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Réassureur

La réassurance comme outil d’optimisation du capital

Créé le

19.01.2018

-

Mis à jour le

30.01.2018

Les assureurs étant confrontés à une faible croissance de leur chiffre d’affaires et voyant leur rentabilité sous la pression de conditions macroéconomiques, politiques, réglementaires et financières parfois difficiles, la gestion de leur capital fait depuis plusieurs années l’objet d’une attention toute particulière. L’objectif est notamment d’améliorer les rendements.

Actuellement, les solutions de gestion du capital portent principalement sur des actions unidimensionnelles, visant avant tout à calibrer les fonds propres au niveau requis, d’une manière statique. Or les assureurs gèrent leur capital selon une approche de plus en plus élaborée, et dynamique. Tenus en outre par des contraintes réglementaires basées sur une approche économique des risques [1] (telles que Solvabilité 2 ou le Swiss Solvency Test), les assureurs doivent opérer dans des cadres de gestion de capital s’appuyant sur l’évaluation économique des risques. Dans ces nouveaux cadres, les solutions de réassurance (traditionnelles ou structurées) constituent des outils d’optimisation efficace, qui agissent à la fois sur le capital disponible et sur le capital requis.

Composer avec des contraintes concurrentes

Avant d’étudier en détail les caractéristiques de la gestion et de l’optimisation du capital, intéressons-nous dans un premier temps aux différents facteurs de l’équation que doit résoudre une compagnie d’assurance et que l’on peut représenter de manière schématique sous la forme d’un triangle, dont le barycentre constitue le point optimal (voir Schéma 1).

Ce triangle illustre le concept de l’optimisation sous contrainte : les exigences de capital et de solvabilité sont prioritaires dans la gestion d’une compagnie d’assurance (la croissance ne vient qu’ensuite).

La rentabilité arriverait en deuxième position, comme source de capital futur et pour répondre aux exigences de rendement des fournisseurs de capital, pour un niveau de volatilité donné ; enfin, la croissance constitue la composante à maximiser, en tenant compte des contraintes de capital et de rentabilité. Ces trois paramètres (solvabilité, rentabilité, croissance) sont en interaction dynamique et doivent s’articuler de manière à fixer des objectifs et des moyens concrets aussi proches que possible du barycentre du triangle.

Dans cette étude, nous allons examiner les différentes possibilités de gestion, et surtout d’optimisation du capital, en intégrant les deux autres variables (rentabilité et croissance) dans l’équation de gestion globale d’une manière compatible avec la gouvernance et la culture d’une entreprise d’assurance donnée.

Structurer un cadre complet de gestion du capital

Pour structurer un cadre complet de gestion du capital, il est tout d’abord nécessaire de fixer les objectifs concrets de la gestion du capital et de la solvabilité.

Les objectifs concrets de la gestion du capital et de la solvabilité

La gestion du capital et de la solvabilité suppose d’atteindre différents objectifs qui peuvent s’appliquer directement à la gestion quotidienne de l’activité. Nous avons résumé ces objectifs dans le Tableau 1.

Les quatre objectifs figurant dans le Tableau 1 interagissent mutuellement et doivent être examinés sous un angle dynamique. On peut également les décrire séparément.

1. Le capital et la solvabilité

Le capital n’est pas défini de la même manière par les différents acteurs économiques.

  • Pour un actionnaire ou, dans le cas d’une société mutuelle d’assurance, un sociétaire, le capital est une source de risque et de profit. À la question de savoir combien de capital devrait détenir une compagnie d’assurance, un actionnaire répondrait : « pas trop ». En effet, plus une société possède de capital, plus elle aura de difficultés à en tirer une rémunération attrayante. Un excès de capitalisation se traduit par une dilution des rendements. Au risque de simplifier à outrance, on peut dire qu’un actionnaire préférera un niveau de capitalisation aussi bas que supportable.
  • À l’opposé, les régulateurs apprécient un capital aussi élevé que possible, en vue de protéger les assurés : une combinaison de réglementations mondiales/supranationales et locales/nationales, qui penche de plus en plus en faveur des exigences et des contraintes locales (par exemple sur la réassurance interne et les rétrocessions), entraînant une fragmentation improductive et une dispersion du capital.
  • Enfin, les agences de notation préfèrent que le niveau de capital se rapproche du haut de la fourchette requise. Elles recherchent également une rentabilité globale, mais comme un moyen d’entretenir et faire croître la base de capital existant, en tenant compte de sa qualité (endettement, fonds propres « durs » ou intangibles…).
2. Maximiser la flexibilité financière et la capacité à générer du résultat, parallèlement à la gestion du capital et de la solvabilité

