Square
 

Marchés des métaux : entre contraintes de court terme et disponibilité structurelle

Créé le

18.07.2022

-

Mis à jour le

19.07.2022

Pandémie, reprise, guerre : au-delà même de ces événements, les ressources mondiales en minerai sont sous pression. Une autre géopolitique se profile, engendrée par la demande en matériaux nécessaires à la transition énergétique.

Comprendre les évolutions actuelles des prix des matières premières nécessite de distinguer les éléments de court terme des facteurs structurels. Les cours sur les différents marchés ont enregistré, en moyenne, une forte hausse en 2021 par rapport à 2020. Certains segments ont été très dynamiques comme l’énergie (+ 79 %), les engrais (+ 78 %), les métaux et minerais (+ 45 %) ou les céréales (+ 30 %).

Pour les métaux, 2021 a été une année de très forte reprise des cours comme en témoignent les évolutions des prix de l’étain (+ 86 %), du cuivre (+ 50 %), de l’aluminium (+ 43 %) ou du nickel (+ 32 %). La dynamique économique post-Covid (autour de 6 % de croissance mondiale en 2021 contre une récession de 3,1 % en 2020) a mis à jour les déséquilibres sur les différents marchés. La croissance mondiale observée en 2021 a été la plus forte depuis les années 1960, portée par la Chine dès la mi-2020, les États-Unis dès l’automne et l’Europe en 2021. Ce mouvement a considérablement accéléré la demande en matières premières dans un environnement d’offres contraintes. En effet, la pandémie avait totalement désorganisé les chaînes d’approvisionnements mondiales, entraînant de nombreux déséquilibres dans le transport maritime (hausse des prix du fret, engorgements des ports, etc.) et sur les marchés, qui sont déjà par nature volatils et fortement cycliques.

La guerre bouscule les marchés

Dès lors, la guerre en Ukraine, débuté en février 2022, a impacté des marchés déjà particulièrement tendus et les marchés ont souffert des anticipations de baisse drastique de productions, la Russie, et dans une moindre mesure l’Ukraine, étant d’importants producteurs et exportateurs sur de nombreux marchés. Le segment des métaux a ainsi enregistré une hausse des cours de plus de 24 % en moyenne en mars 2022 par rapport à décembre 2021, marqué par des augmentations des cours de 70 % pour le nickel, de 30 % pour l’aluminium, de 12 % pour l’étain et de 8 % pour le cuivre.

Ces mouvements de court terme ne doivent pas faire oublier les dynamiques prévisibles de moyen terme (plan d’infrastructures notamment), mais surtout de long terme avec l’ensemble des investissements nécessaires aux technologies bas carbone, très consommatrices de métaux, pour faire face à l’urgence climatique. Selon BNEF1, les investissements déjà réalisés dans les énergies renouvelables (ENR)2 ont atteint plus de 3 300 milliards de dollars entre 2010 et 2021, avec un quadruplement des capacités de génération d’électricité à base d’ENR. Malgré la pandémie de Covid-19, les années 2020 et 2021 ont permis une accélération de ces investissements, puisque plus de 360 milliards de dollars ont été investis dans le seul secteur de la génération d’électricité renouvelable en 2021. Si on y ajoute les autres investissements réalisés dans le domaine de l’hydrogène, du stockage, des technologies de captage et de stockage de CO2 et les véhicules électrifiés, ce sont plus de 755 milliards de dollars d’investissements qui ont été réalisés en 2021 dans les technologies bas carbone, soit une hausse de 21 % par rapport à 2020. Si ces chiffres semblent déjà importants, les investissements dans les technologies bas carbone devront enregistrer une progression marquante dans les prochaines décennies (autour de 2 000 milliards de dollars) pour limiter le réchauffement climatique à l’horizon 2100 sous les 2 °C. Toutefois, le début de la décennie 2020 marque une nouvelle ère pour le secteur de l’énergie, les investissements dans les technologies bas carbone dépassant désormais et de loin ceux observés dans le secteur de l’exploration et de la production d’hydrocarbures.

Une dynamique de transition mondiale

Les décennies à venir risquent de transformer radicalement la géopolitique de l’énergie puisqu’à la seule logique de compétition entre États fondée sur la captation de ressources carbonées (pétrole, gaz, charbon) va s’additionner celle d’une géopolitique des énergies renouvelables. En effet, on associe généralement aux technologies bas carbone un double dividende, puisqu’ils permettent de réduire les émissions de CO2 et amènent à réduire la dépendance aux importations d’énergies fossiles. Cette émancipation partielle des enjeux économiques et géopolitiques de la sécurité énergétique traditionnelle, notamment les questions de disponibilité et d’accessibilité, doit cependant être analysée dans une logique plus globale en prenant en compte les matériaux nécessaires à la construction et à l’implantation des technologies bas carbone (solaire, éolien, stockage, véhicules électrifiés, etc.) dans les systèmes énergétiques nationaux. En effet, les volumes nécessaires d’investissements dans ces technologies vont conduire à une hausse marquée de la demande en matériaux (minerais métalliques, sable, etc.) et engendrer des transformations majeures sur les différents marchés de matières premières.

En 2011, la consommation par tête et par jour au niveau mondial était d’environ 33 kg et l’OCDE estime qu’elle atteindra près de 45 kg en 2060. Les seuls minerais métalliques ont vu leurs extractions multipliées par 3,5 au niveau mondial depuis 1970, en raison notamment de la demande en infrastructures3, en biens d’équipements industriels ou en biens de consommation et des investissements réalisés dans les énergies renouvelables. Cette dynamique fait désormais face aux différentes limites physiques des ressources en matériaux et des externalités environnementales de leurs productions. En raison de la diminution de la concentration des minerais dans la croute terrestre, obtenir la même quantité de cuivre demande davantage d’énergie.

Aujourd’hui, le secteur des métaux représente plus de 12 % de la consommation mondiale d’énergie et chacune des étapes de la chaîne de valeur de l’industrie métallique (extraction, raffinage, etc.) nécessite une quantité importante d’eau. Les travaux de modélisation de consommation de métaux que nous menons depuis 2017 sont particulièrement instructifs4. En effet, l’urgence climatique impose la décarbonation des secteurs électriques ou du transport et la substitution des technologies traditionnelles (centrales à charbon, véhicules thermiques, etc.) par des technologies bas carbone (éolien, solaire, véhicule électrique). Or, ces technologies ont des contenus matériaux plus importants (rapportés au MW installé) que les technologies traditionnelles.

Des ressources surexploitées

Dans nos scénarios climatiques contraints à 2 °C de réchauffement, nous pourrions consommer près de 90 % des ressources existantes en cuivre, 87 % de celles de bauxite, 83 % du cobalt, 60 % du nickel et 30 % du lithium dans les trois prochaines décennies (voir tableau). Ainsi, ce ne sont pas seulement les métaux dits technologiques ou stratégiques (lithium, cobalt et terres rares) qui seront affectés mais bien l’ensemble des métaux. Le XXIe siècle sera un nouvel âge d’or pour ces derniers ! Une voiture électrique consomme par exemple en moyenne 80 kg de cuivre, contre seulement 20 kg pour un véhicule thermique. Dans le secteur électrique, les technologies bas carbone nécessitent jusqu’à cinq fois plus de cuivre que les centrales conventionnelles par MW installé. Le cuivre pourrait être le métal le plus contraint dans les décennies à venir car il est consommé dans de nombreux secteurs (construction, infrastructures, biens de consommation) et la transition énergétique rajoutera ainsi une couche supplémentaire sur la demande de cuivre. Nous ne devrions pas observer de contraintes géologiques sur les terres rares, mais ce sont des problématiques environnementales qui pourraient, à terme, en limiter la production.

Une redistribution des pouvoirs de marché

Sur l’ensemble des marchés, des contraintes géologiques, environnementales (pollutions des sols, gestion des déchets), géopolitiques (concentration des réserves ou de la production) ou économiques (présence de monopoles ou d’oligopoles) rendent les perspectives incertaines. D’un point de vue géopolitique de nouveaux pouvoirs de marché risquent de se révéler. Dans le secteur de l’exploitation, les riches pays miniers (Australie, Afrique du Sud, Chili, Chine, Russie, etc.) pourraient être les grands gagnants de la dynamique de transition énergétique mondiale. Dans le secteur aval, la prégnance de la Chine, qui raffine plus de 50 % de l’ensemble des grands métaux, pourrait bouleverser les équilibres et amener cette dernière à être un véritable gagnant du processus de transition, Pékin maîtrisant la chaîne d’approvisionnement des métaux et ayant développé des champions nationaux pour l’ensemble des technologies bas carbone (batteries de véhicule électrique, panneau solaire, etc.). Ainsi, loin de développer un environnement mondial de paix et de sécurité, le développement des technologies bas carbone doit nous inviter à développer de nouvelles matrices de risque intégrant les nouveaux enjeux de la transition énergétique mondiale et notamment ceux relatifs aux métaux. Diversification des approvisionnements, constitution de stocks stratégiques, diplomatie axée sur le développement de relations approfondies avec les pays producteurs doivent constituer les fondements des politiques extérieures des États, d’un point de vue national mais plus sûrement d’un point de vue européen. Les alliances constituées dans la zone sur les batteries et les matières premières constituent des réponses politiques adéquates qu’il faut approfondir dans les années qui viennent. Elles doivent s’accompagner de politiques nationales axées sur la mobilité durable, le recyclage et sur la sobriété de nos comportements. Ces politiques permettraient de réduire la pression sur les ressources mondiales en minerais. Ainsi, le XXIe siècle sera le siècle des métaux et des interrogations relatives à une nouvelle forme de dépendance aux matières premières pourraient apparaître. Les matières premières pourraient être ainsi vues comme une arme diplomatique dans ce nouveau contexte. Les externalités environnementales, notamment la consommation d’eau ou d’énergie dans la production des matériaux nécessaires aux technologies bas carbone seront d’autres points stratégiques de la transition. Plus complexe car intégrant l’ensemble des défis géologiques, géopolitiques et environnementaux, la géopolitique de l’énergie risque ainsi d’être profondément transformée par les pressions engendrées par la demande en matériaux de la transition énergétique.

$!Marchés des métaux : entre contraintes de court terme et disponibilité structurelle

La lutte contre le réchauffement climatique accroît la demande de métaux

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº869
Notes :
1 BNEF : https://about.bnef.com/energy-transition- investment/
2 Sont considérés uniquement les investissements dans le secteur du solaire, de l’éolien, de la biomasse, de la géothermie et du petit hydraulique.
3 Samuel Carcanague, Emmanuel Hache, « Les infrastructures de transport, reflet d’un monde en transition », Revue internationale et stratégique 3-2017 (n° 107), pp. 53-60.
4 Voir notamment l’ensemble des articles publiés en 2021 sur le site IFPEN : https://www.ifpenergiesnouvelles.fr/enjeux-et-prospective/decryptages/climat-environnement-et-economie-circulaire/les-metaux-transition-energetique