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Bonus

Jouer les « bons élèves » n’apportera rien aux banques françaises

Créé le

20.07.2010

-

Mis à jour le

04.08.2011

La tempête médiatique sur les bonus est passée. Après de longs mois de mise à l’amende par les politiques et après avoir été largement décriés dans l’opinion publique, les professionnels de la finance peuvent enfin souffler.

Décembre 2009. Dans un élan de moralisation de la finance, France et Royaume-Uni décidaient de taxer les rémunérations variables après une longue période où politiques et médias s’acharnaient contre les banquiers. Cette campagne de condamnation forcenée a laissé les banquiers abattus et surtout amers. Depuis, ces derniers ont été tenus informés du montant de leur bonus au titre de l’année 2009. Et la montagne a bien accouché d’une souris…

Certes, il ne fait aucun doute que les bonus sont en nette hausse par rapport à l’année dernière, et ce malgré la taxe exceptionnelle instaurée par le gouvernement. Il n’aurait pas pu en être autrement après une année aussi désastreuse que celle de 2008.

L’année passée, le scénario a été complètement différent : la majorité des établissements bancaires a enregistré une année record sur les activités de marché. La banque de financement et d’investissement de BNP Paribas a généré 12,2 milliards d’euros de revenus en 2009, un chiffre qui a triplé en un an, quand la Société Générale Corporate & Investment Banking a multiplié ses revenus par 4,5 en atteignant les 6,9 milliards d’euros. Dans de telles circonstances, difficile de priver les professionnels de leurs bonus, qui constituent par ailleurs la principale source de leur rémunération.

Les Français moins bien lotis

Les enquêtes menées par eFinancialCareers.com montrent que les financiers français ne sont pas particulièrement bien lotis en matière de bonus. Seulement 46 % d’entre eux ont constaté une hausse par rapport à l’an passé contre une proportion de 57 % chez les professionnels de la City. Pour ces derniers, le montant de leur bonus a, en moyenne, doublé en un an, alors que seul un tiers des professionnels français a pu bénéficier d’une telle augmentation.

Quoi qu’il en soit, ce sont les plus gros montants – des cas isolés donc – qui font les gros titres. Ainsi BNP Paribas aurait versé 10 millions d’euros à l’un de ses traders à Londres tandis que la Société Générale aurait attribué un bonus maximum de 6,5 millions d’euros, selon Le Figaro. Des chiffres qui, au passage, font pâle figure à côté d’une certaine grande banque d’affaires américaine, dans laquelle 78 employés ont touché un bonus supérieur à 5 millions de dollars et 21 personnes ont décroché plus de 8 millions de dollars. En outre, les banques françaises payent désormais trois fois moins en cash qu’avant la crise, une politique que n’ont pas adoptée de manière universelle ses rivales anglo-saxonnes.

Les banques françaises se montrent tout aussi « raisonnables » côté salaire. Si dans l’enquête, 59 % des répondants basés en France ont bien bénéficié d’une augmentation, l’augmentation moyenne s’élève seulement à 12 %. Au Royaume-Uni, près des deux tiers des participants ont indiqué avoir profité d’une hausse de salaire, celle-ci étant de 26 % en moyenne.

Autoflagellation

Sur le plan des rémunérations fixes comme variables, les banques françaises agissent donc comme si elles cherchaient à décrocher une médaille de bravoure. BNP Paribas a ramené son ratio de compensation (bonus et fixes compris) à 27,7 % alors que ce dernier s’établissait aux alentours de 40 % ces dernières années. « Il se situe parmi les plus bas du secteur au plan mondial », se félicite BNP Paribas dans un communiqué. Cette tendance à l’autoflagellation ne manque pas de surprendre les observateurs anglo-saxons, pour qui le monde de la banque d’investissement se résume à ce simple dicton : « It’s a simple case of who pays wins ! »

Il est surtout évident que cette stratégie n’est pas viable à long terme et que les banques françaises se retrouvent dans une impasse, prises entre deux feux.

D’un côté, elles se voient contraintes à jouer les premières de la classe et à caresser dans le sens du poil politiques et opinion publique. Pourtant, quoi qu’elles fassent, cela ne semble jamais suffisant. De l’autre, cette surenchère dans la modération leur fait subir la pression de leurs concurrentes étrangères. BNP Paribas s’est ainsi récemment dite préoccupée à l’idée de perdre ses meilleurs éléments au profit de groupes plus généreux, indiquant qu’elle avait probablement atteint un niveau plancher en dessous duquel elle perdrait ses traders.

On touche là au cœur du problème. Certes, le risque de fuite des talents n’est pas un phénomène nouveau pour l’industrie financière française. Seulement, le marché de l’emploi dans le secteur frémit à nouveau et nombreuses sont les banques étrangères qui débauchent des professionnels chez leurs rivales grâce, notamment, à une politique de rémunération fixe agressive, et ce y compris sous leur nez, à Paris.

Peu d’avantages, beaucoup d’inconvénients

La taxe exceptionnelle sur les bonus, qui a été au centre des débats ces derniers mois, est allée à l’encontre des intérêts du secteur et de ses 400 000 employés. Elle a également sapé les efforts réalisés par Paris Europlace pour favoriser l’attractivité de la place financière parisienne.

De manière presque ironique, la taxe ponctuelle sur les bonus, instaurée par les gouvernements français et britannique et censée inciter les établissements bancaires à réduire les primes versées à leurs employés, s’apparente finalement à un coup d’épée dans l’eau.

Nos enquêtes menées en France et au Royaume-Uni montrent en effet que les professionnels interrogés qui ont vu leur bonus diminuer ou stagner invoquent comme principale raison la faible performance de leur entreprise, très loin devant l’impact de l’imposition de la taxe sur les bonus (seulement 2 % des réponses obtenues). 28 % de l’ensemble du panel sont même convaincus que la taxe sur les bonus n’a eu aucun impact sur le montant de ces rémunérations variables.

En revanche, pour plus de la moitié des financiers français interrogés, la taxation des bonus fait peser un risque sur la place financière française. La fuite des talents constitue la principale menace identifiée, pour près de la moitié d’entre eux.

Plus inquiétant, un peu plus de la moitié des professionnels interrogés dans le cadre de l’enquête pensent que cette taxe ne sera pas exceptionnelle et qu’elle pourrait ainsi s’appliquer à nouveau à l’avenir. Si c’était le cas, 58 % des répondants se disent prêts à partir travailler à l’étranger. Londres, Genève et New-York constituent le « top 3 » des places financières les plus attrayantes aux yeux des professionnels français.

Trouver un bon équilibre

À ce stade, il paraît donc essentiel de rassurer sur le caractère ponctuel de la taxe. Il convient également de travailler au caractère universel des politiques en la matière, sans oublier le véritable objectif : construire un système financier mondial plus stable pour minimiser les risques d’une nouvelle crise financière. Espérons que les organisations internationales et les gouvernements n’agissent pas une fois encore dans la précipitation. Ils ont une année pour accorder leurs violons, faute de quoi la pression des gouvernements européens sur les rémunérations des banquiers représentera un désavantage concurrentiel dangereux.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº723