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Stratégie d'internationalisation

Banques des pays émergents : bientôt globales ?

Créé le

10.04.2013

-

Mis à jour le

24.04.2013

Appuyant leur puissance sur un vaste marché domestique, les banques des BRIC entrent aujourd’hui dans des stratégies plus internationales. Le contexte de restructuration des banques occidentales leur est favorable.

La présence accrue des banques des pays émergents constitue l’une des évolutions les plus marquantes du paysage bancaire mondial depuis le début de la crise financière. On compte aujourd’hui 19 banques issues des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) parmi les 50 principales banques mondiales classées par le bénéfice net 2011. Elles représentent 48 % du bénéfice net global de ces 50 banques [1] . Les moteurs de la croissance des banques des pays émergents sont connus :

  • environnement macroéconomique favorable ;
  • bancarisation progressive des populations ;
  • développement de la classe moyenne et de la clientèle à fort potentiel patrimonial ;
  • dépôts stables et supérieurs aux encours de prêts ;
  • forte rentabilité conduisant à un niveau de solvabilité élevé.
Malgré leur puissance, les grandes institutions financières des pays émergents apparaissent moins engagées à l’international que leurs homologues des pays développés : elles ne représentent ainsi que 20 % des banques à capitaux étrangers dans le monde, contre 66 % pour les banques des pays développés [2] .

Le développement à l’international des banques des pays émergents obéit à des logiques multiples, qui sont liées notamment à leur contexte national. On observe néanmoins des problématiques communes.

Quelles banques ?

Le développement à l’international suppose d’être en mesure de mobiliser des moyens financiers (fonds propres, liquidités), opérationnels (implantations physiques, systèmes d’information, dispositifs de contrôle) et humains (équipes commerciales, senior bankers). Le critère de taille apparaît dès lors déterminant. C’est pourquoi, sauf politique de niche, ce sont essentiellement les banques issues des pays dont les marchés bancaires domestiques sont les plus larges qui sont les plus actives à l’international.

La maturité du marché bancaire domestique constitue également un facteur explicatif de l’engagement à l’international : le processus de bancarisation a permis d’engranger les résultats financiers qui autorisent aujourd’hui le développement à l’international, lequel apporte de nouveaux relais de croissance. Bien qu’élevée, la rentabilité des banques des principaux pays émergents a désormais tendance à se stabiliser, voire à baisser, et on peut anticiper une accélération de leur internationalisation.

Quelles zones géographiques ?

Les marchés émergents vont continuer à bénéficier dans les prochaines années des facteurs d’attractivité déterminants mentionnés plus haut. Dans la mesure où elles voudront privilégier les marchés où la croissance attendue est la plus forte, les banques des pays émergents vont donc chercher à s’implanter sur d’autres marchés émergents plutôt que sur les marchés des pays développés, désormais matures et à la rentabilité plus faible.

La connaissance des spécificités des marchés émergents qu’elles ont pu acquérir sur leur marché domestique constitue un atout clé dans la conquête de ces nouveaux marchés bancaires. On constate ainsi, pour les banques des pays émergents, une tendance à s’implanter d’abord sur leurs marchés de proximité : 70 % des investissements des banques des pays émergents se font ainsi dans leur environnement régional [3] . Il en résulte la formation de réseaux bancaires régionaux tels qu’on peut les observer avec les groupes panafricains Standard Bank, premier groupe bancaire du continent présent dans 17 pays, ou Ecobank, qui possède le plus vaste réseau d’Afrique avec 32 implantations. Le groupe bancaire brésilien Itau Unibanco, implanté dans la plupart des marchés bancaires significatifs d’Amérique latine, en offre une autre illustration.

Croissance interne ou externe ?

Historiquement, les banques des pays émergents comme celles des pays développés ont initié leur internationalisation par l’ouverture de bureaux de représentation, puis de succursales. Cette approche peut suffire à développer certaines activités à destination de la clientèle corporate, telles que le trade finance, car elles permettent de centraliser les opérations de gestion dans des back-offices du pays d’origine de la banque ou sur des plates-formes régionales. Elle est en revanche difficilement concevable pour une activité retail, sauf à la limiter aux ressortissants nationaux en déplacement ou aux expatriés. Il est alors nécessaire de disposer d’un véritable réseau d’agences. La banque en ligne multipays apparaît en effet pour l’instant réservée aux banques de pays développés, du fait des expertises techniques et commerciales à mettre en œuvre et de l’équipement nécessaire chez les clients.

Constituer un réseau par croissance interne peut s’avérer complexe et long, en raison notamment de l’obligation d’obtenir des autorités locales licences ou agréments bancaires, voire de l’impossibilité d’ouvrir de nouvelles agences dans certains pays. L’acquisition d’un réseau déjà existant constitue dès lors l’alternative retenue par de nombreux acteurs. Le contexte actuel, qui conduit les banques des pays développés à revoir leur stratégie à l’international et l’allocation de leurs moyens financiers tant en capital qu’en liquidité, offre des opportunités. En 2011, Sberbank, première banque de Russie, a acheté le groupe VBI, réseau de 8 banques implantées en Europe de l’Est, à ses actionnaires autrichiens, français et allemands. En 2012, Sberbank a poursuivi la construction de son réseau à l’étranger par l’acquisition de Denizbank auprès de la banque franco-belge Dexia. Profiter du relatif désengagement des banques des pays développés peut également s’effectuer sans opération de M&A. C’est ainsi que les banques asiatiques ont pris des parts de marché importantes en profitant du repli des banques européennes sur certains métiers comme le financement de projet.

Le contexte actuel, ponctuellement favorable aux banques des pays émergents, pourrait toutefois ne pas durer au-delà de la période de restructuration des banques des pays développés. Ces dernières ont en effet toujours de l’appétit pour le potentiel de croissance des pays émergents, et reviendront à l’achat dès que le cadre réglementaire se sera stabilisé et que leur situation financière se sera renforcée.

Quelles approches alternatives pour le marché retail ?

En complément des approches classiques (obtention de licences bancaires locales, mise en place de partenariats ou acquisition d’un réseau bancaire déjà existant), d’autres voies sont privilégiées par certains acteurs. Les banques des pays d’émigration peuvent trouver dans la population installée dans les pays d’accueil une base de clientèle à servir. C’est ainsi que la banque turque Isbank a créé des réseaux dans les pays dans lesquels un nombre significatif de ressortissants turcs se sont installés [4] .  C’est également le cas de la banque marocaine Attijariwafa Bank, qui se présente comme un acteur de référence de « l’ immigrant banking » [5] .

Autres stratégies envisageables pour les banques qui sauront reproduire sur de nouveaux marchés les expertises acquises sur le marché domestique : déployer des canaux de distribution innovants tels que le mobile banking ou accélérer la bancarisation de la clientèle à faible revenu (financial inclusion).

Quelle approche pour le marché corporate ?

L’accompagnement des entreprises domestiques dans leur développement international constitue une incitation forte à l’internationalisation des banques des pays émergents, voire un impératif pour les banques chinoises et indiennes qui doivent être en mesure d’accompagner leurs grands clients. L’acquisition de parts de marché à l’étranger ou la sécurisation de l’accès aux ressources naturelles requiert en effet financements bancaires et accès au marché des capitaux. Ces entreprises se tournent alors naturellement vers leurs partenaires locaux historiques, d’autant plus que les banques des pays développés sont souvent contraintes de réduire leurs engagements. La banque chinoise ICBC en est un des meilleurs exemples.

Quels freins ?

Les opportunités apparaissent nombreuses pour les banques des pays émergents à la recherche d’un développement international, mais les obstacles ne doivent pas être sous-estimés. Si leurs ressources de liquidité sont le plus souvent abondantes et stables, les besoins nés de la bancarisation croissante de la population domestique en captent la majeure partie, ce qui limite d’autant le développement des encours à l’étranger. Les gouvernements ou les régulateurs locaux peuvent en outre considérer négativement de telles « exportations » de ressources, considérant qu’elles risquent de se faire au détriment du financement des clients domestiques.

Par ailleurs, le niveau de provisionnement des banques des pays émergents est en général plus faible que celui des banques des pays développés. La conquête de parts de marché bancaires s’accompagne souvent de prises de risques supplémentaires, et l’absence de réserves et de provisions pourrait avoir un impact négatif sur la rentabilité des banques en phase d’internationalisation. Ceci est d’autant plus vrai que ces banques sont souvent entrées dans une phase de stabilisation ou de baisse de leur rentabilité, et donc de leur capacité de constitution de provisions.

Enfin, le développement à l’international exige de rassembler des compétences humaines et techniques passant par des investissements et des embauches de cadres confirmés. Il apparaît également indispensable pour ces banques de renforcer leurs moyens de contrôle interne et de gestion des risques, un impératif souvent oublié. Les opérations à l’étranger sont en effet  toujours plus délicates à maîtriser que les engagements domestiques.

 

En conclusion, si les grandes banques des pays émergents affichent toutes ou presque l’ambition de devenir des acteurs bancaires globaux et présentent déjà souvent, tout au moins sur le papier, un vaste réseau mondial, on constate que leur développement à l’international s’opère avec prudence, ce qui se traduit notamment par un nombre réduit d’acquisitions significatives. Elles cherchent d’abord à se développer sur leur marché régional et à travers l’accompagnement de leurs clients domestiques.

La tendance à la stabilisation ou à la baisse de la rentabilité dégagée sur leur marché local, si elle va les inciter à rechercher de nouvelles sources de croissance, les conduira a priori à préférer les marchés émergents au détriment des marchés développés.

On peut ainsi s’attendre au développement de champions régionaux en Amérique latine, en Asie, au Moyen-Orient, voire en Europe centrale et en Europe de l'Est. En revanche, un intérêt à grande échelle des banques des pays émergents pour des actifs retail dans les pays développés apparaît aujourd’hui peu probable.

 

1 Source : analyse KPMG. 2 Source : Foreign Banks : Trends, Impact and Financial Stability, FMI, 2012. 3 Ibid. 4 Allemagne (13 agences), République turque de Chypre du Nord (14 agences) et Russie (13 agences) après l’acquisition en 2011 de la banque russe CJSC Bank. 5 Présence dans 7 pays européens en complément son réseau d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº760
Notes :
1 Source : analyse KPMG.
2 Source : Foreign Banks : Trends, Impact and Financial Stability, FMI, 2012.
3 Ibid.
4 Allemagne (13 agences), République turque de Chypre du Nord (14 agences) et Russie (13 agences) après l’acquisition en 2011 de la banque russe CJSC Bank.
5 Présence dans 7 pays européens en complément son réseau d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale.