On a beaucoup parlé de l’« ubérisation » des métiers financiers, c’est-à-dire de l’apparition de nouveaux acteurs – les FinTechs – qui allaient ou devaient remplacer les acteurs traditionnels de la finance. Mais c’était accorder à ces nouveaux entrants plus de force qu’ils n’en ont. Surtout, il s’agit là d’une erreur de diagnostic. Les banques exercent le plus vieux métier du monde, et il y aura toujours des banques. Comme dans toute industrie, les regroupements, fusions et autres évolutions conduisent à ce que le paysage des acteurs bancaires évolue dans le temps : de nouveaux acteurs apparaissent, d’autres disparaissent. Rien de nouveau sous le soleil. Ce que les commentateurs n’avaient pas forcément anticipé, c’est que le défi des acteurs traditionnels ne vient pas principalement des nouveaux acteurs, mais de la technologie elle-même. En fait, c’est la question classique de savoir si l’apparition d’une technologie ne vient pas bouleverser le fonctionnement d’une activité et d’une profession, condamnant à disparaître ceux qui ne voient pas cette évolution technologique. L’exemple classique est la disparition des producteurs de carrosses et autres calèches au profit des constructeurs automobiles au début du XXe siècle. Mais une fois encore, des banques, il y en aura toujours. Par contre, la manière dont elles exercent leurs activités est en profonde évolution, et la plupart, si ce n’est toutes, ont amorcé le virage du numérique. Mais le digital n’est déjà plus le seul enjeu. Aujourd’hui, avec le déploiement de la technologie blockchain et la multiplication de ses usages, c’est un autre défi qui attend les acteurs de la finance (en ce compris les FinTechs) : celui de la « tokénisation » de certaines de leurs activités du fait du développement très rapide de ce que l’on appelle la token economy, c’est-à-dire l’économie digitalisée et décentralisée via les « Dapps » ou applications décentralisées.
Qu’est-ce qu’une Dapp ?
Une Dapp est une application open-source ayant plusieurs caractéristiques :
- elle fonctionne de manière autonome et sans entité de contrôle majoritaire ;
- les données et les enregistrements sont stockés cryptographiquement dans une blockchain publique et décentralisée ;
- l’utilisation d’un jeton cryptographique (token) est rendue nécessaire pour accéder à l'application elle-même, étant entendu que l'application doit générer des jetons selon un algorithme cryptographique standard servant de preuve de la valeur des nœuds contribuant à l'application.
Quatre familles de tokens
À l’origine, un token (jeton) est un actif digital émis par une société procédant à une levée de fonds en cryptomonnaies, les fameuses ICO. En contrepartie des fonds levés, les investisseurs reçoivent des « actifs digitaux » (token), dont les caractéristiques diffèrent d’une ICO à l’autre, mais qui peuvent être classifiés arbitrairement en quatre catégories :
- les tokens utilitaires, donnant droit à l’accès à des biens ou services développés par la société émettrice ;
- les tokens equity, permettant une rémunération en fonction des résultats de l’entreprise émettrice ;
- les tokens communautaires, visant à donner aux investisseurs un rôle dans la gouvernance de la technologie blockchain mise au point par la société ;
- enfin, les assets tokens, représentant la contrevaleur d’un ou plusieurs actifs sous-jacents.
Ce qui est nouveau depuis quelques mois, c’est le développement rapide de l’un de ces types de token, permettant de « monétiser » des actifs illiquides, les asset tokens. Ces derniers permettent à des investisseurs d’être exposés sur des actifs de différentes natures (immobiliers, financiers, marchandises…) sans passer via des fonds d’investissement ou des structures sociétales. Prenons un exemple assez simple. Comment accéder aujourd’hui pour un investisseur (petit ou grand) à des actifs immobiliers ? Soit en direct (ce qui nécessite une gestion lourde), soit via des véhicules d’investissement comme les SCPI ou OPCI, lesquels sont gérés par un tiers et distribués via les réseaux bancaires ou de CGP. Cet exemple peut être dupliqué sur toute classe d’actifs : actions, obligations, marchandises, dérivés. Sauf à disposer soit même d’un accès direct à chacune de ces classes d’actifs, seul le recours à des tiers gérants des véhicules spécialisés permet une exposition à ce type de risques. Or les asset tokens viennent modifier cette approche.
Les asset tokens : de la possession à l’usage
En fait, ces asset tokens ressemblent de près, dans leurs effets, à des ETF qui ne sont autres qu’un contrat financier coté sur un marché et dont les droits des investisseurs comme les obligations de l’émetteur dépendent du contenu du document d’émission. Ce qui change avec l’apparition des tokens, c’est la numérisation de cet actif dans un protocole informatique (la blockchain) permettant d’assurer sécurité, fiabilité et traçabilité, mais surtout le caractère totalement décentralisé et automatisé. Tout un chacun peut aujourd’hui créer son token représentatif d’un ou plusieurs actifs sous-jacents afin de donner de la valeur à des actifs illiquides mais producteurs de revenus et/ou de valeur (par exemple, l’ICO de