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Innovation

Intelligence artificielle et boîtes noires : quels enjeux pour la gestion d’actifs ?

Créé le

30.08.2018

-

Mis à jour le

14.09.2018

Une gestion déshumanisée et entretenue grâce à l'intelligence artificielle peut-elle s'imposer face à une gestion de convictions, qui constitue l'essence de l'industrie de gestion d'actifs ? Grâce à un panel d'experts représentant l'une et l'autre de ces deux visions, la conférence a mis en débat cette opposition inévitable à venir.

L’intelligence artificielle, communément appelée « IA », est un concept aujourd’hui absolument incontournable. Les récentes avancées technologiques ainsi que la fascination générale de la société placent l’IA au cœur des débats sur l’évolution proche de nos sociétés et des secteurs d’activité. C’est du point de vue de l’asset management que cette conférence s’est située afin d’étudier les enjeux et usages, actuels et à venir, de cette technologie. Les enjeux principaux auxquels toutes les économies devront faire face concernent la façon dont on peut en tirer profit, mais également les moyens permettant de ne pas se faire devancer par d’autres acteurs utilisant cette technologie.

Définition et utilisations concrètes

Avant d’étudier les enjeux que soulève l’IA, il convient de lui trouver une définition. Il n’en existe malheureusement pas, ou, en tout cas, aucune définition légale. Premièrement, parce que l’IA regroupe plusieurs concepts distincts. On fait ainsi souvent référence à l’intelligence articifielle, à l’intelligence augmentée, aux technologies cognitives ou encore au machine learning. L’IA au sens large concerne ainsi plusieurs réalités hétérogènes. Selon Laurent Jaeger et François Jaussaud, acteurs majeurs sur le sujet au sein d’IBM en proposant la définition suivante : selon eux, l’IA est une technologie cognitive utilisant trois mécanismes clés, comprendre, raisonner et apprendre. Ils précisent également une distinction fondamentale entre « IA forte » et « IA faible ». La différence principale entre ces deux notions réside dans la conscience. L’IA forte n’est pour le moment qu’un doux rêve de romancier ou cinéaste nous présentant des machines conscientes façon Terminator. En effet, aujourd’hui, il existe uniquement une IA au sens « faible ». Cela veut dire qu’aucune machine ne s’approche des caractéristiques d’un humain, seuls certains éléments peuvent être reproduits. Une machine ne saurait être aujourd’hui indépendante de l’intelligence du programmeur.
En ce qui concerne l’asset management, cette IA propose aujourd’hui déjà plusieurs utilisations concrètes. Elle sert principalement à la structuration de données omniprésentes et abondantes (Big Data). L’IA permet de naviguer dans ces données et d’en extraire des résultats précis à une vitesse remarquable, qui va bien au-delà des capacités humaines. Son autre utilisation principale de nos jours prend la forme de robo-advising, c’est-à-dire des robots capables de délivrer des conseils financiers ou de gérer avec parcimonie des portefeuilles d’actifs de manière automatisée. Le but est clair : adapter intuitivement des solutions d’investissements proposées par des sociétés de gestion, et ce, en plaçant le client au cœur de l’allocation en fonction de son profil rendement/risque et de sa connaissance des marchés.
Si l’apport principal de cette technologie se trouve aujourd’hui du côté de la vente et de la distribution, les sociétés de gestion commencent à l’utiliser dans leurs processus de gestion. Elle donne au gérant un pouvoir démultiplié de synthèse et de traitement d’immenses bases de données. On appelle ça le data mining. En mettant en place des critères de recherche et des contraintes à son « robot », le gérant se voit offrir un puissant outil d’aide à la décision.

Les limites de l’IA

Cependant, comme pour toutes les technologies, ses apports sont à mettre en perspective avec ses limites. L’une d’entre elles est d’éviter de tomber trop en profondeur vers une gestion en « boîte noire », une forme de gestion dont les inputs sont transformés en outputs de façon totalement opaque. Or, comme partout, mais particulièrement lorsqu’il s’agit de gestion financière, l’opacité est à éviter. Les clients préféreront en moyenne toujours une philosophie d’investissement claire et revendiquée par un ou plusieurs gérants à une multitude d’algorithmes interconnectés dont on ne connaît absolument pas les capacités. Étienne Vincent de BNP Paribas Asset Management nous assure qu’il est primordial qu’une philosophie de gestion clairement énoncée soit présente derrière chaque technologie d’IA.
L’une de ses autres limites se trouve justement dans l’un de ses atouts. Le traitement d’une base de données gigantesque constitue autant une prouesse qu’un danger ; la qualité des données sera plus importante que jamais auparavant. Beaucoup de gérants essaient aujourd’hui de trouver des signaux au sein des réseaux sociaux. Il est naturellement préférable d’utiliser des indicateurs financiers plutôt que l’avis des réseaux sociaux, mais ceux-ci peuvent également être intéressants. Il faut alors hiérarchiser les avis selon les qualifications techniques des utilisateurs. Pour cela, il est nécessaire d’avoir une supervision humaine. Il est également nécessaire de préférer des avis d’experts (sur leurs profils Facebook ou Twitter) à des messages publiés par des non-connaisseurs. De très importants filtres seront alors à mettre en place pour se protéger et garantir une bonne qualité des données.
On peut également trouver une limite dans le comportement de ces machines. Celle-ci se trouve dans leurs impacts sur les marchés financiers et la volatilité. Si nous imaginons simplement que la grande majorité des algorithmes auront l’objectif de délivrer la meilleure performance par rapport à un même niveau de risque et ce, sur un univers d’investissement identique, on peut facilement imaginer que les différents robots aboutiront aux mêmes décisions d’achat et vente, ce qui amène nécessairement de grands problèmes de liquidité.

L’équilibre entre homme et machine

Les avancées technologiques sur l’IA soulèvent donc de très nombreuses questions. Les apports qu’elle permet sont tout aussi nombreux que les doutes qu’elle suscite. Les sociétés de gestion se mettront-elles à recruter  à terme des profils purement mathématiques, de préférence, à des profils financiers économiques ? Les gérants discrétionnaires sont-ils amenés à disparaître ? La réponse à ces questions n’est bien évidemment pas si simple… Chaque robot, chaque technologie, chaque algorithme aura nécessairement (dans un avenir proche) besoin d’un économiste, d’un financier, d’un gérant pour le programmer. Les gérants auront sans nul doute à l’avenir plus que jamais besoin d’avoir un profil autant financier que mathématique.
Aujourd’hui, l’IA place l’industrie de la gestion d’actifs plus dans une optique d’équilibre entre l’homme et la machine que dans une optique d’affrontement, de compétition, voire de remplacement. L’IA est sans aucun doute l’un des meilleurs outils de prise de décision jamais offert aux marchés financiers, mais comme tout outil, elle est naturellement subordonnée à la décision de son utilisateur, lorsqu’il convient de prendre la décision finale.

 

Participants à la conférence

La conférence organisée par le parcours Asset management, animée par M. Raphaël Cretinon, directeur, Periclès Consulting, a rassemblé :

  • Paul Bureau, Product Manager, OneWealthPlace
  • Alexandre Harkous, Founder & Executive Chairman, OneWealthPlace
  • Pierre Hervé, directeur de la gestion, Convictions Asset Management
  • Laurent Jaeger, Executive Partner, Head of Investment Banking, IBM
  • François Jaussaud, Associate Partner, Financial Security and Intelligence Leader, IBM
  • Mathieu L’Hoir, Senior Multi Asset Portfolio Manager, Axa Investment Managers
  • Charles-Albert Lehalle, Senior Research Advisor, Capital Fund Management
  • Étienne Vincent, Head of Global Quantitative Management, BNP Paribas Asset Management

À retrouver dans la revue
Revue Banque NºHOF2018