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Stratégie

Réussir la transition IFRS 9 : défis et opportunités

Créé le

23.02.2015

-

Mis à jour le

04.06.2015

La version finale d’IFRS 9 instaure de nouvelles règles relatives au traitement comptable des instruments financiers. Pour les établissements concernés, les travaux d’implémentation de cette norme doivent débuter sans tarder. Les enjeux dépasseront de loin ceux d’un simple ajustement technique comptable.

Le long et fastidieux processus de remplacement de la norme IAS 39 « Instruments financiers : comptabilisation et évaluation » a franchi un jalon majeur en juillet 2014 avec la publication par l’IASB de la version finalisée d’IFRS 9 « Instruments financiers ». IAS 39 faisait en effet l’objet de nombreuses critiques qui visaient notamment sa complexité et son inadéquation vis-à-vis de la réalité pratique d’une gestion d’instruments financiers au sein d’un établissement financier, qu’il s’agisse de prêts basiques ou de produits dérivés plus complexes.

La crise financière a renforcé l’urgence de la réflexion sur les différents projets qui étaient à l’étude depuis quelque temps au sein de l’IASB et du FASB. La nouvelle vague réglementaire – Bâle III, CRD 4 et, aux États-Unis, le Dodd-Frank Act – vise à renforcer la solidité du système financier mondial, notamment en augmentant les exigences en termes de fonds propres destinés à couvrir les pertes liées au risque de crédit. Les régulateurs comptables ont ainsi œuvré pour une plus grande transparence sur le risque de crédit dans les états financiers ainsi qu’à la mise en place d’une approche prospective pour la dépréciation des actifs, approche qui devrait être plus réactive face aux évolutions du cycle du crédit.

Mais alors que le projet de révision du traitement comptable des instruments financiers était initialement mené conjointement par l’IASB et le FASB, ce dernier a finalement choisi de suivre sa propre voie. En conséquence, les établissements appliquant à la fois les US GAAP et les IFRS devront se mettre en conformité avec deux référentiels non superposables, ce qui augmentera les coûts de mise en place et rendra toute comparabilité difficile.

La mise en conformité avec IFRS 9 sera obligatoire à partir du 1er janvier 2018 au niveau international (date à confirmer au niveau de l’Union européenne). Même si une adoption anticipée est autorisée, la plupart des banques vont vraisemblablement mettre à profit ce laps de temps pour mettre en œuvre les différentes évolutions requises, tant en termes de systèmes que de modèles, notamment afin d’implémenter la nouvelle approche prospective du provisionnement du risque de crédit et de réaliser des parallel-run au plus tard en 2017. Cependant, il est important de garder à l’esprit que les impacts de cette norme vont bien au-delà d’un simple ajustement technique comptable. Les différents établissements devront également mettre à profit ce laps de temps pour estimer précisément les conséquences de la norme sur leurs fonds propres réglementaires, leurs indicateurs clés de performance et pour communiquer sur ces impacts vis-à-vis des différentes parties prenantes (actionnaires, superviseurs, analystes…).

Trois catégories de provisionnement

Pour les banques en particulier, les nouvelles exigences relatives au provisionnement du risque de crédit auront sans doute les impacts les plus significatifs. Jusqu’à présent, IAS 39 n’autorisait l’enregistrement de provisions que dès lors que le risque de crédit était avéré, c'est-à-dire dès lors qu’un indice objectif de dépréciation était apparu (tel qu’un défaut de paiement), afin d’empêcher tout enregistrement de provisions « préventives ». La crise financière a toutefois mis en évidence la faiblesse de ce modèle : dans certains cas, les provisions pouvaient être enregistrées en décalage par rapport à des pertes dépassant ce qui était anticipé.

Selon l’approche prospective de provisionnement du risque de crédit telle que définie par IFRS 9, les établissements devront comptabiliser immédiatement en charges un certain montant de pertes attendues, puis, réévaluer à chaque arrêté ce montant pour tenir compte des évolutions du risque de crédit relatif à l’actif détenu et des anticipations de pertes attendues. La première application de ce nouveau modèle risque d’avoir un impact négatif sur les fonds propres des banques. En effet, les fonds propres absorberont désormais non seulement les pertes sur crédits avérées, mais également les pertes sur crédits attendues.

L’approche prospective de provisionnement du risque de crédit classe les actifs en trois catégories : lors de leur comptabilisation initiale, les actifs sont classés dans la première catégorie. Ces actifs sont provisionnés à hauteur de la perte attendue sur 12 mois. En cas de hausse significative du risque de crédit, un transfert est réalisé entre la catégorie 1 et la catégorie 2. La provision est réestimée à hauteur de la perte attendue sur la durée de vie totale de l’instrument, et non plus sur 12 mois. Un reclassement en catégorie 3 intervient lors du défaut de l’actif. A contrario, un transfert dans le sens inverse peut intervenir dès lors que le risque de crédit s’améliore.

Pas si simple !

De nombreux défis et incertitudes inhérents à la mise en place de cette nouvelle norme existent, parmi lesquelles on compte :

  • la nécessité de développer des estimations à plus long terme des pertes de crédits anticipées ;
  • un transfert d’actifs entre les catégories dépendant largement de l’appréciation individuelle et des processus managériaux internes ;
  • une interprétation des termes de « hausse significative » et de « défaut » également dépendante de l’appréciation individuelle ;
  • une comparabilité des approches et des performances publiées entre et au sein des banques qui s’annonce complexe.
Une difficulté supplémentaire réside dans le fait que l’IASB et le FASB n’ont pas réussi à s’accorder sur une norme commune. Le FASB a en effet publié un exposé-sondage en décembre 2012 sur un modèle de provisionnement du risque de crédit différent de celui d’IFRS 9. Bien que le modèle proposé par le FASB se concentre également sur les pertes attendues, celui-ci ne propose qu’une mesure unique du risque de crédit, fondée sur la durée de vie totale des instruments. Le FASB est encore en phase de réflexion et la version finale de son modèle devrait être rendue publique durant le premier semestre 2015. Les régulateurs pourraient tenter de combler l’écart entre les deux positions en demandant la publication d’informations additionnelles permettant de faire le lien entre les deux méthodologies.

