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MIFID II : Les défis d’une mise en œuvre complexe

Créé le

15.05.2017

-

Mis à jour le

13.06.2017

Les auteurs rappellent les principaux impacts du paquet réglementaire MIFID II et dressent un état des lieux de la mise en œuvre chez les acteurs financiers, des défis auxquels ils doivent faire face ainsi que de possibles mesures de mitigation en cas de retard.

MIFID II et notamment ses exigences de transparence contribuent à l’émergence de nouvelles offres de services financiers, à l’entrée de nouveaux acteurs et à une concurrence accrue. Elle conduit les acteurs à transformer leurs modèles économiques et opérationnels. C’est le cas de la distribution de parts de fonds, qui est bouleversée par l’encadrement des rétrocessions, ou encore de la recherche financière dite « sell-side », qui va devoir être payée indépendamment de l’exécution. L’ensemble des métiers de la négociation vont être également bouleversés, avec une meilleure visibilité sur les rôles, la valeur ajoutée et les marges pratiquées par chaque intermédiaire tout au long de la chaîne de négociation (voir Encadré 1).

Protection des clients et digitalisation accrue

Les obligations de protection des investisseurs impactent le cycle de vie des produits et des services. La phase de conception de l’offre est modifiée avec la nécessité, pour le producteur, de définir le marché cible, la stratégie de distribution et d’échanger de manière périodique avec les distributeurs pour les réévaluer. Le parcours client est également bouleversé par une inflation des échanges de documents et une obligation d’enregistrement des communications et des entretiens (voir Schéma 1). Ces contraintes font craindre une moindre fluidité de l’expérience client, un ralentissement du parcours et une surcharge de travail administratif pour les équipes commerciales. Parmi les solutions considérées, on peut citer la refonte de la documentation client, la réallocation des tâches entre les équipes commerciales et le back-office, ainsi qu’un recours croissant aux solutions digitales. Par exemple, les conseillers en agence ne prendraient plus d’ordres au téléphone, les clients devant passer par des plates-formes web. Les équipes d’onboarding seraient réorganisées, avec la constitution d’équipes spécialisées sur les aspects réglementaires. Plus globalement, c’est l’ensemble de l’organisation en contact de près ou de loin avec le client qui doit changer ses habitudes de travail et accorder une place croissante à la protection des clients et aux enjeux de conformité.

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Trois défis pour les systèmes d’information

Face à ces transformations, les systèmes d’information doivent relever trois grands défis :

  • capturer et exploiter un vaste univers de données pour produire une avalanche de rapports et pouvoir reconstituer la piste d’audit des transactions. C’est une tâche complexe sachant que certaines données ne sont pas structurées (les conversations téléphoniques par exemple). Les solutions digitales et le Big Data sont considérés ;
  • concevoir des solutions transversales à l’entreprise, sachant que MIFID II couvre toute la chaîne de production avec de nombreux métiers et fonctions impliquées ;
  • se connecter et communiquer dans un environnement en forte évolution. Il s’agit notamment de mettre en place des flux d’échange avec les nouveaux lieux d’exécution et fournisseurs de services et adapter les connexions existantes (voir Schéma 2). Cela s’applique aussi aux échanges d’informations entre producteurs et distributeurs de services et produits financiers, alors que MIFID II ne propose pas de protocole d’échange.
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Une mise en œuvre complexe

À moins d’un an de l’entrée en vigueur de l’ambitieux paquet réglementaire MIFID II, de nombreux textes de niveau 3 doivent encore être publiés par l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA). Les orientations et questions-réponses sont pourtant essentielles pour clarifier des textes existants parfois très elliptiques. À cela s’ajoute la publication des transpositions nationales qui devra se faire au plus tard le 3 juillet 2017 : les acteurs peuvent s’attendre à devoir intégrer ces nouvelles exigences dans leurs feuilles de route, au risque de devoir gérer les contradictions avec la directive européenne. Relevons, par exemple, les différences de définition du trading haute fréquence selon MIFID II et l’AMF. L’enchevêtrement législatif complexifie encore le sujet, avec certaines incohérences entre la méthodologie de calcul des coûts et frais entre PRIIPs et MIFID II. L’application extraterritoriale de MIFID II reste aussi à clarifier : les nombreux cabinets d’avocats mobilisés par les acteurs financiers ne sont pas encore parvenus à une position harmonisée. Ces incertitudes législatives compliquent grandement la tâche, avec la nécessité de prendre des hypothèses de travail pour initier la mise en œuvre. Le risque d’une remise en cause de ces hypothèses par les publications réglementaires à venir n’est pas à exclure.

Enfin, le texte soulève également nombre de problématiques connexes dont la portée dépasse le simple cadre de MIFID. C’est le cas par exemple de la question de la gestion des données personnelles et de leur transfert à des tiers. Ces éléments sont structurants pour les entreprises d’investissement et restent à ce jour largement débattus au sein de l’industrie.

