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Face à la puissance financière américaine, l’Europe doit être plus ambitieuse

Créé le

18.05.2016

-

Mis à jour le

30.05.2016

Les acteurs américains sortent renforcés d’une crise financière qui, ironie du sort, a pris naissance chez eux : c’est le constat paradoxal qui s’impose à la lecture des classements des grandes banques internationales, dans lesquels les établissements américains, indétrônables sur leur marché domestique, ont significativement accru leurs positions en Europe.

Si ce constat mérite d’être nuancé – cette surpuissance des banques américaines porte essentiellement sur les activités de banque d’investissement, les banques européennes conservant de bonnes positions dans les activités de financement et de détail –, il importe surtout d’en rappeler le contexte. Cette puissance américaine date de bien avant la crise : les banques ont pu développer leur expertise dans une économie nationale qui se fonde de longue date sur des financements de marché, dont le marché domestique est large et profond, avec des infrastructures de marché tout aussi bien dimensionnées. Rien d’étonnant à ce qu’elles aient pu, depuis ce socle robuste, s’imposer ensuite à l’international.

Au-delà des performances propres des acteurs américains, cette domination financière vient également de la force du dollar, qui demeure la première monnaie internationale, et d’autres facteurs parfois moins directement identifiés et qui n’ont pas été remis en cause suite à la crise : par exemple, une conception anglo-saxonne de quantification du risque qui sous-tend aujourd’hui encore les contenus des réglementations internationales ou les modélisations utilisées dans le contrôle des risques. Sans oublier l’importance prise par les acteurs du shadow banking américain, notamment dans l’asset management, au point de poser la question d’un risque systémique qui, de nouveau, n’épargnerait pas l’Europe.

Il serait tentant d’expliquer cette consolidation récente de la surpuissance financière américaine par un déséquilibre réglementaire en faveur des États-Unis : mais de l’avis même des professionnels, et en dépit des différences dans la mise en œuvre des réglementations, les contraintes prudentielles pèsent aujourd’hui peu ou prou d’un même poids des deux côtés de l’Atlantique. À deux nuances près :

  • le cadre réglementaire postcrise est déjà balisé aux États-Unis, alors qu’il reste en construction en Europe ;
  • les évolutions de la réglementation prudentielle promeuvent le financement par les marchés, ce qui donne un avantage intrinsèque aux établissements américains.
Que fait de son côté l’Europe pour consolider son industrie financière ?

L’achèvement de l’Union bancaire devrait permettre de stabiliser le cadre réglementaire et de faciliter pour les établissements bancaires européens le redéploiement stratégique de leurs activités.

L’Union des marchés de capitaux paraît également reposer sur des principes sains ; mais pourra-t-elle imposer un modèle européen de financement par les marchés ? Des craintes s’expriment d’un modèle qui ne ferait que singer le modèle américain sans intégrer les spécificités européennes ; ou d’une religion européenne de la concurrence, qui conduit aujourd’hui à ouvrir largement les portes des marchés financiers européens, alors que les États-Unis préservent le leur avec détermination.

Enfin, l’Europe joue-t-elle suffisamment de certains atouts spécifiques liés à la qualité de son environnement technique et intellectuel, qu’il s’agisse des innovations en termes de financement ou de paiement, souvent issues des FinTech, ou de la qualité mondialement reconnue de sa recherche quantitative en finance ?

En réponse à la surpuissance financière américaine, l’Europe doit affirmer avec force ses ambitions et construire son propre modèle de marché, avec ses spécificités. Mais il faut bien constater qu’en la matière, la réflexion reste balbutiante… Espérons que ce nouveau dossier organisé par Revue Banque et l’AMAFI contribue à lui donner un nouvel élan !

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº797bis