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Rencontre avec… Lionel Dourron, New Business Developer chez ACI Worldwide

« En France, toutes les banques proposent des services temps réel. L’instant payment n’a pas d’intérêt pour le moment. »

Créé le

25.03.2019

-

Mis à jour le

29.03.2019

Éditeur et prestataire de services bancaires au niveau mondial, ACI Worldwide investit massivement dans les services liés aux transactions en temps réel. Fin connaisseur du marché français, Lionel Dourron revient pour nous sur le positionnement des banques autour de deux de ces services : l’instant payment et SWIFT gpi.

 

ACI Worldwide s’investit beaucoup dans les différents systèmes de paiement temps réel dans le monde. En France, où en est-on avec l’arrivée de l’instant payment prôné par la Banque Centrale Européenne (BCE) ?

En France, les banques les plus importantes aujourd’hui ont lancé le service en fin d’année dernière au moins en réception, et certains sont en train de travailler pour l’offrir en émission comme en réception. La BCE a fait des annonces récemment, qui mettent en avant le TIPS (Target Instant Payments Settlement, plate-forme de paiement instantané en zone euro) pour que toutes les banques en Europe adoptent vite l’instant payment.

Les premières réactions des utilisateurs ne sont pourtant pas très bonnes. Ils ne voient pas la plus-value par rapport à un virement classique et ne comprennent pas pourquoi ils sont facturés en plus. Cela va-t-il changer ?

Le problème est le retour sur investissement. Les banques justifient la tarification, parce qu’elles ont fait des investissements dans l’instant payment. Or, aujourd’hui, un virement SEPA est gratuit, en tout cas de particulier à particulier. Rapidement, ce surcoût ne pourra pas tenir : entre l’instantanéité et un service en 24 heures, pour le particulier, cela ne se justifie pas. Et les volumes aujourd’hui sont plutôt sur les transactions entre particuliers. En France, les banques les plus importantes sont prêtes. Après, au niveau des banques de taille moyenne ou des banques internationales ayant des entités en France, l’année dernière, il n’y avait aucune demande réelle autour de ça. Je pense que les choses devraient bouger d’ici fin de cette année avec des offres élargies aux professionnels. Il y a aujourd’hui plus de 200 participants potentiels indirects en France autour de l’instant payment. C’est un terrain de jeu assez énorme, mais nous n'en sommes encore qu'au tout début.

Le service s’adresse d’abord aux particuliers ?

Oui. Aujourd’hui, je n’ai pas vu d’application pour les professionnels, en dehors de l'offre de Natixis dans le domaine de l’assurance.

Quel est l’intérêt de l’instant payment pour les banques ?

Il faut savoir que le traitement des opérations d’instant payment coûte moins cher que celui des opérations carte. In fine, ce sont quand même deux business models concurrents, surtout sur les transactions de particulier à particulier. Il est moins cher pour la banque, mais il s’attaque à celui de la carte. Or, en France, les banques ont créé de grosses entités dédiées au traitement des opérations carte, parce que – justement – cela leur rapporte de l’argent. Alors que l’instant payment, aujourd’hui, ne leur en rapporte pas puisque les particuliers peuvent utiliser un virement, qui est gratuit.

Comment les banques pourraient gagner de l’argent sur l’instant payment ?

Je pense que ce sera plutôt dans les services aux entreprises qu’elles en tireront des bénéfices plus qu’envers les particuliers. Après, certaines évolutions sont intéressantes : en Belgique, par exemple, l’instant payment est poussé pour tuer le chèque ; ainsi, il y a peu de chèques, qui sont utilisés plutôt pour les actes notariaux ou sur de gros montants. Du coup, ils ont déplafonné l’instant payment. Mais, au-delà de cet exemple, je pense que les banques n’ont pas encore trouvé d’usage assez intéressant.

Nous fournissons des solutions, surtout en Europe depuis dix ans, autour du faster payment, qui est à peu près la même chose. Ainsi, au Royaume-Uni, ce modèle a pris, car à l’époque, leur système monétique était vieillissant, le business model de la carte ne fonctionnait pas très bien, les virements de paiements n’étaient pas pseudo-instantanés alors qu’aujourd’hui, c’est le cas. Entre un instant payment et un virement SEPA, la différence est-elle tangible ? Par exemple, je veux faire un virement SEPA, si je n’ai pas le compte du destinataire, il faudra 48 heures pour que la banque fasse les vérifications. Mais s’il est déjà enregistré dans mon application, je fais des virements presque instantanément, gratuitement, et l’instant payment n’apporte rien de plus.

