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Économie

« Il existe un intérêt collectif à développer la “bonne” finance »

Créé le

06.05.2015

-

Mis à jour le

26.05.2015

Être « profinance » peut recouvrir deux types de politiques : l’une consiste à adopter un statut fiscal, juridique, ou autre particulièrement avantageux, et sa pérennité est subordonnée au maintien de cet avantage concurrentiel ; l’autre consiste à favoriser une «●bonne●» finance et se fonde sur un réel savoir-faire, au service des besoins de l’économie.

Quelle définition donner d’un pays « profinance » ?

Une première catégorie comprend les pays qui mettent en place des dispositifs exceptionnels pour attirer des activités financières, sans avoir au départ de savoir-faire spécifique dans ce domaine ; la seconde regroupe des pays qui considèrent que la finance est une activité importante pour leur économie et qu'elle a besoin d’être raisonnablement rentable pour être pérenne. Si une activité rend des services et est profitable, il est bon de l’avoir chez soi, même si elle ne sert pas uniquement des clients nationaux, mais aussi étrangers. Cela veut dire que le pays est la base d’une activité économique qui apporte une valeur ajoutée et est reconnue comme telle.

 

Comment catégoriser les pays sur la base de cette distinction ?

Sans faire de classement, les pays de la première catégorie ont une activité essentiellement liée à un statut fiscal ou juridique, ou encore un mode d’exercice de la supervision. Ils courent le risque sérieux de perdre cette activité si cet avantage disparaît ; c’est l’équivalent de ce qu’on appelle des paradis fiscaux en dehors de l’Europe. C’est un atout qui ne correspond pas à une valeur ajoutée, sauf si l'on considère que, sur le point considéré, les pratiques des autres pays sont irrationnelles ou excessives. Dans ce dernier cas, il est compréhensible qu’un pays profite de cette situation, même si elle n'est souvent pas véritablement durable.

Les pays de cette première catégorie ne sont d’ailleurs pas nécessairement de petits pays. De plus, ils peuvent développer leur industrie financière en utilisant ce genre d’outils, mais se doter parallèlement d'un savoir-faire technique, de compétences particulières, ou d’un savoir-faire de régulateur, voire même d’une marque au niveau international, qui font que les produits estampillés dans ce pays jouissent d’une image favorable à un niveau beaucoup plus large.

Quels sont selon vous les critères essentiels pour favoriser l’expansion de l’industrie financière ?

Dans le cas d'une bonne finance, utile dans le pays, le premier critère est la stabilité juridique, fiscale et réglementaire, mais à condition qu’elle soit assise sur des bases raisonnablement positives : avoir une fiscalité stable mais confiscatoire n’est pas très efficace. Ensuite, il faut attirer à la fois les émetteurs, les investisseurs et les intermédiaires par un environnement favorable.

Comment y parvenir ?

Pour construire cet environnement, il ne faut évidemment déjà pas faire l’objet d’une concurrence anormale de la part d’autres entités, qui ne respectent pas des règles minimales. Ainsi, il est normal d'instaurer un minimum de fiscalité, une fiscalité raisonnable. Si un pays voisin vous concurrence par une fiscalité dérisoire, il ne vous est pas possible de développer sainement une industrie financière. À ce moment-là, il est indispensable que le cadre commun, en l’espèce européen, traite ce problème. Mais une fois cet environnement installé, il est clair que le rôle des Pouvoirs publics – pas seulement le gouvernement du moment, mais l’esprit public – est tout à fait central.

Que dire aujourd’hui de cet esprit public en France ?

Il évolue. En effet, entre 2008 à 2013, le pays a connu une atmosphère collective très défavorable à la finance, car on a fait une confusion grave entre deux problématiques :

  • d’un côté, la régulation de la finance au niveau mondial ou européen, à la suite de la crise, avec un besoin évident de mesures d’encadrement ;
  • d’un autre côté, le contexte spécifique de la finance en France.
Notre pays a deux caractéristiques positives : il produit des gens talentueux et compétents en matière financière ; ses institutions financières ont sensiblement mieux résisté à la crise qu’ailleurs. Les Pouvoirs publics auraient dû profiter de ces avantages, tout en coopérant bien sûr à l’action internationale, pour précisément accroître le rôle de la bonne finance dans le pays, à la fois au service direct des entreprises et investisseurs français, et le rôle international de la France. Malheureusement, nous avons eu tendance, au contraire, à choisir une forme de surenchère antifinancière par rapport aux pays voisins, qui a joué à notre détriment. Et, même si nous pouvons espérer que les dernières séquelles de cet état d’esprit et de cette période soient bientôt derrière nous, le processus n’est pas complètement terminé : il reste notamment le projet inepte de TTFE.

Ce faisant, la France a probablement manqué à nouveau une opportunité de devenir un pays ouvert à la finance au sens vertueux du terme, principalement par comparaison avec Londres. Le Royaume-Uni, avant 2008, avait une régulation tout à fait insuffisante. Cela a créé une rancune considérable contre la finance dans l’esprit public et chez les électeurs britanniques, non sans motif. La France, qui a toujours eu une finance plus raisonnable et mieux contrôlée, avait théoriquement la possibilité de renforcer son positionnement. Nous ne l’avons pas saisie. C’est dommage, même si indéniablement l’attitude du gouvernement actuel tend récemment à évoluer sur ce plan.

Qu’en est-il du régulateur, jugé en France particulièrement rigoureux ?

Historiquement, le régulateur français a toujours affiché une politique de rigueur, censée être rassurante pour les investisseurs et les émetteurs. Le raisonnement est juste dans son principe, mais la pratique a sans doute souffert d’une exagération relative dans le sens, non pas de la rigueur, mais de la bureaucratie. Même si l’évolution actuelle est plus positive et que, globalement, c’est un régulateur avec lequel la discussion est tout à fait possible. Le régulateur britannique, de son côté, a radicalement évolué, d’une attitude qu’il faut bien qualifier de laxiste vers un comportement où, au contraire, la pression devient bureaucratique, essentiellement pour des raisons politiques. Notre régulateur, qui est resté quant à lui plus régulier, apparaît aujourd’hui plus raisonnable. Le régulateur doit en fait trouver un juste milieu entre des exigences indiscutables et des méthodes compatibles avec la vie des affaires.

Le contexte européen et l’intégration européenne changent-ils la donne entre pays pro- et antifinance, en accélérant un certain nivellement des situations ?

Non. Des actions communes, par exemple en matière d’information fiscale, peuvent faire disparaître partiellement certains avantages – d’ailleurs contestables en l’espèce –, mais il reste des divergences importantes. C’est le paradoxe : même lorsqu’une législation européenne commune a été adoptée, comme depuis 10 ans dans de nombreux domaines, on constate que la mise en œuvre est variable d’un pays à l’autre.

Les avancées dans la lutte contre les paradis fiscaux contribuent-elles à réduire le nombre des pays profinance assimilables à des paradis fiscaux, ceux de votre « première catégorie » ?

On constate en effet une disparition partielle, qui sera peut-être un jour totale, de l’opacité dont les étrangers pouvaient bénéficier dans ces pays. Mais cela ne fait pas disparaître toutes les différences entre les régimes fiscaux. Vous pouvez toujours y réaliser des opérations qui bénéficieront, de manière parfaitement légale, d’un régime fiscal sensiblement plus avantageux ; cela s’appelle de l’optimisation fiscale, et donc les paradis fiscaux pourront garder un certain attrait. Cela sera moins « paradisiaque », mais quand même plus avantageux que dans le pays voisin, où les impôts sont beaucoup plus lourds.

Certains soulignent que les pays doivent faire le choix, non pas de la finance, mais plutôt d’une finance éthique, c’est-à-dire notamment d’une finance de long terme…

C’est un critère qui n’est pas contradictoire avec une politique favorable à la finance. Si un environnement est globalement peu favorable à la finance, il existe peu de chance de développer facilement une finance éthique, parce que de toute façon, l’industrie financière aura tendance à le fuir ou à s’expatrier ; et il serait peu réaliste de chercher à ne développer qu’une finance éthique, grâce à un régime totalement différent de la finance ordinaire. Il faut ajouter surtout que, en matière d’éthique, les textes réglementaires ne sont qu’une partie de la réalité : on se heurte assez vite à la question du comportement, qui relève de la responsabilité personnelle. Prenons l’exemple des débats autour du droit de vote double : les textes peuvent autorisent ou non ce type de droits, mais ce sont les assemblées générales qui votent pour ou contre leur application au sein de l’entreprise. Semblablement, même si les textes mettent en place un régime favorable au placement de long terme, les investisseurs peuvent, pour toutes sortes de raisons, en rester à un horizon de court terme. C’est de leur responsabilité.

Cela étant, il faut bien reconnaître que la réglementation actuelle, particulièrement du fait des normes comptables, ne favorise pas le capital de long terme : appliquer des normes de marquage au marché ne pose aucun problème pour des opérateurs qui sont par nature à court terme, comme les intermédiaires financiers ou les OPCVM. En revanche, elles ne sont pas adaptées aux investisseurs de long terme. Dans le même registre, il serait hautement souhaitable qu’en France, les institutions de prévoyance et de retraite ne relèvent pas de Solvabilité 2, mais du régime des fonds de pension, sur le plan prudentiel et comptable. C’est un point très important et c’est un choix public.

Que faire pour que la France devienne un pays « profinance » ? Faut-il considérer que les cartes sont définitivement jouées ?

Elles ne sont pas jouées, car nous avons trois familles d’atouts qui perdurent :

  • nous formons des financiers très talentueux que, trop souvent, nous exportons ;
  • nous avons une base économique appréciable et des institutions financières importantes et respectées ;
  • enfin, le fait d’être dans la zone euro reste un avantage relatif par rapport à ceux qui n’y sont pas.
Or il existe un intérêt collectif à développer la « bonne » finance dans le pays. Par exemple, le financement en fonds propres pour couvrir les besoins des entreprises nouvelles, prometteuses, ou en développement rapide, notamment dans les nouvelles technologies. On ne finance pas à crédit une entreprise qui démarre ou qui est en pleine expérimentation. Développer l’épargne longue en actions devrait être une priorité nationale absolue. Bien entendu, cela suppose d’abord d’éviter des erreurs graves comme la TTFE. Mais cela peut entrer dans le cadre des réflexions de l’actuel ministre de l’Économie qui s’intéresse au développement de ce qu’il appelle un « capitalisme populaire ». À un moment donné, la distinction étant faite entre bonne et mauvaise finance, il nous faut reconnaître collectivement que la bonne finance est une activité qu’il est hautement désirable de développer en France ; et que, contrairement à une impression reçue, nous sommes bien placés pour cela.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº785bis