La flexibilité est essentielle dans un environnement de marché ou dans un cadre économique, car Solvabilité 2 et la réglementation économique sont sources de volatilité du bilan, ces exigences étant calculées à partir des valeurs de marché et des flux de trésorerie actualisés. Si le bilan est volatil, la gestion doit se montrer d’autant plus flexible.

3. Optimiser le capital

Disposer de suffisamment de capital n’est utile que dans la mesure où celui-ci est liquide et/ou facile à « déplacer » ou à distribuer (« fongible »). Il faut donc pouvoir y accéder, l’utiliser et l’affecter correctement, que ce soit en termes de gestion des flux de capital ou en termes de gestion du capital réglementaire d’entités juridiques locales et distinctes par le biais de mécanismes de transfert de risques internes. Cette fongibilité du capital peut être obtenue dans le cas de groupes qui disposent de plusieurs entités opérationnelles, qu’il s’agisse d’assurance vie ou non-vie, ou au sein de zones géographiques différentes.

4. Rémunérer les fournisseurs de capitaux

Il existe différentes formes de rémunération des actionnaires : que ce soit par les dividendes ou la création de valeur économique à long terme. Sa meilleure mesure correspond à la différence entre le rendement des fonds propres et le coût du capital, selon la théorie de la création de valeur intrinsèque (EVA) [2] .

Une fois ces objectifs fixés, il importe de définir les mesures progressives de gouvernance qui permettront à la culture de gestion et d’optimisation du capital de s’ancrer solidement dans l’entreprise.

Fixer le cadre d’appétence au risque, du rôle du Conseil d’administration à celui de la direction

L’étape suivante consiste à déterminer les actions à intégrer dans la gestion d’une compagnie d’assurance. C’est au Conseil d’administration qu’il revient de définir un niveau d’appétence au risque pour le Groupe. Ce niveau permettra de quantifier le capital servant de base à la rémunération des actionnaires, tout en maintenant la prise de risques (volatilité) à des niveaux raisonnables. L’appétence au risque doit tenir compte des attentes des différentes parties prenantes : clients, instances réglementaires, agences de notation, porteurs d’actions et d’obligations. Les attentes des parties prenantes sont susceptibles d’augmenter afin de mieux comprendre l’appétence au risque de la compagnie et les mesures qu’elle compte prendre pour rester dans ce cadre :

  • le fait qu’un assureur doive cibler un capital tampon [3] de 140 ou 170 % dépendra de son profil de risque, de la volatilité de son bilan et de sa capacité à lever des fonds (ou à s’abstenir de distribuer des dividendes) en cas de besoin ;
  • l’ajustement de l’appétence au risque passe par plus de clarté sur la manière dont le capital tampon est géré au niveau des entités locales faisant partie d’un groupe de sociétés. En effet, certains assureurs visent un capital tampon plus bas pour les entités locales, préférant conserver davantage de capital excédentaire à la tête du groupe, en fonction des besoins de solvabilité sur place et de la réglementation ;
  • l’appétence au risque variera en outre au fil des cycles, en fonction de l’impact des « chocs » sur le modèle économique de chaque assureur.
Une fois que le Conseil d’administration aura déterminé les caractéristiques clefs de l’appétit au risque de la compagnie d’assurance, il appartient ensuite à la direction de l’entreprise de poser clairement des limites en matière de risques à chaque entité opérationnelle en vue d’un pilotage trimestriel/annuel… et de passer d’un cadre d’appétence au risque à une analyse des outils de réassurance et de transfert de risques

En quoi la réassurance peut-elle constituer un moyen d’optimisation du capital ?

La réassurance est un moyen parmi d’autres d’optimisation du capital.

