L’économie a toujours été considérée historiquement comme une science, parce qu’elle offre une analyse objective de la gestion des ressources. À l’inverse, la psychologie est perçue comme un domaine abstrait et subjectif se consacrant à l’étude de l’activité mentale, psychique et spirituelle de l’homme. Pourtant, les risk managers et les économistes pourraient tirer bénéfice d’une meilleure connaissance de certains ressorts psychologiques, tant les schémas comportementaux ont une influence certaine sur les décisions d’investissement. À condition d’en organiser une mesure objective…
Les biais comportementaux
Comme tout individu, les gérants d’actifs sont souvent victimes de biais comportementaux qui les poussent à commettre certaines erreurs. Ainsi, l’effet de dotation (endowment effect) bien connu fait référence au fait que les investisseurs peuvent être tentés d’accorder plus de valeur à ce qu’ils possèdent que des gérants plus impartiaux ne le feraient. La conséquence de cette première tendance comportementale est que ces investisseurs peuvent souvent être enclins à conserver trop longtemps des positions génératrices de pertes.
Autre réaction émotionnelle bien connue, l’aversion à la perte est partagée tant par les gérants d’actifs que par les clients investisseurs. Dans leur
Corroborant ces
Le graphique 1 illustre les principales caractéristiques des préférences individuelles sur les résultats d’investissement. L’axe horizontal montre la variation en pourcentage de la valeur de l’actif investi et l’axe vertical évalue le niveau de satisfaction (ou d’insatisfaction) de l’investisseur. L’aversion à la perte est illustrée par la forte inclinaison de la courbe sur la moitié négative de l’axe par rapport à celle dans le segment positif. Les investisseurs ne réagissent dans les mêmes proportions lorsqu’ils réalisent des gains ou subissent des pertes à volumes équivalents : alors qu’un gain de 50 % correspond à 60 unités de satisfaction, une perte de 50 % correspond à 120 unités d’insatisfaction. Enfin, soulignons que les investisseurs éprouvent beaucoup moins de satisfaction ou d’insatisfaction une fois franchi un certain seuil de gains ou de pertes.
Le concept de sensibilité décroissante explique pourquoi certains gérants d’actifs succombent à des comportements dits « de tournoi ». Selon une étude empirique menée auprès de gérants de
Auto-efficacité...
Développé en 1974, le concept de l’ancrage et de l’ajustement (
En matière de gestion d’actifs, des travaux de recherche approfondis ont montré que ce concept d’ancrage et d’ajustement peut influencer les estimations de risque et d’
L’auto-efficacité d’un gérant d’actifs repose invariablement sur la conviction profonde que ses décisions sont plus rationnelles que celles de ses pairs, du fait qu’elles reposent sur des informations et/ou des analyses supérieures. Le problème réside dans le fait que les autres spécialistes de l’investissement partagent souvent les mêmes croyances. Pourtant, l’avantage en matière d’informations et/ou d’analyses doit, par définition, être exclusif. Or les écarts de performance des fonds au sein d’un groupe de pairs prouvent que certains gérants de fonds réussissent mieux que d’autres.
…et confiance en soi
Une
Cette dynamique talent/chance est particulièrement sensible dans la gestion alternative : la plus grande flexibilité des gérants de fonds alternatifs (par exemple, leur capacité à exprimer leur conviction avec des positions courtes et longues et à exercer un levier) se traduit par un plus grand nombre d’opportunités de rendements élevés mais également une probabilité sensiblement plus importante d’enregistrer des pertes. En l’absence de chance, le talent d’un gérant peut donc rapidement poser un risque substantiel.
Bien que le risque puisse être géré, les modèles de risque les plus traditionnels excluent cette possibilité, prescrivant que les relations entre les gérants du risque et les preneurs de risque doivent toujours être réalisées sans lien de dépendance.
Comment mesurer le talent ?
Le rôle d’une gestion active des risques, dans l’analyse de la performance des gérants et l’amélioration de leurs compétences, peut s’appuyer sur différents moyens. L’un des principaux est sa capacité à déterminer si les performances d’investissement sont dues au talent du gérant ou au seul facteur chance. Mais contrairement à une opinion largement répandue, cela ne peut se faire sur la base des historiques de performances. Bien qu’ils soient généralement synonymes de talent (un gérant qui surperforme le marché est forcément un bon gérant), les historiques de performance, en particulier s’ils sont relativement courts, ne permettent pas de prédire la performance future. Une récente
La plupart des risk managers ne disposent aujourd’hui pas des outils nécessaires pour identifier et développer le talent. Une solution peut être d’analyser toutes les décisions prises par les gérants de fonds : achats, ventes, ou logique d’inclusion ou d’exclusion de titres. Bien que complexe, cette tâche fournit une évaluation précise du bien-fondé de la construction des portefeuilles et du timing des transactions par les gérants.
Disposer d’un feedback objectif
En déplaçant l’accent de l’historique des rendements vers les décisions d’investissement, il est possible d’acquérir une compréhension approfondie de la nature du talent de l’investisseur. Le traitement des données et l’interprétation des mérites relatifs d’un nombre élevé de décisions d’investissement constituent toutefois un sérieux défi logistique.
Pour y parvenir, deux concepts efficaces et intuitifs peuvent être utilisés : les taux de réussite et les ratios gains/pertes. Le premier évalue si un gérant prend plus de bonnes que de mauvaises décisions et le second détermine dans quelle mesure les bonnes décisions compensent (le cas échéant) les mauvaises décisions.
Selon plusieurs études réalisées au cours des trois dernières années, les taux de réussite moyens ne sont pas supérieurs à 50/50, et un nombre réduit (voire nul) de gérants peut régulièrement atteindre le niveau de 60 %, ce qui correspond à l’hypothèse traditionnelle selon laquelle les gérants de fonds prennent une bonne décision six fois sur dix. En revanche, les données empiriques révèlent que les ratios gains/pertes moyen sont supérieurs à 100 %, quoique avec une marge réduite, ce qui démontre que les gains associés aux bonnes décisions compensent les pertes associées aux mauvaises décisions.
Ainsi une analyse fondée sur des éléments probants et un feedback objectif peuvent permettre d’identifier les forces et les faiblesses des gérants. Le processus d’utilisation de ce feedback reconnaît que les erreurs sont un mal nécessaire pour apprendre à générer des rendements plus réguliers. Sans cette volonté de progression, il est très difficile de devenir un meilleur investisseur : une grande expertise n’a que peu de valeur si les gérants de fonds ignorent leurs faiblesses. Aucun cadre de gestion active du risque n’est complet en l’absence d’un processus évaluant les risques comportementaux associés aux mauvaises décisions.
Revoir les modèles de gestion du risque
Les efforts des risk managers se concentrent traditionnellement sur les limites d’exposition et des concepts quantitatifs comme la VaR, les aspects plus qualitatifs de la gestion des risques étant négligés. Il existe cependant une littérature et une recherche abondantes sur le risque comportemental et les biais psychologiques auxquels sont exposés les gérants. Mais il est impossible de gérer ces derniers sans fixer un mécanisme qui permet de déterminer quels sont ceux auxquels les gérants sont les plus exposés et dans quelle ampleur. De ce fait, les modèles de gestion du risque classiques préfèrent le plus souvent les ignorer purement et simplement.
Pourtant, il est possible d’identifier les biais inhérents et de les contrôler de manière progressive, grâce à un processus de feedback objectif permettant de cultiver le talent des spécialistes en investissement et d’améliorer la qualité du processus de prise de décisions dans le temps. La gestion du risque est plus complète grâce à la présence d’un système de mesure des bonnes ou mauvaises décisions d’investissement. Ce système permet la gestion des risques comportementaux et apporte une compréhension approfondie de la génération de performance.