Un pilotage des projets très délicat

La multitude et la diversité des thèmes couverts par MIFID II vont impacter toute la chaîne de valeur des organisations, de l’exécution au postmarché en passant par les fonctions risques, juridiques, conformité et marketing. Implémenter MIFID II nécessite la mise en place d’une gouvernance projet très structurée et la capacité à fédérer les équipes autour d’un projet commun, car il faut mobiliser et coordonner des équipes aux domaines de compétence très variées, souvent réparties dans plusieurs entités et pays et s’appuyer sur les experts métiers pour leurs connaissances de l’activité, des processus, des clients et des enjeux. La complexité des obligations requiert une forte mobilisation des équipes sur du moyen terme, au risque de créer un goulet d’étranglement vis-à-vis de la charge de travail à absorber. D’autant plus que MIFID II s’inscrit dans un contexte déjà très chargé au niveau réglementaire (MAD/MAR, PRIIPs, IDD, SFTR, GDPR, CSDR…), technologique (transformation digitale) et économique (plan de réduction des coûts, évolution des modèles économiques).

Les équipes de maîtrise d’ouvrage et de maîtrise d’œuvre informatiques sont également en première ligne. La majorité des sujets impactent les systèmes d’information, dont certains sont au cœur de l’activité (plates-formes de négociation et d’exécution, systèmes de gestion des risques, référentiels…). Or les retards législatifs compliquent la tâche, les calendriers de livraisons informatiques étant généralement planifiés et lotis de manière stricte, du fait des contraintes métiers. La mise à niveau des différents systèmes existants représente un véritable défi, car la transversalité des sujets oblige à une véritable coordination entre les lignes métiers, afin de développer des solutions globales telles que requises par les textes (par exemple, la déclaration des transactions). Par ailleurs, le démarrage de MIFID II devra être fait en mode « big-bang », avec l’écrasante majorité des obligations qui rentreront en vigueur au 3 janvier 2018. Enfin, la mise en place de MIFID II s’accompagne souvent d’un plan de remédiation MIFID I qui, bien que datant de 2007, a été l’objet d’une mise en œuvre très inégale…

Retard et solutions intermédiaires

Malgré le décalage d’un an et compte tenu de l’ampleur des travaux restants à mener, il est peu vraisemblable que l’ensemble des acteurs soient prêts dès janvier. Ceci vaut également pour les régulateurs : on peut légitimement s’interroger sur leur capacité à absorber et à analyser une quantité colossale de données dès l’entrée en vigueur de la réglementation.

Les opérateurs de marché et prestataires de services concernés doivent prendre les devants et informer dès à présent leurs régulateurs nationaux sur les difficultés rencontrées et les éventuels retards pris dans la mise en œuvre. La communication peut se faire directement ou via les associations de Place qui sont très actives sur le sujet telles que l’AFTI, l’AMAFI et l’AFG en France ou l’AFME au Royaume-Uni. Les grands établissements, qui disposent de filiales dans plusieurs pays européens, devront veiller à coordonner leurs actions au niveau groupe pour agir de concert auprès de leurs différentes autorités compétentes. Pour être bien préparé, il conviendra de porter une attention toute particulière aux sujets en lien avec la protection des investisseurs – notamment envers la clientèle de détail – et ceux pour lesquels les données sont uniformisées et facilement disponibles, comme la déclaration des transactions. Il s’agit donc d’être vigilant en priorisant les sujets et en proposant des solutions intermédiaires appropriées. Ainsi, projeter une mise en conformité MIFID II échelonnée en fonction de la maturité des sujets semble envisageable à condition d’y adjoindre obligatoirement un plan d’action allant au-delà de 2018. À ce titre, les choix adoptés doivent reposer sur un argumentaire solide à destination des régulateurs. Il s’agit, d’une part, d’exposer ce qui peut être fait dans les délais impartis et, d’autre part, de démontrer la volonté de mettre en œuvre des solutions robustes et pérennes dans des délais raisonnables. La thématique de l’affichage des coûts et frais est assez représentative : à ce jour (début mai 2017), les acteurs ont dû adopter des hypothèses de travail structurantes pour pallier les flous réglementaires afin d’être conformes à temps, hypothèses qui pourraient être totalement remises en cause par les prochains textes de l’ESMA attendus courant mai.

Des régulateurs plus exigeants

Les règles du jeu ont changé ces dix dernières années, suite à l’avalanche réglementaire qui a suivi la crise des subprime, aux scandales liés aux manipulations du marché des changes et aux lourdes amendes infligées par les autorités. Si les régulateurs ont pu être conciliants lors de la mise en place de MIFID I et les investisseurs moins regardants, les attentes liées à MIFID II sont plus fortes. Au vu du calendrier très serré, la responsabilité du senior management sera de procéder aux arbitrages nécessaires, afin de trouver le bon équilibre entre les risques de non-conformité (donc de sanctions), d’image et de réputation, tout en contenant les coûts de mise en œuvre dans un contexte budgétaire très contraint.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº809