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Étude

L’IA et les banques, entre foisonnement et interrogations

Créé le

18.10.2018

-

Mis à jour le

30.10.2018

Un an après la publication de la première étude sectorielle « L’intelligence artificielle dans la banque : emploi et compétences », réflexions et expérimentations se poursuivent dans les banques, qui vivent actuellement une période de transition avec l’intelligence artificielle.

L’intelligence artificielle (IA) est le sujet du moment dans notre société. Ce n’est ni un buzzword, ni un effet de mode. Le flot continu des articles de presse, des ouvrages ou des rapports en est une bonne illustration. Les États s’en emparent, multipliant les rapports. La France n’est pas en reste avec le rapport Villani (« Définition d’une stratégie nationale sur l’intelligence artificielle », mars 2018) et celui de France Stratégie (« Intelligence artificielle et travail », mars 2018). Le monde de la recherche ou de l’entreprise non plus, avec le rapport de l’Académie des technologies (« Renouveau de l’intelligence artificielle et de l’apprentissage automatique », avril 2018) ou le Livre blanc de l’Institut national de recherche en sciences du numérique (INRIA) sur le véhicule autonome et connecté (VAC).

Les victoires de la machine sur l’homme défraient régulièrement la chronique avec en toile de fond les questions autour du remplacement de l’homme dans les métiers ou de la fin du travail. Tant est si bien qu’il est difficile de se faire une idée sur la portée et l’impact réel de cette technologie.

C’est dans ce contexte mouvant et propice aux tensions que l’Observatoire des métiers de la banque nous a confié une étude sur le thème : « L’intelligence artificielle dans la banque : emploi et compétences ». Le rapport a été publié le 7 décembre 2017. Elle est la première étude sectorielle en profondeur sur l’impact de l’IA et reste la seule à ce jour.

Quels sont les principaux enseignements à retirer de nos travaux ? Que s’est-il passé depuis un an dans les banques ? Quelles questions deviennent urgentes à traiter ?

Les grands enseignements de l’étude

L’étude a porté sur quatre axes principaux (cf. Figure n° 1). L’objectif est de partir d’un état des lieux factuel des pratiques et de l’utilisation de l’IA, puis de donner des perspectives.

Cinq enseignements majeurs ressortent dans cette étude :

  1. les banques sont des acteurs très fortement impactés par l’IA : elles disposent de gros volumes de données régulièrement mis à jour via les mouvements bancaires de leurs clients. Elles font partie des premières entreprises à s’être informatisées et à utiliser l’IA : aide à la décision (score, règles expertes), détection de fraude, optimisation des ressources, reconnaissance optique, analyseur d’e-mail, gestionnaire de base, chatbot, etc.;
  2. il y a un véritable foisonnement de projets d’IA dans le secteur bancaire. Toutes les directions d’une banque et tous les niveaux hiérarchiques sont concernés ;
  3. la tendance observée consiste à transférer à la machine des connaissances bancaires. La machine devient progressivement experte, posant de fait des questions sur la place du collaborateur bancaire et sur les compétences utiles  à l’avenir ;
  4. contrairement aux idées parfois véhiculées, les transformations induites par l’IA sont plus profondes que les précédentes. Elles touchent non seulement les activités, mais également la nature même des compétences à mobiliser ;
  5. enfin, le mouvement d’adoption de l’IA dans le secteur bancaire va se poursuivre et s’amplifier, sauf durcissement réglementaire. Les banques devraient dès à présent privilégier une approche plus globale et plus complète de l’IA que ciblée sur quelques activités, quitte à lotir leur plan IA. Elles objectiveraient les positions aujourd’hui exprimées sur l’emploi et prendraient le temps de gérer la transition pour leurs collaborateurs actuels.

Que s’est-il passé depuis un an dans les banques ?

L’IA est une priorité pour les banques, mais beaucoup moins élevée que la recherche de revenus, dans un contexte de taux bas. Les travaux sur l’IA sont peu mentionnés dans les rapports d’activité périodiques. Un survol un peu rapide des communications des banques françaises sur ce sujet pourrait donner l’impression que peu de choses ont bougé en un an.

Pourtant, la période a été mise à profit pour acculturer la ligne managériale à l’IA et pour identifier des cas d’usage [1] qui pourraient être traités avec les technologies sous-jacentes. Les projets portent principalement sur l’automatisation de tâches via le déploiement d’outils dits de RPA (robotic process automation ou robotisation des processus). Ces outils permettent, par exemple, de limiter les tâches de ressaisie dans les back-offices ou d’optimiser des processus de KYC (know your customer). Leur mise en œuvre n’est pas immédiate et nécessite souvent d’aller au-delà du seul processus étudié. Des expérimentations sur des agents conversationnels se sont multipliées. Les potentialités attendues ne se sont pas confirmées pour l’heure. Elles permettent de toucher du doigt la complexité de ces projets et les délais de mise en œuvre sont souvent plus longs qu’espérés.

Le Crédit Mutuel a annoncé la création d’une Cognitive Factory au mois de mai 2018 constituée d'une centaine de professionnels et experts, tandis que BNP Paribas a finalisé un recensement exhaustif des cas d’usage pour tous ses métiers. Le Hub France IA, association de loi 1901 lancée en juillet 2017, qui vise à fédérer des initiatives en IA en France, a créé un groupe de travail Banques et Assurances auquel participent La Banque Postale et Société Générale. L’appréciation des impacts sur les métiers, le travail et les compétences reste toujours en retrait. Les banques sont avant tout fortement mobilisées sur les réorganisations annoncées de leur réseau commercial.

Le foisonnement mis en évidence en décembre 2017 se poursuit en 2018. Cela étant, l’IA est passée d’un sujet d’intérêt pour un nombre limité de collaborateurs à une prise en compte beaucoup plus large.

Les banques vont devoir accélérer

Plusieurs facteurs vont bousculer les banques et remettre l’IA sur le dessus de la pile.

Tout d’abord, les avancées des réflexions et des déploiements dans des secteurs d’activité proches comme les assureurs ou les mutuelles, ou plus éloignés comme la médecine ou l’automobile, vont exercer une forme de pression à faire pour les banques. Pourquoi eux et pas les banques ?

Ensuite, les travaux menés au niveau national ou international sur l’éthique ou sur des sujets de normalisation pourraient voir les banques renforcées dans un rôle de tiers de confiance. C’est une réelle opportunité pour elles et un puissant facteur de différenciation, notamment par rapport aux GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) dont la politique en matière d’utilisation des données est peu lisible et peu transparente.

Le point le plus sensible reste lié à l’emploi, au travail et aux compétences. Les collaborateurs et les organisations syndicales pourraient s’en inquiéter à nouveau, faute d’une prise en compte plus affirmée de l’IA et d’orientations assumées sur l’évolution des métiers. Et pourtant, bâtir un plan IA, c’est se projeter. La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) [2] ou les observatoires des métiers au sein de certaines banques sont des outils utiles à revaloriser. Le SNB/CFE-CGC a organisé récemment cinq colloques sur l’IA et publié, au mois de juillet 2018, une charte RH et numérique. Ce syndicat, très implanté dans le secteur bancaire et fortement mobilisé sur les questions de formation, demande un plan Marshall de la formation dans les banques. D’autres pourraient lui emboîter le pas.

En conclusion

Les banques vivent une période de transition avec l’IA. Elles sont au milieu du gué, un an après la publication de notre étude. Les expérimentations se poursuivent sans aller jusqu’à la phase industrielle. Les banques gagneraient pourtant à s’emparer de ce sujet, ne serait-ce que pour identifier de nouvelles sources de revenus et des gisements de productivité, pour valoriser un rôle de tiers de confiance et une nouvelle forme d’éthique dans l’utilisation des données. Il est cependant important qu’elles ne mettent pas la barre trop haut pour éviter d’être déçues et de reporter à plus tard leurs projets IA… il y a tellement de cas d’usage opérationnels à déployer avant de vouloir développer le langage naturel et des agents conversationnels. L’IA n’est pas de la science-fiction. C’est finalement la poursuite de l’informatisation des entreprises par d’autres moyens. Derrière l’acronyme « IA », il faudrait comprendre « informatique et algorithme » et ça… ça change tout !

 

1 L’étude recensait 80 cas d’usage dans les trois familles de métiers de la nomenclature de l’Observatoire des métiers, dont 15% dans les forces de vente, 25% dans le traitement des opérations et 60% dans les fonctions supports, ndlr.
2 Elle pourrait être rebaptisée gestion prévisionnelle des emplois, du travail et des compétences (GPETC).

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº825
Notes :
1 L’étude recensait 80 cas d’usage dans les trois familles de métiers de la nomenclature de l’Observatoire des métiers, dont 15% dans les forces de vente, 25% dans le traitement des opérations et 60% dans les fonctions supports, ndlr.
2 Elle pourrait être rebaptisée gestion prévisionnelle des emplois, du travail et des compétences (GPETC).