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Qu’est-ce que le métavers, et peut-on y investir ?

Créé le

20.01.2022

En deux pages, entrons dans un monde en 3D. C’est le monde des métavers, cet univers parallèle qui a poussé la maison-mère de Facebook à changer de nom. Si Mark Zuckerberg est convaincu, il n’est pas certain que les investisseurs aient aujourd’hui intérêt à le suivre.

« Métavers » est le nouveau terme à la mode dans le secteur des hautes technologies, fortement promu par Mark Zuckerberg, P-DG de Facebook, et d'autres sommités du secteur. Il promet, entre autres, que les résidents de cet univers parallèle seront virtuellement présents dans des environnements partagés en 3D et ne se contenteront pas de regarder ces environnements en 2D sur un écran d'ordinateur. Ces espaces virtuels seront ensuite reliés en continu dans un univers virtuel auquel vous pourrez participer avec d'autres personnes par le biais d'avatars. Cette participation pourrait inclure la conversation, le jeu, le travail, et vous pourriez même être en mesure de manipuler des objets et d'échanger des cryptomonnaies.

Par exemple, dans une séance Zoom ou Teams de type 3D, vous ne verrez pas les gens sur votre écran, vous serez à l'intérieur de l'écran, dans la pièce en tant qu'avatar, parlant et partageant des documents et des objets avec d'autres avatars.

Certains prétendent que c'est l'avenir de l'Internet. « Il s'agira plutôt d'une évolution de l'Internet, d'une nouvelle étape », déclare Jonathan Mzengeza, gestionnaire de portefeuille du Fonds des sciences et des technologies mondial Renaissance, qui atténue la surenchère médiatique mais souscrit quand même à la vision du métavers.

Pas si facile…

Le concept est vite formulé, mais sa mise en œuvre « n'est pas si facile », estime Benoît Ozell, professeur associé au département de génie informatique et logiciel de l'Université de Montréal. À ce stade, explique-t-il, « je peux trouver des casques 3D qui pourraient représenter mon environnement et moi-même. Mais comment puis-je obtenir une image de moi-même et de mes collègues, au sein de cet environnement et en 3D ? Bien sûr, il existe des caméras qui pourraient le permettre, mais pour l'instant, les casques n'en intègrent aucune. »

Et le métavers vise à être plus qu'une simple salle de réunion. L'idée est de connecter des « pièces/espaces/zones » dans un univers transparent et continu. Pas si facile en effet, mais pas impossible.

De nombreuses technologies et évolutions qui existent séparément commencent à fusionner. C'est dans la réalité augmentée (RA) plutôt que dans la réalité virtuelle (RV) que cela s'est produit de la manière la plus convaincante jusqu’ici, principalement dans les entreprises et les établissements d'enseignement.

La RA fonctionne principalement avec des lunettes sur lesquelles est projetée une image informatique, comme le fait par exemple l'HoloLens de Microsoft.

Mais nous ne sommes qu’au premier jour de la création du métavers, qui émergera « à l'intersection d'une myriade de technologies : Internet, multimédia, jeux vidéo, médias sociaux, informatique en périphérie (edge computing), cryptomonnaies, explique Jonathan Mzengeza. Nous n'en sommes pas encore à l'immersion totale, mais les éléments qui la permettront commencent à faire effet. »

Les joueurs de jeux vidéo : premiers colons du métavers

Les plateformes de jeux sont le principal domaine où le métavers prend lentement forme, estime M. Mzengeza, point de vue partagé par Neil Macker, analyste spécialiste de ce secteur chez Morningstar. Les participants y interagissent déjà et « vivent » au sein de jeux en ligne multi-joueurs massifs (MMO) comme Fortnite et Minecraft. Certains s'assurent même des revenus à six chiffres dans la vie réelle en vendant des objets virtuels et des biens immobiliers en ligne.

Cependant, les environnements sont encore des paysages en 2D que l'on regarde sur un écran d'ordinateur, le saut vers la 3D étant encore loin. Cela dit, les joueurs en ligne sont potentiellement les premiers colons d'un futur métavers, vivant déjà dans des représentations de mondes imaginaires.

Le passage à un métavers 3D à part entière pose certains défis issus de l'univers réel qui dépassent la technologie. Certains sont d'ordre anatomique : porter un casque 3D pendant plus d'une heure provoque une fatigue non négligeable, notamment au niveau des yeux qui se fatiguent à se concentrer toujours sur un point précis, ce que l'on peut éviter avec un écran d'ordinateur 2D en déplaçant son regard ailleurs. Certaines personnes ressentent des vertiges et des nausées provoqués par la différence marquée que le corps ressent entre les images en mouvement et leur position statique.

Deux autres défis majeurs ont trait à la psychologie et la sécurité. À moins que les images ne soient parfaitement fidèles à la réalité, le métavers devra probablement se contenter de représentations plutôt approximatives pour éviter ce que les universitaires anglo-saxons appellent « uncanny valley » (la vallée surnaturelle), un vague sentiment de panique semblable à celui que l'on peut ressentir dans un film d'horreur lorsque des objets apparemment réels sont subliminalement « irréels », comme un personnage qui ne cligne des yeux que toutes les minutes environ. Par ailleurs, « voudriez-vous qu'un casque équipé d'une caméra espionne tout ce qui se passe chez vous et le diffuse au monde entier ? », demande M. Ozell.

Investir dans le métavers ?

Le métavers est-il en train d'acquérir une dimension commerciale ? Les analystes actions de Morningstar sont pour l’instant sceptiques. Oui, les MMO sont populaires, les casques VR se vendent, des puces puissantes sont construites, mais tout cela ne crée toujours pas un métavers. Selon M. Ozell, « il progresse sur plusieurs fronts, avec des acteurs comme Epic Games, Roblox, nVidia et Facebook. Mais je pense que personne n’y est encore ».

Certains gérants de fonds, comme M. Mzengeza, sont plus optimistes. Son fonds investit dans Tencent, la société chinoise qui tire 50 à 60 % de ses revenus des jeux et possède des actions d'Epic Games et de Roblox.

Le fournisseur de services de paiement en cryptomonnaie Nuvei est une autre sélection du métavers prisée par M. Mzengeza, avec des revenus qui devraient augmenter de 90 % cette année, passant de 375 millions de dollars l'an dernier à 700 millions de dollars à la fin de 2021. Bien sûr, Nuvei est présent dans d'autres domaines comme le commerce électronique et les jeux d'argent, mais comme le transfert d'argent entre le monde virtuel et le monde réel va devenir de plus en plus important (ce qu'on appelle le « offboarding » et le « onboarding », c'est-à-dire « débarquement » et « embarquement »), la société est bien placée pour en profiter.

Les investisseurs qui commencent à s’intéresser au métavers devraient garder à l’esprit qu’il s’agit d’un thème d’investissement parmi d’autres.

Or, lorsque vous investissez dans un thème, vous faites implicitement trois paris. Vous pariez que vous êtes capable de : 1) choisir un thème gagnant ; 2) sélectionner un fonds qui est bien placé pour survivre et exploiter ce thème ; 3) estimer que le marché n'a pas encore évalué le potentiel du thème (c’est-à-dire que les perspectives de croissance ne sont pas encore intégrées dans le prix des titres). Il est difficile, voire impossible, d'obtenir régulièrement ces trois résultats.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº865