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Prospective

Vers l’épargne retraite par capitalisation

Créé le

05.04.2018

-

Mis à jour le

26.04.2018

L’insuffisant développement de l’épargne retraite en France pénalise les futurs retraités et le financement de l’économie. Pour encourager cette épargne longue, des solutions seront mises en œuvre dans le cadre de la loi PACTE. Elles s’inspirent de dispositifs en vigueur à l’étranger.

Dans notre Observatoire des retraites européennes, nous passons tous les ans en revue les données disponibles sur l’épargne financière des ménages français et ce à quoi ils la destinent. Le constat est sans appel : l’épargne affectée par les Français à la retraite par capitalisation, en entreprise et individuelle, ne représente à fin 2016 que 795 milliards d’euros, soit 35 % du PIB français, contre 86 % du PIB en moyenne dans les pays de l’OCDE. Les régimes d’entreprise et les produits individuels dédiés à la retraite, plus développés dans nombre de pays, représentent encore peu de volume en France, même si leur croissance est deux fois supérieure à la croissance de l’épargne financière totale.

Cette situation est liée à la part très élevée des régimes par répartition publics dans les revenus des retraités français, et à la prépondérance historique dans les choix d’épargne des ménages français des livrets défiscalisés et surtout de l’assurance vie individuelle, dont 21 % des souscripteurs déclarent la destiner à la retraite.

Elle est aussi liée à ce que les professionnels dont nous faisons partie appellent « le ventilateur réglementaire » qui, sans faire de jaloux, affecte au rythme des changements de majorité, et désormais plusieurs fois par quinquennat, l’épargne salariale, les régimes assurantiels d’entreprise à prestations et à cotisations définies, les produits de retraite individuels et, bien sûr, l’assurance vie classique. Sans parler de l’inflation réglementaire européenne : PRIIPS, MIFID 2, DDA, Solvency, PEPP, IORP…

Cette épargne rapporte peu dans un contexte de taux d’intérêt durablement bas et est insuffisamment affectée au financement de l’économie productive. Pourtant, la capitalisation, qui par définition représente de l’épargne longue et régulière, peut être placée en actifs longs, si cela correspond à la situation de l’épargnant.

Ce déficit de retraite par capitalisation posera un problème de train de vie des futurs retraités. Les régimes par répartition seront sauvegardés à coup de réformes paramétriques ou systémiques, mais pas dans le sens d’une augmentation des pensions. Ils doivent encaisser le choc démographique lié au « papy-boom » et à l’allongement de l’espérance de vie, en environnement de ressources de financement limitées puisque le taux d’emploi et le solde migratoire qui déterminent combien d’actifs payent des cotisations sont insuffisants, et que la capacité de nos entreprises ou des salariés à accepter des hausses de prélèvements est limitée.

Les exemples étrangers riches d’enseignement

Ce défi n’est pas une spécificité française : la baisse généralisée du taux de remplacement servi par les régimes publics (« pay as you go ») a conduit plusieurs pays, des États-Unis à la Nouvelle-Zélande, en passant par l’Italie ou le Royaume-Uni, à mettre en place de nouveaux dispositifs permettant la généralisation de l’épargne retraite par capitalisation, le plus souvent en s’appuyant sur la retraite d’entreprise. Comment ?

Tout d’abord, les pays cités ont fait le choix d’adopter l’« auto-enrolment », système qui affilie obligatoirement les salariés des entreprises à un régime de retraite privé à cotisations ou à prestations définies. Bien sûr, les salariés ont le droit de sortir du dispositif, ce que l’on appelle la clause d’« opt-out ». Mais moins d’un quart des salariés se désistent, et le taux d’affiliation a pu bondir jusqu’à une couverture de plus des deux tiers des salariés en Nouvelle-Zélande, près de la moitié au Royaume-Uni, avant même la généralisation aux PME prévue cette année outre-Manche. Aux États-Unis, le taux de participation est de 30 %, un peu pénalisé par la crise financière mais surtout par la corrélation de l’« auto-enrolment » avec le niveau de revenus. Enfin, en Italie, le succès est plus long à venir mais le taux d’affiliation a doublé en 5 ans pour atteindre, au dernier recensement, un cinquième des salariés du privé.

Dans tous ces pays, le développement de la capitalisation s’appuie sur plusieurs des facteurs suivants :

  • des incitations fiscales pour les entreprises et les particuliers ;
  • une portabilité de l’épargne assez largement organisée ;
  • la concurrence de solutions bancaires sans garantie du capital investi et de solutions assurantielles, plus coûteuses en fonds propres car investies en fonds euros avec garantie du capital ;
  • une option d’investissement par défaut qui permet, à défaut de choix autre de l’épargnant, d’éviter qu’il se retrouve investi en fonds monétaires à rendement négatif, voire en fonds euros à rendement décroissant pour préparer sa retraite ;
  • une grande souplesse de choix pour les épargnants avec des possibilités optionnelles de sortie en capital, en rente viagère ou en rente financière (retraits partiels programmés, avec possibilité de maintien d’une contrainte d’allocation minimale en financement des entreprises, équivalente à celle de la phase de capitalisation).

La loi PACTE va dans le bon sens

Les mesures relatives à l’épargne retraite prises ou envisagées par le Gouvernement, dans la future loi PACTE (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) et les textes qui l’accompagneront [1] , semblent enfin à la hauteur des enjeux. Il faudra les confirmer dans les ultimes arbitrages qui seront rendus lors de la rédaction (en cours) des ordonnances et dans la phase parlementaire.

Un volet retraite par capitalisation a été abordé dans les travaux d’un des six binômes préparatoires constitués de parlementaires et de chefs d’entreprise, dont certaines propositions ont été retenues pour la consultation publique qui a précédé l’élaboration du projet de loi. L’angle de ce travail était « le financement de l’économie par l’épargne ». Mais il y a, nous semble-t-il, deux autres angles d’analyse tout aussi importants : celui de l’intérêt et de la protection de l’épargnant pour sa retraite et celui des entreprises comme acteurs centraux de la retraite par capitalisation des Français. Et le projet de loi PACTE s’inscrit dans une politique plus générale de fiscalité de l’épargne déjà engagée qui mérite un regard panoramique.

L’assurance vie individuelle

Placement préféré des Français, l’assurance vie individuelle garde des qualités (avantage successoral, fonds euros avec effet cliquet), mais souffre de défauts progressivement et en partie corrigés par les gouvernements successifs. Quels sont ces défauts ? L’assurance vie est prépondérante dans l’épargne financière des ménages, au point d’éclipser le reste des solutions. Elle ne finance pas assez l’économie productive, car elle est principalement investie en fonds euros eux-mêmes essentiellement investis en obligations, majoritairement en emprunts d’État à taux fixe, solution la moins coûteuse en fonds propres pour les assureurs soumis à Solvabilité 2. Elle présente un risque systémique en cas de remontée des taux trop rapide, en partie encadré par les mesures de sauvegarde prévues dans la loi Sapin 2. L’Eurocroissance, qui devait permettre d’alléger les contraintes de solvabilité en ne garantissant le capital qu’au terme n’a pas trouvé son marché faute de pouvoir assembler, dans un environnement de taux bas, des propositions de valeur attractives, malgré un premier « prélèvement » des plus-values de nos épargnants en fonds euros classique pour doper les épargnants (qui ne sont pas les mêmes !) de l’Eurocroissance. La prépondérance des actifs généraux de l’assurance vie individuelle empêche même la plupart des assureurs de loger leurs engagements d’épargne retraite d’entreprise et de professionnels (Madelin, PERE-Art83, Prestations définies) en réglementation FRPS (Fonds de retraite professionnelle supplémentaire), moins gourmands en fonds propres : l’activité retraite procure aux assureurs une diversification qui est favorable sous Solvabilité 2 ; en plaçant cette activité dans un FRPS, les assureurs craignent de perdre d’une main (la diversification sur tous leurs encours d’assurance vie) ce qu’ils gagneront de l’autre (un régime prudentiel plus favorable pour l’activité retraite).

La stratégie du Gouvernement a consisté à mettre en place le PFU (Prélèvement forfaitaire unique) ou « Flat Tax ». Avec ce PFU, l’assurance vie devient plus intéressante à court terme qu’à long terme et sa transférabilité augmente. Elle ne sera jamais un vrai outil d’épargne retraite. Entendons-nous bien, il faut soutenir le combat des assureurs pour le développement de tout ce qui permet à ces 1 600 milliards d’euros [2] d’encours de sortir des fonds euros classiques et de se diversifier, en unités de compte, voire en Eurocroissance (mais sans nouveau hold-up sur nos épargnants). Il manque une initiative pour parachever l’ouvrage : établir une passerelle hors fiscalité pour le transfert de l’assurance vie vers de vraies solutions d’épargne retraite, rendant ainsi une partie de l’assurance vie vraiment affectée à la retraite par capitalisation et corrigeant « l’exception française ».

Et pour l’épargne retraite « pure » ?

Il y a de bonnes idées dans les initiatives du projet de loi PACTE pour l’épargne retraite par capitalisation. Mais, comme souvent, le diable sera dans les détails. Et c’est là que les exemples étrangers méritent d’être scrutés en détail et repris. Les principaux marqueurs d’une réforme réussie sont au nombre de trois : la souplesse et la libre concurrence dans l’intérêt des épargnants ; une allocation d’actifs adaptée à la durée ; une gouvernance adaptée.

La souplesse et la libre concurrence dans l’intérêt des épargnants

Dans tous les pays, et dans l’esprit du règlement sur les Pan European Pension Plans (PEPP) et de la directive IORP, le succès de la retraite par capitalisation repose sur la coexistence en libre concurrence de solutions d’épargne assurantielle, et de solutions d’épargne bancaire tant en phase de capitalisation qu’en phase de restitution. PACTE le prévoit avec, au niveau des produits individuels qui devraient converger, un traitement fiscal équivalent à l’entrée entre produits d’assurance et produits bancaires et un alignement des conditions de sortie laissant une totale liberté de choix à l’épargnant entre capital, sortie progressive en rachats partiels programmés (« rente financière ») et rente viagère, selon sa situation civile et financière. Cette simplification et cette souplesse sont bonnes pour les épargnants, accompagnés de leurs conseillers, et bonnes pour le financement de l’économie, car chacune des solutions, avec ses atouts, vise progressivement une allocation plus longue en face du projet d’épargne retraite. Une allocation plus longue – c’est-à-dire tenant compte de l’horizon de long terme – permet, mieux qu’un fonds euros, d’investir sur des actifs capables de délivrer le rendement attendu et de financer plus et mieux l’économie productive.

Du côté des solutions de retraite d’entreprise, les parties prenantes (RH, Finance, Représentants du personnel) arbitrent et combinent, en fonction des budgets et des populations à couvrir, PERCO collectif et PERE-article 83 ciblé. Le scénario de fusion des différentes options – comme l’exécutif semble l’avoir un temps envisagé – détruirait de la valeur de souplesse et d’attractivité et n’a, a priori, pas été retenu dans PACTE au profit d’un maintien des solutions complémentaires. Spécifiquement, le PERCO attire les plus modestes et les plus jeunes grâce à son faible coût (tenue des comptes payée par l’entreprise et forfaitaire une fois le salarié parti, FCPE moins coûteux que les FCP et Sicav classiques, comme l’a démontré une étude de l’AMF), grâce à son cas de « déblocage résidence principale » et à la possibilité de sortie en rente ou capital. Le PERE-article 83, le plus souvent catégoriel et unilatéral, garde une souplesse pour cibler les populations dont la chute du taux de remplacement nécessite un engagement de cotisations régulières. Son plafond de versement gagnerait cependant à être relevé et la capacité à cibler encore plus finement des groupes de bénéficiaires augmentée.

La libre concurrence va plus loin : elle consiste à permettre à un épargnant de transférer soit d’un dispositif à l’autre, selon son parcours et selon ses choix, soit entre prestataires pour un même dispositif, en phase de capitalisation et au moment du choix de l’option de sortie. PACTE devrait obtenir cette transférabilité en alignant les traitements fiscaux à l’entrée et à la sortie des dispositifs, pour ne pas créer d’effet d’aubaine lors des transferts. Les cas qui sont à traiter par rapport à ce qui est déjà prévu ne sont pas très nombreux. Les principaux sont les suivants :

  • création d’un « PERCO individuel » (ou Pan European Pension Plan européen bancaire) fluide avec le Madelin, le Perp, le PERE-article 83 et PERCO d’entreprise ;
  • passerelle PERE-article 83/PERCO dans les deux sens ;
  • transférabilité d’ordre public des PERE-article 83 si une entreprise veut changer d’assureur pour faire jouer la concurrence ;
  • libre choix du prestataire de la phase de restitution.
Un sujet de plus vient s’ajouter au besoin de concurrence de solutions en matière de retraite, d’entreprise notamment. Les régimes à prestations définies (retraites garanties, dites article 39) ont été tellement endommagés ces dernières années à la suite de quelques abus médiatisés [3] , que ce marché n’est plus que l’ombre de lui-même. Pourtant, il ne couvre pas seulement quelques très hauts cadres dirigeants ayant un besoin de compléter des revenus de retraite souffrant du faible taux de remplacement assuré par les régimes obligatoires ; il répond aussi à des besoins de dirigeants de TPE et PME et à des besoins collectifs plus larges (préparation d’un revenu minimum affecté au financement de l’accès aux complémentaires maladies par exemple). Dans des limites distinguant la juste protection sociale des dirigeants de la goinfrerie, et sécurisant les entreprises, un nouvel outil de prestations définies, compatible avec la directive portabilité, est souhaitable et possible. Le Gouvernement travaille dessus avec les professionnels et on attend son inclusion dans la loi PACTE et ses dérivés.

Une allocation d’actifs adaptée à la durée

Il s’agit ici de favoriser l’épargne retraite finançant l’économie, dans la mesure où cela sert les intérêts des épargnants. De ce point de vue, l’extension au PERE-article 83 de la baisse du forfait social accordée par la loi Croissance et Activité (loi « Macron » de 2015) au PERCO, dès lors que ces dispositifs respectent les règles d’allocation finançant les PME et ETI (gestion pilotée retraite comme option d’investissement par défaut, comprenant 7 % minimum d’actions de PME et ETI) est utile et légitime. On peut aller plus loin en majorant encore la part fléchée vers le financement des entreprises, en étendant le gisement des actifs éligibles et en poursuivant la baisse des taxes en contrepartie. Les FCPE du PERCO pourraient techniquement investir plus, par exemple, en non-coté si les ratios étaient relevés dans le Code monétaire et financier. En ajoutant une sortie possible en rente financière, au moins pour le compartiment des versements volontaires des salariés, et en incluant une contrainte d’allocation prolongeant celle de la phase de capitalisation en termes de financement des entreprises, on renforcerait aussi l’efficacité de la contribution des FCPE du PERCO au financement de l’économie.

Une gouvernance adaptée

La clé est ici la protection de l’épargnant. L’épargne salariale (PEE et PERCO) a prouvé sa bonne gouvernance : accords d’entreprises négociés et suivis avec les instances représentatives du personnel et les salariés, conseils de surveillance des FCPE pour le suivi des placements. En retraite assurantielle, les normes du PERP sont essentielles et efficaces. Rappelons-les :

  • gouvernance associative distincte de l’assureur ;
  • cantonnement des actifs (garantie que le rendement ne sera pas affecté par les engagements passés de l’assureur sur l’assurance vie classique) ;
  • pas de taux technique positif ni de garantie de table pour une transparence complète des garanties et conditions techniques ;
  • structure de frais transparente et permettant de payer la chaîne de services, y compris le conseil à l’épargnant délivré par le distributeur.
L’ensemble de la retraite assurantielle (Madelin, PERE-article 83) gagnerait à bénéficier de ces garanties.

À ces conditions, et si toutes les promesses en germe dans la loi PACTE ont tenu dans la version définitive, le paysage de l’épargne retraite par capitalisation en France sera largement amélioré, dans l’intérêt des épargnants, des entreprises et de leur financement. Le « tout assurance vie » prendra fin, et la libre concurrence permettra à tous les acteurs –  assureurs, banquiers, asset managers, y compris aux acteurs qui sont tout cela à la fois – de concourir efficacement. Il y va aussi de la compétitivité, de la puissance et des emplois de notre filière financière industrielle : une base nationale forte est le meilleur tremplin pour exporter.

Achevé de rédiger le 5 avril 2018.

 

 

1 Certains de ces textes pourraient prendre la forme d’ordonnances et d’autres s’insérer dans la loi de finances et dans la loi de financement de la Sécurité Sociale.
2 Encours de l’assurance vie.
3 Au cours des 20 dernières années, une dizaine de dirigeants de grandes entreprises cotées ont bénéficié de régimes de retraite « chapeau » de complaisance très élevés, malgré un temps de présence à la tête de l’entreprise très court et/ou une performance médiocre. Ces cas ont été abondamment médiatisés. À chaque « affaire », le politique a durci les taxes et les conditions de mise en place de ces régimes, les rendant petit à petit inattractifs.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº820
Notes :
1 Certains de ces textes pourraient prendre la forme d’ordonnances et d’autres s’insérer dans la loi de finances et dans la loi de financement de la Sécurité Sociale.
2 Encours de l’assurance vie.
3 Au cours des 20 dernières années, une dizaine de dirigeants de grandes entreprises cotées ont bénéficié de régimes de retraite « chapeau » de complaisance très élevés, malgré un temps de présence à la tête de l’entreprise très court et/ou une performance médiocre. Ces cas ont été abondamment médiatisés. À chaque « affaire », le politique a durci les taxes et les conditions de mise en place de ces régimes, les rendant petit à petit inattractifs.