Square

Investissement

Trop de levier, bientôt une bulle dans les infrastructures

Créé le

20.05.2019

-

Mis à jour le

12.07.2019

La France se positionne en leader européen de l’investissement en infrastructures. Cet intérêt, affiché dans un contexte de taux bas et de liquidité abondante, doit-il faire craindre l’apparition d’une bulle qui remettrait en cause cet attrait, notamment dans le cadre de la transition énergétique ?

En finance, le mot « levier » résonne avec celui de dette. De même, le mot « bulle » fait écho à crise et survalorisation de l’actif. Ces deux notions sont-elles présentes et d’actualité au sein de l’actif infrastructure ?

C’est sur ce sujet passionnant que les étudiants du Parcours de master 224 – Banque et Finance ont souhaité interroger les professionnels du secteur : Danielle Baron, Global Head of Power and Utilities, Crédit Agricole CIB, Carole Boucher, Head of Investments and Allocation, AXA, Laurent Fayollas, Senior Managing Director, Ardian Infrastructure, et Daniel Marshall, Green Giraffe, panel animé par Thomas Blard, Décideurs TV.

Définir une infrastructure

Dans un premier temps, afin de traiter au mieux ce sujet, il était important de définir, ce qu’on entend par infrastructure. Pour Carole Boucher, c’est un « actif réel, essentiel à la société et qui apporte des cash-flows stables et prédictibles ». À cette définition, nous pouvons ajouter les critères de fortes barrières à l'entrée, situation de monopole ou quasi-monopole et une résistance solide au ralentissement économique. Tout l’enjeu d’une définition précise est de connaître la frontière entre actif « immobilier » ou « infrastructure » et donc pouvoir adapter son mode de financement. La question peut, par exemple, se poser pour les data centers (comptabilisés en immobilisation par Axa). Les différentes entités financières peuvent ensuite, selon leurs stratégies, ajouter des critères. Green Giraffe s’intéresse exclusivement aux infrastructures dites renouvelables.

Par sa nature – cash-flow récurrent et actif long et avec le contexte actuel de taux bas –, nous pouvons facilement comprendre l’engouement des institutionnels. La dernière enquête Af2i (novembre 2018) révélait que 86 % des institutionnels interrogés envisageaient d’augmenter leurs investissements dans les infrastructures. En janvier 2019, Ardian a d’ailleurs lancé un fonds de 6 milliards d’euros qui en avait attiré 10 milliards, un montant record en Europe.

Financer la croissance

L’engouement autour d’un actif ou produit financier peut créer une bulle si s’installe une décorrélation des motifs de cet engouement avec la valeur et raison d’être de l’actif ou produit financier. En infrastructure, la dette doit être sculptée selon les cash-flows du projet afin d’assurer le repaiement de celle-ci sans mettre à mal le projet. Ainsi, pour ce qui est d’une augmentation du levier, le panel s’est accordé sur la vigilance dont les apporteurs de fonds devaient faire preuve sur le rôle de la dette et la justification des niveaux de levier. En effet, il est essentiel que la dette serve à financer la croissance et non à acheter un actif. Laurent Fayollas affirme simplement que la dette sert à « développer et non payer ».

Le niveau de dette s'ajuste selon le risque. Il est important de traiter la question du levier en infrastructure sans généraliser. Chaque projet est financé au cas par cas et rémunéré selon la prise de risque. Nous pouvons d’ailleurs observer une plus grande propension de dettes dans les projets renouvelables lorsque cela concerne une technologie qui est désormais considérée plus fiable. Au sein même des projets renouvelables, il est important de regarder le secteur car tous ne représentent pas un même risque (biomasse, éolien, solaire) et il est primordial de prendre en compte la zone géographique.

Si par la concentration des actifs, il existe un risque de bulle, le principal risque à anticiper reste celui du marché et de l'évolution de la réglementation. Un problème peut se poser si l’acheteur ne veut plus valider ce contrat. Comme le souligne Danielle Baron, le prix du renouvelable était plus cher avant, la majorité des contrats à long terme sont aujourd'hui « out of the money », ce qui peut amener à de nouvelles négociations désavantageuses pour les pourvoyeurs de fonds. On pense à l'exemple de l'Espagne (contrat de l'eau). Un sujet qui est important dans les pays émergents.

Les nouvelles frontières

En conclusion, il était intéressant d'élargir le débat autour des nouveaux enjeux de l'infrastructure dont la notion d'actif augmenté. C'est un critère très important et regardé par Ardian. En effet, nous ne pouvons plus ignorer l'impact du digital pour optimiser la production, l'utilisation et l'évolution d'une infrastructure (covoiturage, voitures connectées, logistique aéroportuaire...). De même, l'aspect environnemental est désormais systématiquement analysé. Limiter une bulle liée à une concentration des actifs peut amener les différents acteurs à rechercher de meilleurs retours sur investissement dans les « nouvelles frontières » de la transition énergétique, telles que la génération électrique distribuée, le stockage, la valorisation des déchets, les réseaux de chaleur, qui intègrent une part croissante d’énergies renouvelables.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nºhof2019