle, de confidentialité des informations, de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme), car le capital confiance des clients est un bien collectif et il faut veiller, dans leur intérêt comme dans celui des autres acteurs, à ce que la mauvaise monnaie ne chasse pas la bonne.

Les banques contraintes d’évoluer

Et les banques ? La gestion des paiements est leur métier, intimement lié à la tenue du compte et donc à une relation quotidienne de confiance. Est-ce que les paiements doivent pour autant être subventionnés par d’autres activités bancaires ? Certainement pas, car les effets seraient contre-productifs en figeant des situations, comme en témoigne l’exemple du chèque. Pour satisfaire leurs clients, les banques doivent investir pour poursuivre sur la voie de la standardisation et de l’industrialisation des traitements, afin de baisser leurs coûts. Ni la qualité d’un service irréprochable, ni la prévention de la fraude, ni la sécurité des données ne peuvent être affaiblies. Le traitement des espèces coûte déjà plus de 3 milliards d’euros par an aux banques [1] . L’accroissement de l’usage des billets et pièces serait une charge supplémentaire. Pour les opérations électroniques, virements, prélèvements et cartes, les économies d’échelle qu’il va falloir réaliser doivent donc venir de la croissance de l’économie (mais on a compris que ce n’était pas pour l’immédiat), et surtout du traitement de situations de paiement nouvelles et en développement (Internet, automates), et des règlements de petits montants en face à face ou à distance. Les banques peuvent-elles y réussir ? Elles s’y emploient et investissent pour des solutions technologiques innovantes (Internet, sans contact, mobile). Il ne faut pas cependant sous-estimer les difficultés, comme l’attestent les distances qu’elles ont prises avec Moneo [2] et les délais inhérents à tout changement : la réussite du système CB a demandé plus de 10 ans d’efforts à compter de son lancement. Compte tenu des problématiques de concurrence, elles avancent prudemment dans la voie de partenariats entre elles et/ou avec les opérateurs technologiques (principalement telcos).

La nécessité d’un pilotage global

Au final, si ces bouleversements du marché des paiements ne sont pas gérés au mieux, il y a beaucoup à perdre pour tout le monde. Sachons raison garder, loin des chamailleries opportunistes dans ce jeu d’équations à inconnues multiples. L’idéalisme des autorités de concurrence sur certains dogmes et les risques juridiques que cela crée ne peuvent conduire qu’à des impasses industrielles et, vraisemblablement, à une dégradation des services interbancaires. Il serait pourtant malvenu que l’euro produise de telles régressions. Faute d’un pilotage global responsable réclamé de longue date, la méthode en cours met en risque les collectivités européenne et française. La question qui demeure est de savoir si l'on peut encore se ressaisir avant la bascule impérative à SEPA début 2014. Faute de quoi nous assisterons au grand retour des espèces et à l’émergence de solutions technologiques planétaires qui s’imposeront en venant des États-Unis, ou demain de la Chine, et qui pourraient se révéler en définitive plus onéreuses pour les utilisateurs.

1 Source : Eurogroup-FBF 2010. 2 Le porte-monnaie électronique Moneo, lancé en 1999 par les grandes banques françaises, a connu une évolution parfois difficile, qui a conduit ces dernières à le revendre fin 2010 à un fonds d'investissement français indépendant.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº747
Notes :
1 Source : Eurogroup-FBF 2010.
2 Le porte-monnaie électronique Moneo, lancé en 1999 par les grandes banques françaises, a connu une évolution parfois difficile, qui a conduit ces dernières à le revendre fin 2010 à un fonds d'investissement français indépendant.