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Réglementation : les banques étouffent sous la prolifération des projets de transformation

Créé le

02.11.2017

-

Mis à jour le

28.11.2017

Les institutions financières consacrent aujourd’hui d’énormes moyens financiers et humains dans la mise en place de projets destinés à mettre en œuvre les exigences réglementaires nouvelles dans leurs fonctions technologiques. Ce fonctionnement est-il vraiment adapté aux organisations bancaires ?

Face à la multiplication des exigences réglementaires locales et internationales, les institutions financières consacrent aujourd’hui d’énormes moyens financiers et humains dans la mise en place des différents reportings et procédures de suivi des risques. En réponse à la pression réglementaire, des transformations organisationnelles et culturelles profondes se succèdent dans les groupes bancaires. Des stratégies de réorganisations cycliques sont déployées tous les deux ou trois ans pour adapter le business et les fonctions supports aux réalités économiques, mais aussi pour renforcer les organes de suivi et de contrôle des risques. Les fonctions technologiques qui sont au cœur de ses transformations cherchent constamment à adapter les systèmes existants ou à développer de nouvelles applications informatiques qui leur permettent de répondre aux mieux à ces besoins.

Une des conséquences directes de ces stratégies de transformation est d’avoir encouragé, pour tout problème et pour toute nouvelle demande, la création de projets. Ainsi, la banque s’est transformée en une structure qui répond à la complexité des demandes réglementaires par la multiplication des projets dans un schéma organisationnel déjà très compliqué. Le nombre de projets réglementaires à réaliser en une année a fortement augmenté depuis une dizaine d’années, et avec lui le besoin de recruter des chefs de projets, managers et autres postes de coordinateurs. Des compétences et des profils qu’on ne trouve pas en abondance dans une banque traditionnellement, mais qui semblent devenir indispensables pour suivre et réaliser les transformations attendues. C’est la naissance de la « projification » : un recours intensif à une structure dite « en projet ». Une utilisation abusive d’une boîte à outils qui s’est transformée petit à petit en un métier à plein-temps.

Quelle efficacité opérationnelle ?

Le manque de formation en gestion de projets

Face à une telle prolifération des projets réglementaires, le management puise régulièrement dans le vivier des compétences internes de la banque pour trouver de nouveaux chefs de projets. Et c’est là tout l’enjeu de la formation en gestion de projet et l’accompagnement des opérationnels dans l’acquisition de nouvelles compétences. Si la gestion de projet était pendant longtemps la spécialité de l’IT et de quelques fonctions supports, il est fréquent de trouver aujourd’hui des chefs de projets dans tous les départements, y compris dans les équipes métiers ou front-office. Ainsi la stratégie qui consistait à propulser des experts opérationnels au poste de chef de projet sans prendre le temps de bien les former ou d’adapter leurs fiches de poste a montré ses limites. Un bon opérationnel qui est expert dans son domaine, mais qui n’est pas accompagné dans sa transition vers un métier de chef de projet, finira par revenir à l’exécution de ses tâches opérationnelles ; il délaissera petit à petit la gestion du projet qu’on lui a confié.

Le reporting projet

Dans une période où les banques font de la réduction des coûts une priorité, un suivi régulier et minutieux des budgets est nécessaire au niveau de chaque projet. C’est dans ce cadre-là que le chef de projet est censé dédier une partie de son temps aux tâches de reporting budgétaire, en plus du reporting de ses activités. Dans un contexte de projification, le reporting sur plusieurs projets devient rapidement une tâche laborieuse et très consommatrice en temps de projet. Une tâche qui nécessite parfois la coordination avec les différentes couches de PMOs [1] et autres coordinateurs transverses, locaux ou régionaux. Multiplier les projets sans fluidifier les processus de suivi et de reporting a créé un ralentisseur de projets et a fait d’une tâche importante comme le reporting une activité à plein-temps. Il est difficile de demander à un chef de projet d’anticiper la prochaine étape de son projet quand il passe son temps à décrire les étapes déjà franchies.

Une lourdeur administrative qui ralentit le déploiement des projets

La centralisation des processus administratifs au niveau des groupes bancaires a contribué à l’harmonisation des procédures entre entités du même groupe, tout en essayant de réduire les coûts. Sauf que cette centralisation n’est pas toujours adaptée à des plans de transformation aussi profonds et courts dans le temps. Un chef de projet est aussi souvent le responsable direct de la gestion des contrats avec les sous-traitants ou les consultants. En plus de la culture « tout projet », la projification a amené avec elle une forte demande de profils technologiques et de consultants experts des risques. Le recrutement de ces profils passe parfois par des listes de fournisseurs établies en central et dont il devient difficile pour un chef de projet de sortir pour recruter des collaborateurs avec des profils plus adaptés à son besoin. Du recrutement à la négociation commerciale en passant par la logistique, chaque tâche est une course de saut d’obstacles qui consomme du temps et de l’énergie en dépit des autres tâches du projet.

Les risques induits

La projification peut avoir des conséquences désastreuses quand elle éloigne la banque de son cœur métier. Elle peut créer un effet tunnel qui empêche la banque de penser son futur et d’adapter ses services à des clients de plus en plus exigeants. Des services clients qui focalisent toute l’attention de la concurrence et notamment des FinTechs, qui n’ont pas les mêmes contraintes réglementaires. La projification peut également saturer les capacités des équipes opérationnelles qui doivent répondre à la forte sollicitation créée par le flux des projets avec le risque de dégrader la performance ou la qualité du travail requis au quotidien.

Les courts délais dictés par les superviseurs et régulateurs ainsi que la surenchère des reportings réglementaires précipite le lancement des projets et laisse peu de temps aux réflexions sur les conséquences à moyen et long terme. Il n’est pas rare de voir des équipes travailler plusieurs mois, et parfois même plusieurs années sur des projets qui n’aboutissent pas ou qui n’apporteront que très peu de valeur ajoutée pour la banque.

Pistes de sorties et conclusion

La maîtrise de la projification au sein des établissements bancaires est une garantie pour le pilotage d’une transformation efficace. La simplification des organisations, l’investissement dans les formations internes, ou encore le pilotage de projet par valeur ajoutée sont autant d’initiatives qui peuvent être mises en place pour gérer les phases de projification tout en assurant l’exécution des projets de transformation nécessaires à l’activité bancaire.

 

1 Project Management Office.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº814
Notes :
1 Project Management Office.