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Immobilier et compétitivité : un mauvais procès

Créé le

25.07.2014

-

Mis à jour le

02.09.2014

Le logement est en France un sujet extraordinaire. D’abord nous avons probablement le plus beau ministère du logement d’Europe ; ensuite nous avons le record du turnover, avec 12 ministres successifs au cours des 25 dernières années. Enfin, nous sommes le seul pays dans lequel le logement est en permanence en crise… Pour couronner le tout, les analyses de la situation se réduisent souvent à des incantations. Dernière idée brillante : les prix et les loyers sont trop chers, les ressources qui vont vers le logement sont détournées de la consommation ou de l’épargne (qui se transformerait, comme chacun sait, en investissement). Bref, le marché du logement est le grand ennemi de la compétitivité de notre pays.
Cette accusation est assez surprenante, car elle met les loyers d’habitation au même niveau que l’euro trop fort, le renminbi trop dévalué, le prix du pétrole deux fois plus élevé que dans les années 1990, le poids des prélèvements publics bien au-dessus de la moyenne européenne, la difficulté de notre pays à se réformer, etc. C’est faire trop d’honneur à l’immobilier !
Mais c’est aussi prendre le risque d’aggraver le problème existant.
Il est exact en effet que les loyers sont élevés pour beaucoup de ménages, et que l’accession est, elle aussi, difficile. Il y a donc un problème bien réel, et comme toujours ce sont les plus faibles qui en subissent le plus lourdement les conséquences. Mais pourquoi les loyers ont-ils atteint en France des niveaux parfois incompatibles avec les revenus de ceux qui doivent se loger ? Parce que de façon très évidente, aux endroits où le plus de ménages veulent habiter, pour des raisons d’emploi ou de conditions de vie, le rythme de construction a été bien trop faible par rapport à la demande.
Il faudrait donc, en toute logique, augmenter les investissements dans ce secteur, pourquoi pas en appelant l’épargne privée en renfort à l’aide des bons vieux avantages fiscaux. Cela permettrait au bout du compte de développer l’offre, et par conséquent de détendre les prix et les loyers.
C’est là que l’accusation de nuisance économique, si elle devait être prise au sérieux, risquerait de paralyser nos politiques, de les décourager de prendre les seules décisions permettant d’affronter efficacement la situation de rareté. Il est toujours possible de décréter des limites dans la hausse des loyers. Mais aucun décret n’aura le moindre effet sur la démographie, en l’occurrence le nombre de nouveaux ménages qui se présentent chaque année sur le marché. On ne discute pas avec le vent…
Le bon sens impose quelques réflexions simples.
La démographie est une affaire de tendances longues. Il suffit de reprendre les publications de l’INSEE d’il y a quinze ou vingt ans pour avoir une carte assez exacte des endroits où les marchés du logement sont aujourd’hui très tendus. Pourquoi ne pas s’inspirer des publications les plus récentes et mesurer l’effort de construction adapté pour les vingt prochaines années ?
S’il est vrai que des prix ou loyers trop élevés pénalisent aujourd’hui notre économie, il est tout aussi vrai qu’une démarche forte d’investissement dans ce secteur serait très vertueuse. Le bâtiment est l’un des premiers employeurs de France et il a l’immense qualité de ne pas délocaliser ses emplois ! La relation entre construction et croissance est forte, et de plus il s’agit ici très directement d’une croissance avec emploi.
On ne devrait pas oublier que l’immobilier en général et le logement en particulier sont au cœur des grands enjeux de productivité. Ce secteur a toujours été très vorace en énergie, alors que les investissements d’aujourd’hui permettent de réaliser des bâtiments considérablement moins consommateurs, avec un grand mouvement d’innovations permettant de réduire de plus en plus la consommation de ressources, à service équivalent.
Des investissements créateurs d’emplois et au cœur de la mutation énergétique ne sont pas des investissements stériles. Le logement peut donc être un allié précieux de l’économie française : à court terme si l’on décide enfin d’y investir à la hauteur du dynamisme démographique, à long terme car dans ce cas le logement absorbera une part moindre du revenu des ménages. Les impératifs économiques rejoignent ici la décence sociale.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº775