Trump ou Biden, la politique a-t-elle une quelconque influence sur les marchés ?

Jamais le contraste entre deux pr&eacute;sidents am&eacute;ricains n&rsquo;est apparu aussi tranch&eacute; qu&rsquo;entre le sortant, Donald Trump, et son successeur, Joe Biden. Au-del&agrave; de leur positionnement politique, les deux hommes illustrent les deux faces d&rsquo;une Am&eacute;rique de plus en plus fractur&eacute;e ; l&rsquo;un homme d&rsquo;affaires, h&eacute;ritier d&rsquo;une fortune familiale, accessoirement star de t&eacute;l&eacute;r&eacute;alit&eacute;, &eacute;merge sur la sc&egrave;ne politique &agrave; l&rsquo;occasion de la campagne 2016 ; l&rsquo;autre, dipl&ocirc;m&eacute; d&rsquo;histoire et de sciences politiques, fils de famille modeste, a d&eacute;di&eacute; sa vie &agrave; son engagement au sein du parti d&eacute;mocrate et rod&eacute; quarante ans durant dans les sph&egrave;res du pouvoir. Apr&egrave;s quatre ann&eacute;es d&rsquo;une pr&eacute;sidence marqu&eacute;e par la controverse, des rebondissements incessants, un interventionnisme ultralib&eacute;ral, le d&eacute;mant&egrave;lement des r&eacute;formes de protection sociale et de sant&eacute; mises en place par Barack Obama et une r&eacute;forme fiscale, sans conteste, en faveur des plus riches Am&eacute;ricains, Joe Biden, l&rsquo;homme du consensus, porte avec lui un programme d&eacute;mocrate aux accents quasi-r&eacute;volutionnaires. &Agrave; 7 300 milliards de dollars, la hausse des d&eacute;penses publiques pr&eacute;vue pour les dix prochaines ann&eacute;es, &eacute;quivaut au tiers du produit int&eacute;rieur brut des &Eacute;tats-Unis et devrait faire remonter leur niveau, &agrave; terme, de pr&egrave;s de cinq points au-dessus de la moyenne de ces quatre derni&egrave;res ann&eacute;es, aux environs de 23 % du PIB, ce qui n&rsquo;a plus &eacute;t&eacute; observ&eacute; depuis les ann&eacute;es 1970. Le &laquo; New Deal &raquo; de Joe Biden est, en effet, comparable en taille et par sa nature &agrave; celui de Roosevelt des ann&eacute;es Trente. Sant&eacute;, social, logement, &eacute;ducation, transport, environnement et infrastructures sont au cœur de l&rsquo;agenda du nouveau pr&eacute;sident, l&rsquo;ensemble sur fond de r&eacute;forme fiscale &agrave; vis&eacute;e de r&eacute;&eacute;quilibrage et de redistribution, notamment assise sur une fiscalit&eacute; des plus-values en capital, quand bien m&ecirc;me &agrave; partir d&rsquo;un seuil relativement &eacute;lev&eacute; d&rsquo;un million de dollars. Joe Biden pr&eacute;sident de la rupture ? C&rsquo;est, non seulement, avec les quatre derni&egrave;res ann&eacute;es que le mandat de J. Biden propose de rompre, au moins sur le papier, mais avec quasiment quatre d&eacute;cennies de politique lib&eacute;rale initi&eacute;e par Ronald Reagan &agrave; partir de la premi&egrave;re moiti&eacute; des ann&eacute;es 1980. L&rsquo;&eacute;lection pr&eacute;sidentielle de 2020 pourrait donc &ecirc;tre le marqueur de profonds changements. Comment appr&eacute;hender ceux-l&agrave; du point de vue financier ? En apparence tr&egrave;s sensibles aux effets d&rsquo;annonces politiques, les march&eacute;s financiers n&rsquo;ont pas marqu&eacute; de grande variation au cours des derniers mandats pr&eacute;sidentiels am&eacute;ricains durant lesquels l&rsquo;indice phare de la bourse am&eacute;ricaine, le S&amp;P 500, a syst&eacute;matiquement gagn&eacute; entre 50 % et 55 % sur la dur&eacute;e d&rsquo;un mandat malgr&eacute; des &eacute;pisodes de correction r&eacute;currents dont le dernier, le plus violent en f&eacute;vrier de cette ann&eacute;e, a n&eacute;anmoins &eacute;t&eacute; raval&eacute; en quelques semaines. Les grands th&egrave;mes de bataille de Donald Trump, que ce soit sur l&rsquo;&eacute;nergie ou l&rsquo;industrie, &agrave; travers notamment sa politique protectionniste, n&rsquo;ont pas eu davantage d&rsquo;influence sur la performance des valeurs concern&eacute;es, qui ont, au contraire, plut&ocirc;t &eacute;t&eacute; &agrave; la tra&icirc;ne de la performance globale des indices boursiers ces quatre derni&egrave;res ann&eacute;es. Ironie de l&rsquo;histoire, il ne s&rsquo;est pas pass&eacute; grand-chose du point de vue sectoriel sur les indices boursiers am&eacute;ricains en dehors de la performance in&eacute;dite du secteur des nouvelles technologies &ndash; technologies de l&rsquo;information, biotechnologie ou commerce en ligne &ndash; au sujet de laquelle la pr&eacute;sidence Trump ne se distingue de celle de son pr&eacute;d&eacute;cesseur que par le degr&eacute; d&rsquo;exub&eacute;rance de ces derniers secteurs par rapport aux autres pans de march&eacute;. C&rsquo;est, en th&eacute;orie, sur ce point que la pr&eacute;sidence Biden pourrait avoir le plus d&rsquo;influence. Par ses effets positifs sur la demande domestique, en particulier celle des classes moyennes, le programme d&eacute;mocrate est prometteur d&rsquo;un plus grand soutien aux activit&eacute;s traditionnelles, les plus cycliques, fragilis&eacute;es depuis la crise de 2008 par la faible croissance de la demande et d&rsquo;inflation. En &laquo; reflatant &raquo; la demande, le programme d&eacute;mocrate promet, simultan&eacute;ment, de redonner aux entreprises un plus grand pouvoir de fixation de leurs prix, n&eacute;cessaire, pour renouer &agrave; terme avec une inflation plus soutenue. Les valeurs bancaires am&eacute;ricaines, bien que mieux loties que les europ&eacute;ennes, ont souffert de l&rsquo;environnement pass&eacute; et sont bien positionn&eacute;es pour profiter du changement d&rsquo;orientation propos&eacute;. Dans un autre ordre d&rsquo;id&eacute;e, l&rsquo;&eacute;lan que l&rsquo;&eacute;quipe Biden souhaite donner &agrave; la politique environnementale constitue un solide soutien au secteur de l&rsquo;&eacute;nergie, jusqu&rsquo;alors largement sanctionn&eacute; par l&rsquo;exc&egrave;s de production p&eacute;troli&egrave;re, et celui des utilities ; chacun acteur majeur de l&rsquo;ambition climatique du programme des d&eacute;mocrates. C&rsquo;est bien cette rotation sectorielle plus favorable aux secteurs traditionnels qu&rsquo;ont commenc&eacute; &agrave; impl&eacute;menter les investisseurs depuis l&rsquo;&eacute;lection du candidat d&eacute;mocrate, que ce soit sur les march&eacute;s am&eacute;ricain ou europ&eacute;ens. Est-ce l&rsquo;histoire qui effectivement se d&eacute;roulera ? Trois conditions le d&eacute;cideront. La premi&egrave;re est d&eacute;pendante de la capacit&eacute; de la nouvelle &eacute;quipe au pouvoir &agrave; mettre en place ses r&eacute;formes cl&eacute;s. Les perspectives sur ce point sont encore tr&egrave;s incertaines. Les marges de manœuvre de la future administration sont encore inconnues. Non seulement les d&eacute;mocrates ne sont pas assur&eacute;s de remporter les deux si&egrave;ges de s&eacute;nateurs de G&eacute;orgie n&eacute;cessaire pour avoir la majorit&eacute; au S&eacute;nat mais les dissensions au sein du parti d&eacute;mocrate sont importantes, potentiellement en mesure de g&ecirc;ner l&rsquo;accomplissement du mandat pr&eacute;sidentiel. Si la majorit&eacute; porte en elle une aspiration environnementale, les plus centristes des d&eacute;mocrates ont d&eacute;j&agrave; eu l&rsquo;occasion de s&rsquo;opposer au &laquo; Green new deal &raquo; propos&eacute; par l&rsquo;aile gauche du parti. Par ailleurs, quand bien m&ecirc;me le S&eacute;nat reviendrait aux d&eacute;mocrates, les r&eacute;publicains conserveront une minorit&eacute; de blocage de 40 s&eacute;nateurs sur 100, de quoi, au moins, contraindre la majorit&eacute; &agrave; de tr&egrave;s lourdes concessions et &agrave; de longues n&eacute;gociations. Or, dans un tel contexte, la latitude de Biden sera forc&eacute;ment r&eacute;duite, les d&eacute;cisions par d&eacute;crets ne pouvant concerner les principaux points de son programme sur la fiscalit&eacute; et l&rsquo;environnement. La deuxi&egrave;me est que les march&eacute;s sont chers aujourd&rsquo;hui avec des multiples sur le S&amp;P500 de plus de 22 fois les b&eacute;n&eacute;fices escompt&eacute;s pour 2021. Deux conditions ont permis aux investisseurs d&rsquo;accepter cette chert&eacute; : &ndash; l&rsquo;assurance d&rsquo;une franche reprise cons&eacute;cutive &agrave; l&rsquo;&eacute;radication de l&rsquo;&eacute;pid&eacute;mie de coronavirus gr&acirc;ce aux vaccinations en 2021 ; &ndash; la garantie du maintien de conditions mon&eacute;taires tr&egrave;s accommodantes par les banques centrales et donc de taux d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t durablement bas. Ces deux postulats sont tr&egrave;s al&eacute;atoires aujourd&rsquo;hui. L&rsquo;&eacute;pid&eacute;mie semble devoir imprimer ses marques encore plusieurs mois sur l&rsquo;activit&eacute; &eacute;conomique, au point peut-&ecirc;tre de peser beaucoup plus nettement sur les r&eacute;sultats 2021 que g&eacute;n&eacute;ralement anticip&eacute;. Mais surtout, l&rsquo;influence de la politique de Joe Biden sur le niveau des taux d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t est tr&egrave;s largement incertaine. Le succ&egrave;s d&rsquo;une politique de relance ne tarderait probablement pas &agrave; pousser la FED &agrave; revoir sa posture, tout au moins &agrave; consid&eacute;rer de la revoir plus rapidement qu&rsquo;elle ne l&rsquo;avait indiqu&eacute; en septembre 2020. Or, &agrave; ce niveau de valorisation des bourses, le changement de strat&eacute;gie ne sera pas des plus ais&eacute;s, ni des moins risqu&eacute;s. Au total, 2021 s&rsquo;annonce avant tout comme une ann&eacute;e d&rsquo;incertitudes et de risques persistants, bien que de nature potentiellement tr&egrave;s diff&eacute;rente de 2020, avec deux sc&eacute;narios que tout, ou presque oppose, selon le degr&eacute; de confiance accord&eacute; &agrave; la latitude de la nouvelle &eacute;quipe au pouvoir : &ndash; une application sans entrave du programme de Biden donnerait raison aux anticipations de reflation des march&eacute;s de ces derni&egrave;res semaines. Tr&egrave;s porteurs sur le front des perspectives de croissance am&eacute;ricaine et mondiale, difficile d&rsquo;imaginer que de tels d&eacute;veloppements autorisent le maintien des taux d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t sur des niveaux aussi bas qu&rsquo;aujourd&rsquo;hui, m&ecirc;me avec J. Yellen au Tr&eacute;sor ; &ndash; &agrave; l&rsquo;inverse, des d&eacute;buts plus difficiles que pr&eacute;vu pour l&rsquo;administration Biden sur fond de persistance de l&rsquo;&eacute;pid&eacute;mie de coronavirus pourraient constituer un s&eacute;rieux revers au vu des attentes des march&eacute;s de ces derniers temps. Si les promesses de vaccins ont permis aux march&eacute;s de passer outre les effets de cette deuxi&egrave;me vague sur l&rsquo;activit&eacute;, l&rsquo;appr&eacute;ciation pourrait vite changer en cas de propagation persistante de l&rsquo;&eacute;pid&eacute;mie et de retard dans l&rsquo;application des mesures de soutien &agrave; la croissance ou de d&eacute;ception sur les marges de manœuvre de la nouvelle administration Biden. Dans un tel cas de figure, nulle place pour le maintien des anticipations d&rsquo;inflation &agrave; leur niveau pr&eacute;sent aux &Eacute;tats-Unis, lesquelles, apr&egrave;s leur envol&eacute;e r&eacute;cente, auraient tout lieu de retomber sans tarder, tandis que les valeurs boursi&egrave;res r&eacute;cemment les plus port&eacute;es par ces espoirs subiraient &eacute;galement une correction marqu&eacute;e. Un tel sc&eacute;nario semble assorti d&rsquo;une probabilit&eacute; significative pour les premiers mois de l&rsquo;ann&eacute;e 2021, avant de pouvoir d&eacute;boucher sur des perspectives plus encourageantes, une fois seulement une meilleure visibilit&eacute; sur l&rsquo;&eacute;radication de l&rsquo;&eacute;pid&eacute;mie assur&eacute;e. Achev&eacute; de r&eacute;diger le 22 d&eacute;cembre 2020.

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