Les échéances approchent à grands pas. De nombreuses juridictions font en effet pression pour adopter IFRS 9 de manière anticipée, ce qui laisse peu de temps pour agir. Cependant, les banques européennes ne pourront appliquer IFRS 9 tant que la norme ne sera pas entérinée par l’Union européenne.

Des conséquences à très longue portée

Même si les modèles proposés par l’IASB et le FASB sont purement comptables, l’impact sur les institutions financières sera de fait bien plus profond.

Ces nouvelles normes de provisionnement exigent une coopération accrue entre les départements Risques et Finance. La comptabilité devra désormais s’impliquer dans la détermination des pertes attendues (processus aujourd’hui purement prudentiel). Le nouveau modèle nécessitera un suivi constant des expositions ainsi que de nouvelles exigences détaillées en termes de communication financière.

Ces défis vont nécessiter des transformations de grande ampleur au sein des fonctions Risques et Finance : refonte des structures organisationnelles, des règles et procédures, des méthodologies associées aux pertes sur crédits, de la gestion des données, des systèmes d’information, des modèles de gouvernance et du contrôle interne. Cela sera particulièrement fastidieux pour les institutions financières de petite et moyenne taille utilisant des systèmes comptables anciens ne contenant pas de module permettant de modéliser et de calculer les pertes attendues. Pour les institutions de plus grande taille, la nécessité de se conformer à la fois aux standards de l’IASB et du FASB complexifie les enjeux.

L’élaboration d’un budget pour un tel changement constitue un défi pour les institutions financières. Celles-ci doivent tenir compte du fait que de nouveaux processus et contrôles seront requis, notamment en termes de modélisation du risque de crédit. Les budgets prévus pour l’implémentation d’IFRS 9 seront très dépendants des moyens humains attribués au projet ainsi qu’aux jalons fixés. Néanmoins, nous estimons que le coût pour certaines institutions pourrait dépasser les 40 millions d’euros.

En termes de systèmes d’information, les nouveaux modèles et logiciels devront au minimum être capables de :

  • calculer les pertes attendues en se fondant sur les prévisions de paiements et les données risque disponibles, dont a minima la probabilité de défaut ;
  • ventiler les encours financiers entre les différentes catégories de provisionnement, soit via des algorithmes, soit manuellement et s’assurer que le transfert entre catégories déclenche une modification du niveau de provisionnement ainsi que des enregistrements comptables ;
  • élaborer des reportings conformes aux exigences permettant d’alimenter les notes détaillées du document de référence et du rapport annuel ;
  • permettre une certaine flexibilité de saisie des paramètres d’allocation, ceci à un niveau portefeuille, entre les catégories de provisionnement et de calcul des pertes attendues, afin de rendre possible une différenciation par segment.

Repenser le business model

Les impacts en termes de gestion de fonds propres et de business model pourraient être encore plus profonds. Comme évoqué précédemment, le nouveau modèle de provisionnement aura vraisemblablement un impact négatif sur les fonds propres et le résultat net, mais il aura aussi probablement pour effet de générer des montants de réserves plus volatils qui conduiront, si l’environnement économique se détériore, à une comptabilisation plus rapide des pertes. Les banques qui prêtent le plus seront confrontées à une nouvelle tension sur leurs revenus. Ces impacts pourraient conduire certaines de ces institutions à repenser leur business model ainsi que leur portefeuille de crédits, ce qui pourrait mener à des restructurations, des cessions et des repositionnements sur d’autres segments de marché. Les institutions devront donc être en mesure d’évaluer ces différents impacts et de déterminer la réponse qu’elles souhaitent y apporter. Il faudra ensuite communiquer sur ces impacts auprès des marchés, des actionnaires et des autres parties prenantes en insistant sur le fait que certains changements seront de simples ajustements comptables tandis que d’autres auront des conséquences directes sur les métiers.

Quelle réponse apporter ?

Il est très important de planifier en amont l’implémentation des nouveaux systèmes, processus et outils de modélisation, afin de se préparer aux changements organisationnels, méthodologiques et de gouvernance requis pour la mise en conformité. Une analyse détaillée des impacts potentiels devra essentiellement se concentrer sur les points suivants :

  • entreprendre une revue globale de tous les actifs financiers afin de s’assurer de leur correcte classification et évaluation ;
  • développer des modèles capables d’appliquer la méthodologie des pertes attendues à différentes catégories d’actifs ;
  • développer des méthodologies et des contrôles d’évaluation pour garantir la mise en place de bonnes pratiques en termes de cohérence et d’appréciation individuelle ;
  • évaluer les conséquences potentielles sur les fonds propres réglementaires, le compte de résultat et le bilan, ainsi que les impacts sur la stratégie et les activités ;
  • développer des plans de communication à destination de l’ensemble des parties prenantes.
Si elles veulent réussir ce challenge, les institutions financières ne peuvent cependant pas se permettre de se concentrer uniquement sur les enjeux tactiques de la mise en conformité. Elles doivent gérer efficacement les enjeux organisationnels, technologiques et de gouvernance pour se concentrer sur les enjeux stratégiques. Les établissements qui arrivent à voir au-delà de l’exigence technique de mise en conformité pourront profiter de tous les bénéfices d’une transition plus facile et moins coûteuse, tout en améliorant la communication financière grâce à un reporting plus transparent.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº783