Des performances des marchés des actions décevantes, qui pèsent sur les encours ; des taux d'intérêt bas ; des frais de gestion mis sous pression par l’essor de la gestion indicielle ; des coûts impactés par l’inflation réglementaire : l’environnement de la gestion d’actifs est plutôt morose. Dans ce contexte, nombre de gestionnaires d'actifs investissent dans les nouvelles technologies. Ils se tournent notamment vers l’Intelligence artificielle (IA), non seulement pour réduire leurs coûts d'exploitation, mais également pour améliorer la performance de leurs fonds grâce à des idées génératrices d’alpha et pour affiner la connaissance de leurs clients.
Une adoption encore limitée en gestion d’actifs
L’adoption de l’IA reste encore balbutiante dans le secteur de la gestion d’actifs. 53 % des gestionnaires d’actifs interrogés dans le cadre du webinar « AI for Asset Managers : Ignore the Hype, Focus on the Value » organisé en 2018 par Publicis Sapient affirment n’avoir planifié dans ce domaine que des initiatives limitées. Nombre d’entre eux en sont encore à explorer les cas d’application des technologies d’IA. Pour preuve, les résultats de l’enquête « Wealth and Asset Management 2022: The Path to Digital Leadership
- analyse des tendances et sentiments de marché (14 % des répondants) ;
- amélioration du processus de gestion de portefeuille (12 %) ;
- accroissement de la productivité (11 %) ;
- analyse comportementale des investisseurs (12 %) ;
- prévision des tendances et analyse des risques (11 %) ;
- ou encore détection des failles de cybersécurité (10 %).
L’analyse prédictive au service des stratégies d’investissement
Si les domaines d’application de l’IA sont nombreux, celui de l’analyse prédictive au service des stratégies d’investissement offre un cas d’usage particulièrement intéressant.
Le recours à l’IA s’avère très pertinent dans ce contexte, qui implique de très grands volumes de données hétérogènes et non structurées, des analyses en quasi-temps réel et une reconnaissance des configurations ou patterns complexes. En outre, les stratégies d’investissement constituent aujourd’hui un axe de réflexion prioritaire pour nombre de gestionnaires d’actifs, si l’on en croit les réponses à l’enquête « Global Asset Management Survey » publiée en 2018 par
Certains hedge funds explorent déjà des pistes pour tirer parti du machine learning et améliorer la performance des fonds. Les algorithmes de machine learning permettent, à partir de très importants volumes de données financières (prix, volumes, notes de recherche, données macroéconomiques, données financières et comptables des entreprises…) de révéler des patterns puis d’identifier des opportunités d’arbitrages. Cependant, dans leur ensemble, les gestionnaires d'actifs manifestent encore une certaine réticence à confier la gestion de leurs portefeuilles à des algorithmes. Avec le lancement fin août 2018 du fonds Artificial Intelligence Global Equity Fund pour lequel l’analyse des données de marchés et l’identification des arbitrages sont réalisées par un algorithme, Aberdeen Standard Investments fait figure de précurseur. Pourtant, la capacité à développer des modèles prédictifs pour générer des idées d'investissement constitue déjà un facteur de différenciation clé. Comme le souligne un récent rapport de l’Alternative Investment Management Association (AIMA), les hedge funds réticents aux algorithmes, faute de savoir extraire de la valeur du Big Data, risquent de prendre un retard irrémédiable.
Si l’on manque encore de recul pour juger les performances des stratégies d’investissement reposant intégralement sur l’IA, qui n’en sont qu’au stade des Proof-of-Concepts ou des premiers lancements de fonds, l’IA semble par ailleurs offrir à court terme des solutions prometteuses pour améliorer le processus d’investissement.
L’industrialisation du Stock Picking
Stock Picking assisté par l’IA. C’est le cas par exemple de celles
L’anticipation des prévisions macroéconomiques
Dans le domaine des prévisions macroéconomiques, l’agrégation et l’analyse de vastes ensembles de données hétérogènes et non structurées permet de produire en quasi-temps réel les indicateurs macroéconomiques (taux de chômage, PIB, inflation…) qui sont couramment utilisés comme input dans le processus d’investissement. Cela repose sur l’utilisation conjointe de technologies Big Data (Apache Spark et Hadoop) et de l'IA – Natural Language Processing (NLP) pour analyser les données textes, Deep Learning (DL) pour la reconnaissance d'images.
QuantCube Technology
La détection des sentiments de marchés
L’élaboration d’indicateurs de détection des tendances et sentiments de marché constitue également un domaine dans lequel l’IA peut renforcer le processus d’investissement. L'IA s'avère en effet particulièrement pertinente pour évaluer des sentiments exprimés dans les médias (communiqués de presse, forum, réseaux sociaux, chats et blogs ...) relatifs à une entreprise ou un marché donné.
Plusieurs acteurs outre-Atlantique, tels que
De façon analogue,
L’enrichissement de l’analyse avec des données extra-financières
Plus généralement, l’IA facilite l’intégration des données alternatives afin d’enrichir l’analyse financière. Le NLP permet en effet de compléter les données issues des publications réglementaires, communiqués et présentations investisseurs avec données non structurées et hétérogènes collectées ailleurs sur internet.
L’analyse comportementale au service de la connaissance des investisseurs
En dehors du processus d’investissement stricto sensu, l’IA peut permettre aux gestionnaires d’actifs de mieux anticiper les besoins et les réactions des clients grâce à une connaissance approfondie de leurs comportements et ainsi leur proposer des produits le plus adaptés, au moment opportun.
À ce jour, la plupart des outils de Customer Relation Management (CRM) existant reposent sur des modèles basés sur un ensemble limité de données statiques (appétit pour le risque, horizon d'investissement…). Or, nombre d’investisseurs attendent désormais une personnalisation plus poussée de l’expérience client. Les institutions financières doivent mieux exploiter les données comportementales dont elles disposent afin d’affiner leur ciblage clients et leur proposer des services personnalisés en temps réel.
Des offres se développent afin de proposer aux Buy-Siders des outils d’analyse comportementale, notamment grâce à l'utilisation d'outils Big Data (Intelligent Tagging et Knowledge Graph).
Par exemple, l’algorithme
Au-delà du choix de produit et de l’allocation d’actifs, l’IA permet d’optimiser la relation client. Morgan Stanley a ainsi récemment déployé l’initiative Next Best Action (NBA) sur l’ensemble de la population de ses 15 000 conseillers financiers. Sur la base de l’analyse des communications client (courriels, textos…), l’algorithme machine learning de NBA suggère les actions les plus pertinentes à lancer vis-à-vis du client.
Les bonnes pratiques à adopter
Il faut garder à l’esprit que, dans les modèles prédictifs reposant sur l'IA, les données doivent avant tout être considérées comme un input, ce qui implique d’en gérer la qualité, l’intégrité et l’accessibilité en amont de l’alimentation du modèle. Les gestionnaires d’actifs doivent soigner la conception et déploiement de leur stratégie d’accès aux sources de données clef ainsi que la structuration des données brutes. Cette étape d’acquisition et structuration, assez éloignée de leur cœur de métier, peut avantageusement être sous-traitée auprès d’un acteur externe.
Concernant le développement des algorithmes d’IA, les gestionnaires d’actifs peuvent choisir de l’internaliser dans un Lab dédié ou de le sous-traiter. Cette dernière option permet d’externaliser la conception, l’entraînement de l’algorithme et la production et de ne pas en supporter les lourds investissements. Par opposition, incuber le développement au sein d’un Lab présente l’avantage de s’affranchir des contraintes opérationnelles et garantir une certaine agilité, mais suppose, en contrepartie, de consentir à un investissement élevé et de disposer de Data Scientists compétents, ressources rares et recherchées.
En outre, il est préférable, pour les stratégies d’investissement, de privilégier dans un premier temps un horizon temporel court. À ce jour, les modèles prédictifs se sont révélés plus fiables sur des stratégies court terme, les algorithmes machine learning achoppant, dès qu’ils sont confrontés à des horizons d’investissement plus lointains, sur des difficultés liées au caractère non-stationnaire des données financières et aux biais d’apprentissage.
Enfin, une des conditions du succès des algorithmes IA réside dans la capacité des gestionnaires d’actifs à remporter l’adhésion des investisseurs en assurant une grande transparence, intrinsèquement délicate pour ce type de stratégie d’investissement, et à éviter le syndrome « Black Box ».
Les principaux défis
Les avancées de l'IA commencent à fournir aux gestionnaires d’actifs les outils leur permettant de tirer parti du flux de données sous lequel ils sont quotidiennement submergés. En particulier, l’IA permet d’assister le gérant dans ses choix d’investissement grâce à une anticipation accrue des tendances de marché et une meilleure appréhension des sentiments du marché. Elle l’aide également à être plus pertinent dans ses propositions grâce à une connaissance intime des investisseurs. Pourtant, il y a encore des obstacles entravant l'adoption de l'IA. La pénurie des Data Scientists, l’accès aux données, les lourds investissements et la transparence comptent parmi les principaux défis restent à relever.