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Redéfinir l’Europe financière de demain

Créé le

15.11.2017

-

Mis à jour le

17.11.2017

Le Brexit va indubitablement redessiner le paysage financier en Europe. S’il est évidemment impossible de se risquer au moindre pronostic quant à l’issue des négociations en cours entre l’Union européenne (UE) et le Royaume-Uni, plusieurs points semblent d’ores et déjà faire consensus.

Le premier est que Londres, même affectée par certaines réallocations d’activités vers l’Union, voire les États-Unis, va rester une Place financière internationale majeure. De fait, on voit mal comment la Place qui concentre 80 % des transactions de change mondiales et assure l’essentiel de la compensation des dérivés en euro et en dollar ne pourrait maintenir ses positions à court ou même moyen terme.

Le deuxième de ces points est que les acteurs financiers qui utilisent aujourd’hui Londres comme porte d’entrée sur les autres pays de l’Union vont relocaliser une partie de leurs activités au sein de l’Union. Alors que la perte du passeport paraît acquise, ces acteurs ne voudront sans doute pas faire reposer leur accès aux marchés de l’UE sur un régime d' équivalence, précaire par nature.

Le troisième est que les activités financières au sein de l’Union fonctionneront selon un modèle beaucoup plus distribué qu’aujourd’hui. En l’état des premières annonces, il paraît en effet peu probable que les relocalisations fassent émerger – à court terme au moins – une Place financière dominante au sein de l’Union à 27. Devrait plutôt apparaître un système multipolaire, avec éventuellement des spécialisations locales (gestion d’actifs, activités de marché, infrastructures, etc.). La Place de Paris y aura sa part, grâce notamment aux mesures d’attractivité prises ou annoncées depuis le vote du Brexit.

Le dernier point est que la question de la compensation des transactions sur dérivés occupera une place centrale et singulière dans la relation future entre l’Union et le Royaume-Uni, et dans le devenir de la finance en Europe. Au vu du risque systémique induit, l’Union à 27 ne saurait être indifférente au fait que 90 % des transactions libellées en euro sont compensées à Londres. Dans le même temps, elle ne peut ignorer qu’une tentative de rapatriement brutal placerait ses acteurs dans une situation de désavantage compétitif ou réclamerait des mesures extraterritoriales dont elle est peu coutumière et qui peuvent bouleverser.

 

Même brossée à si grands traits, cette future configuration des marchés financiers européens commande plusieurs évolutions dans la pratique et l’organisation réglementaires au sein de l’Union à 27.

En premier lieu, assurer le financement efficace de l’économie de l’Union post-Brexit suppose de réorienter et d’accélérer le projet d’Union des marchés de capitaux, mais aussi de parachever l’Union bancaire. Dans les deux cas, l’ambition doit être d’assurer une plus grande autonomie de l’Union à 27 pour le financement de son économie.

Par ailleurs, il conviendra de faire en sorte que les activités distribuées fonctionnent comme une juridiction unique. S’agissant des activités de marché, ceci suppose de renforcer le pouvoir de supervision et l’autonomie de l’AEMF, pou laquelle le support des autorités nationales, et particulièrement de l'AMF, sera crucial. À cet égard, nombre des propositions émises dans le cadre de la revue des autorités européennes de supervision vont dans le bon sens. Mais un enjeu important pour l’Union sera aussi de bien positionner l’équilibre entre la convergence assurée par l’AEMF et la subsidiarité nécessaire au maintien de pratiques locales indispensables au financement des PME-ETI par les marchés.

L’Union devra enfin définir les règles d’une coopération nouvelle et efficace avec les autres juridictions, Londres évidemment, mais aussi Washingto et les autres centres financiers qui montent en puissance. Si, pour les autres biens et services, le levier est celui des droits de douane, cette coopération reposera essentiellement, s’agissant des services financiers, sur celui de l’agrément et de la reconnaissance mutuelle. En la matière, et particulièrement s’agissant des activités de compensation, un équilibre subtil devra être recherché entre la volonté légitime de souveraineté et d’autonomie de l’Union et le risque de nourrir un mouvement de repli et de fragmentation des marchés dont, au final, notre économie ne pourrait que pâtir.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº814bis