Est que l’instant payment ne pourrait pas être une façon pour les banques de répondre aux FinTechs comme N26 ou Revolut ?

Les FinTechs constituent un grand sujet en France pour les banques, qui sont prêtes à racheter les modèles qui marchent bien. C’est un terrain de jeu. Mais à mon avis, les offres des FinTechs ciblent encore des populations très cantonnées, pour des usages trop particuliers. Cela étant, il est vrai que l’instant payment remet en cause toute la chaîne de la transaction : les processus de parcours clients, comme la gestion de la fraude. Il requiert d’autres outils, et pour nous, en tant qu’éditeur, ce sont des éléments intéressants, en tout cas en termes de business.

Un des autres sujets sur lequel ACI s’investit est SWIFT gpi. Où en est-on ?

Il faut savoir que les moteurs d’ACI traitent 9 % de toutes les transactions Swift dans le monde et 30 % de celles aux États-Unis. Aujourd’hui, plus de 400 banques utilisent Swift. D’ici deux ans, à peu près 200 banques, soit la moitié des banques clientes de Swift, vont utiliser le service Swift gpi. Cela représentera 80 % des trafics Swift actuels qui vont passer sur Swift gpi. Par rapport à une transaction Swift normale, Swift gpi ajouter plus d’information (taux de change, commission, etc.). Ce sont des éléments que les banques peuvent communiquer (ou pas) à leurs clients commerçants. Il est également possible de suivre la transaction de bout en bout. En fait, c’est plus de qualité autour de la transaction, donc plus de valeur, et la banque pourrait aussi valoriser cette valeur. À la différence de l’instant payment pour les particuliers, Swift gpi concerne de très gros montants entre professionnels et ces derniers sont prêts à payer pour ce service.

Les banques auront donc plus de facilité à générer des revenus sur ce service ?

Oui, et c’est la raison pour laquelle elles s'y sont intéressées et que la moitié d’entre elles se sont engagées à y aller en moins de quatre ans. Il existe, avec ce service, un vrai business model. Et Swift gpi a publié une API qui donne un tracker pour avoir l’information. La banque a un compte et elle va avoir accès à l’ensemble de cette transaction avec plus de détails sur cette dernière… mais après ? C’est là où nous intervenons. Par exemple, nous proposons une base de données synchronisée avec l’API de Swift gpi. La banque va pouvoir l’interfacer avec toutes ses applications on-line, avec son back-office, etc. Elle pourra proposer des historiques, des reportings mais aussi de l’analyse.

Les banques réfléchissent déjà à ces services ?

Elles doivent d’abord être compatibles avec le standard. Un grand groupe gère beaucoup de plates-formes, pour les virements et les prélèvements, qui ne sont pas forcément au même endroit, et pas forcément pour les mêmes entités. Dans ce contexte, que veut dire être compatible ? Une seule connexion Swift gpi en central permet-elle de gérer ces différentes plates-formes ? Faut-il plusieurs connexions ? Les banques n’en sont pas encore à réfléchir aux services associés.

Où se situent les banques françaises, sur le plan opérationnel ?

Nous commençons à avoir des clients qui sont passés sur Swift gpi et sont aujourd’hui opérationnels. J’ai lancé beaucoup de « petits cailloux » auprès des différents établissements qui ont réfléchi sur leurs budgets sur cette année. Certaines font du développement en interne. Cela sera suffisant pour disposer d’une connexion et être « compliant Swift gpi » à court terme, mais sans doute pas pour proposer à leurs clients des services à valeur ajoutée, du tracking, des historiques, du stockage, etc. Je pense qu’aujourd’hui, les banques en sont plus à la compatibilité mais pas encore sur les services à valeur ajoutée. C’est un vrai sujet puisqu’elles facturent aujourd’hui déjà les transactions, et les entreprises sont prêtes à payer quelques euros de plus pour avoir un service à valeur ajoutée. En plus, Swift gpi n’est pas technologiquement révolutionnaire ; les investissements à réaliser pour les banques ne sont donc pas très élevés.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº831