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Fonds de financement de l’économie française : Un enjeu de croissance et de souveraineté pour la France

Créé le

09.11.2012

-

Mis à jour le

07.12.2012

Pour améliorer l’accès aux financements des PME-ETI, la Place de Paris propose la mise en œuvre d’un fonds de financement de l’économie française (FFEF), qui pourrait être complémentaire de la BPI. Ce projet, néanmoins, ne pourra pas voir le jour sans un soutien politique, avertissent les professionnels.

La zone euro fait face à deux grandes difficultés, la maîtrise de sa dette souveraine et la restauration d’un écosystème de croissance. L’une et l’autre sont étroitement liées : sans croissance, le stock de dette ne sera réduit qu’au prix d’une austérité et de sacrifices insupportables. La dette induit de surcroît une difficulté à procéder à des négociations commerciales positives avec les pays qui nous financent. Le retour de la croissance est en conséquence un impératif absolu.

Face à la crise, l’Europe s’est engagée dans des réformes prudentielles dont les conséquences sont de ce point de vue très lourdes. Bâle III et Solvabilité 2 (voir Encadré 1) vont significativement réduire la traditionnelle intermédiation bancaire en même temps que la capacité de l’assurance à apporter son concours au financement de marché. Le modèle européen de financement est ainsi contraint de se transformer rapidement, à l’image du modèle américain dans lequel les marchés jouent un rôle primordial pour le financement de l’économie, en particulier pour le haut de bilan.

Dans cet environnement, la France éprouvera des difficultés bien plus grandes que ses partenaires européens, difficultés qui constituent pour notre pays autant d’enjeux de souveraineté spécifiques.

Comme ailleurs, le financement par crédit bancaire y est traditionnellement élevé (70 % du financement de l’économie). Mais en France, le système bancaire est très concentré et doit simultanément s’adapter aux nouvelles contraintes pesant sur le modèle de banque universelle et les activités de banque d’investissement. L’impact réglementaire lié à l’augmentation des fonds propres conduirait ainsi à un besoin de financement des banques françaises estimé à 200 milliards d'euros sur 3 ans.

En ce qui concerne le financement désintermédié, les compagnies d’assurance avaient historiquement été des apporteurs de capitaux majeurs sur les marchés (50 % de l’épargne financière domestique), notamment pour les PME et ETI.

Notre problème singulier est qu’il n’existe pas d’épargne domestique spontanément disponible pour se substituer à ces mécanismes désormais bridés par les nouvelles normes prudentielles : l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne ont leurs banques régionales ; le Royaume-Uni et les Pays-Bas, leurs fonds de pension. Nos grandes entreprises, dans le capital desquelles les non-résidents ont déjà une part très importante, se tourneront donc encore davantage vers les marchés internationaux de capitaux. Nos PME et ETI, déjà affaiblies par des taux de marge faibles (voir Encadré 2), se trouveront donc confrontées à un accès plus restreint au financement de marché nécessaire pour réaliser leurs investissements (voir Encadré 3). Or la situation actuelle en la matière n’est pas satisfaisante, tant l’offre domestique de capitaux peine à rencontrer une demande caractérisée par une illiquidité et un profil de risque particuliers, notamment pour ce qui concerne les sociétés les plus innovantes (voir Encadrés 4 et 5).

Le « bon » financement de l'économie résultera d'une combinaison de solutions

Face à cela, la solution ne peut être unique. Le gouvernement vient de mettre sur les rails la Banque Publique d’Investissement (BPI) qui constituera une pièce importante pour répondre à certains besoins de financement des entreprises. Il a par ailleurs lancé une mission de réflexion sur la structure de la fiscalité de l’épargne, aujourd’hui totalement désincitatrice au financement de l’économie. Depuis plusieurs mois, préoccupé par la situation des PME et ETI, il soutient diverses réflexions sur ce sujet, dont notamment celle qui doit aboutir à la création d’une Bourse de l’entreprise, spécifiquement destinée aux PME et ETI.

En ce qui concerne la Place de Paris, diverses initiatives sont également en cours. Des fonds de crédit sont en préparation chez les gérants et les assureurs. L’Af2i a formulé des recommandations pour réviser le cadre réglementaire et supprimer les contraintes d’un autre temps bridant les capacités des investisseurs institutionnels à répondre aux besoins de financement de l’économie. L’AFG a formulé des propositions pour renforcer la mobilisation de l’épargne au service du financement de la croissance et de l’emploi. L’AFTE a fait également des propositions en ce qui concerne le financement des entreprises. L’AMAFI a lancé une réflexion sur la simplification des conditions d’émission obligataire, à l’image des USPP [1] aux États-Unis ou des Schuldschein en Allemagne.

Ces solutions sont cumulatives et non exclusives, l’urgence imposant de poursuivre toutes les pistes. Pour autant, pour la plupart, elles présentent l’inconvénient de s’appuyer sur des changements réglementaires et comportementaux dont l’effet ne pourra pas être immédiat.

C’est ici que le projet de Fonds de financement de l’économie française (FFEF), solution collective de réallocation d’actifs, sous ombrelle publique et à gouvernance paritaire, présente un intérêt très particulier. Le FFEF permettrait en effet de libérer très rapidement des montants considérables pour le financement de l’économie, dont une partie significative (20-30 milliards d'euros) à destination du financement des PME-ETI, véritables moteurs de la croissance sur notre territoire. Le FFEF constituerait ainsi un outil désintermédié complémentaire de l’initiative gouvernementale de création de la BPI, bras armé de l’Etat en matière de financement intermédié.

Le Fonds de financement de l'économie française (FFEF)

Le précédent du Fonds de réserve pour les retraites (FRR)

Créé sous le Gouvernement Jospin, le FRR est techniquement géré comme un fonds de pension, privilégiant le long terme. Il est établi sous ombrelle publique (CDC) et bénéficie d’une gouvernance efficace qui associe le Parlement et les partenaires sociaux. Les promesses de financement initiales (objectif de 120 milliards d’euros, pour 30 milliards d’euros d’actifs aujourd’hui) n’ont pas été tenues et il est désormais géré en extinction dans le cadre de la dernière réforme des retraites. Géré selon l’état de l’art, la performance du FRR, sans être exceptionnelle, a été honorable compte tenu des difficultés des marchés et de la désarticulation des échelles rendement-risque constatées sur les marchés depuis sa création.

Le FRR a ainsi développé une expertise humaine et technique précieuse dans un cadre de gouvernance accepté par les différentes composantes du corps social. Le FFEF pourrait utilement s’inspirer de ce précédent, en adoptant toutefois un biais de gestion domestique justifié par son « objet social ».

La collecte du FFEF

L’enjeu étant le financement de long terme de l’économie, il faut particulièrement veiller à ce que les capitaux associés à des passifs de long terme soient prioritairement employés dans cette perspective. Or, depuis 2008, la montée des instabilités a conduit certains détenteurs de tels capitaux à réorienter une partie significative de leurs actifs vers du court terme, souvent pour des raisons honorables de présentation de leurs résultats à leur gouvernance.

L’objectif est donc de créer une structure d’allocation d’actifs dont la force de frappe sera adaptée aux défis adressés au financement de l’économie française. Le FFEF réunirait ainsi des capitaux insuffisamment alloués en représentation de leurs passifs de long terme. Les montants concernés peuvent être significatifs, très certainement de l’ordre de plusieurs dizaines de milliards d’euros ; divers fonds de dotation, dont ceux issus du Grand Emprunt, divers fonds issus des régimes publics et privés de prévoyance.

Au delà de son intérêt « mécanique » d’allocation d’actifs le FFEF adresserait un signal puissant et mobilisateur à l’égard de l’ensemble des agents économiques, industriels et financiers. Il pourrait également constituer un « vaisseau amiral » auprès duquel pourraient se référer un certain nombre d’autres véhicules de collecte d’épargne à long terme.

La gestion du FFEF

L’horizon de gestion étant long par construction (car les capitaux apportés le sont), le FFEF aurait une allocation d’actifs favorisant les fonds propres (dont le private equity, en particulier l’early stage, à destination des jeunes entreprises de croissance) et la dette d’entreprise. L’allocation dans les différentes classes d’actifs respecterait le principe de diversification. Le fonds comporterait ainsi plusieurs compartiments dont l’allocation d’actifs serait cohérente avec les horizons de placement de chacun des apporteurs de capitaux. À côté des instruments classiques (actions et obligations), le FFEF pourrait être le support du développement de classes d’actifs très adaptées à notre modèle historique de financement (titrisation de portefeuilles de crédits PME des banques) ou plus incitatives pour les investisseurs institutionnels (quasi fonds propres) (voir Encadré 6).

Dans une enveloppe théorique de 100 milliards d’euros, environ 25 milliards auraient « rationnellement » vocation à être alloués vers les PME-ETI, tant en dette qu’en capital, selon des investissements qui seront souvent complémentaires de ceux de la BPI.

La mise en place du FFEF et de la BPI devrait en outre s’accompagner d’une stratégie volontariste de fertilisation des campus d’excellence, à l’image de Palo-Alto, Boston, Londres, etc.

Le FFEF, s’appuyant sur l’expertise et les modes de gouvernance développés par le FRR, agirait en confiant des mandats spécialisés par classes d’actif.

Les mandats tiendraient compte des durées propres aux différents passifs concernés. Ils seraient attribués à des sociétés de gestion établies en France. À la différence du FRR qui a investi dans le portefeuille de marché international, souvent au travers de mandats confiés à des acteurs étrangers, l’objectif est en effet le financement de l’économie française, ce qui suppose qu’il soit assuré par des acteurs immergés dans l’environnement national.

Un projet d'intérêt général qui doit être soutenu par le gouvernement

Le projet est porté à l’origine au niveau de la Place de Paris, parce que l’enjeu d’intérêt général qu’il poursuit coïncide avec celui de la revitalisation d’un écosystème de Place désormais en situation très défavorable : on ne peut en tout état de cause se satisfaire que le financement de notre économie dépende de façon croissante de places financières étrangères, qui agissent en obéissant à des logiques éloignées des centres de décision français (fonds de pension, fonds souverains émergents, etc.).

L’impulsion politique est nécessaire afin de rassembler toutes les parties prenantes autour d’axes stratégiques clairs et de tracer une feuille de route explicite. Dans cette perspective, il faudra tout particulièrement favoriser la mise en place des chantiers d’avenir suivants :

  • flécher les capitaux insuffisamment alloués par rapport à la durée des passifs ;
  • définir une gouvernance associant les apporteurs de capitaux ;
  • s’assurer de l’adéquation des textes de droits français et européens, de telle sorte que les investisseurs concernés puissent employer leurs capitaux au service d’engagements long terme
Bien évidemment, cette approche devra se faire en collaboration avec les partenaires européens pour promouvoir la mise en place d’un cadre propice à des perspectives de croissance durable.

Achevé de rédiger le 9 novembre 2012.

1 US Private Placement.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº754bis
Notes :
1 US Private Placement.