Il existe de nombreux moyens d’optimiser la gestion du capital et de le rendre plus efficient au sens de Solvabilité 2. Ces moyens peuvent être classés en quatre catégories :

  • la méthode de calcul selon Solvabilité 2 : par exemple, l’assureur vérifie que les contraintes sont bien calibrées et que les expositions sur les actifs font l’objet de scénarios de choc réalistes ;
  • les mesures de gestion comme la conception ou la promotion de produits efficaces en termes de capital (par exemple, la promotion des produits d’assurance vie en unités de compte) ;
  • la gestion actif-passif et la stratégie d’investissement. L’assureur peut agir sur son allocation d’actifs, mais aussi recourir à des stratégies de couverture visant à réduire le risque de marché, et donc le capital requis à ce titre ;
  • la structure du bilan : c’est dans ce cadre que, parmi d’autres outils, la réassurance intervient. Elle peut être interne à l’assureur (via une captive de réassurance) ou externe, occasionnant alors un véritable transfert de risque.
Optimiser la structure de bilan constitue un moyen efficace, que ce soit à travers différentes formes de capitaux (dette subordonnée, prêts contingents) ou par le biais de la réassurance (traditionnelle ou structurée). Ainsi, la réassurance, et plus précisément en non-vie, constitue un moyen parmi d’autres. Cela dit, la réassurance n’est pas nécessairement le levier le plus important : pour la plupart des assureurs, la gestion des investissements est un levier plus important dans l’optimisation du capital.

Quand on examine la formule standard de Solvabilité 2, et même si la répartition moyenne du SCR (capital de solvabilité requis) masque d’importantes disparités entre les acteurs et les niveaux de publication, le risque financier/de marché semble représenter, et de loin, la principale composante (47 %) du SCR chez les assureurs européens, comme indiqué dans le Graphique 1.

La réassurance comme outil de pilotage de l’appétit au risque

Historiquement, le recours à la réassurance était principalement motivé par un double souci de maîtrise de la volatilité et de préservation du capital. En plus de cette motivation, qui reste tout à fait valable, nous assistons de plus en plus à une approche basée sur la création de valeur, selon laquelle les assureurs évaluent leur profil de risque et le coût du capital associé à la rétention des risques. Les bilans des réassureurs, et leur coût du capital moins élevé, ont ainsi émergé comme source de valeur (et d’arbitrage) pour les assureurs, qui peuvent ainsi leur céder certains risques qui seront mieux diversifiés au sein du bilan d’un réassureur.

Grâce à leur diversification accrue et au profil de risque inférieur de leurs actifs, les réassureurs bénéficient généralement d’un coût du capital inférieur à celui des assureurs, qui s’explique par la moindre volatilité de leur profil de risque, de leurs résultats et de leurs fonds propres.

Comment la réassurance influe sur la structure de capital des assureurs

Les solutions de réassurance (traditionnelles ou « alternatives ») répondent à au moins un des trois besoins ciblés dans le tableau 2.

La question de la liquidité (qui fait partie de la troisième catégorie « Augmentation du capital disponible et la liquidité ») est souvent plus pertinente en phase de croissance/d’accélération d’une activité d’assurance, qu’il s’agisse d’une nouvelle compagnie, d’une nouvelle filiale ou même de la nouvelle ligne de métier d’un assureur existant (par exemple une compagnie d’assurance vie qui se lancerait dans une branche d’assurance non-vie).

Pour les raisons mentionnées précédemment, la réassurance constitue un moyen clé d’optimisation du capital, qui bénéficie le plus aux assureurs dont l’approche est basée sur l’évaluation économique des risques. L’optimisation du capital va au-delà de la gestion du capital dans le sens où elle permet d’agir à la fois sur le numérateur et sur le dénominateur du rapport rendement sur capitaux mis en œuvre, tout en apportant une protection durable grâce aux solutions axées sur les résultats.

Lorsque l’on examine les trois composantes du module de souscription non-vie dans la formule standard de Solvabilité 2 (capital requis pour les risques de primes, provisions et catastrophes naturelles), on peut voir l’impact des différentes structures de réassurance sur le SCR d’une compagnie d’assurance (voir Tableau 3).

De même, le Tableau 4 représente l’impact des solutions de réassurance plus structurées (dites « alternatives »).

La complexité croissante des cadres réglementaires partout dans le monde suscite un intérêt de plus en plus marqué pour les solutions de réassurance plus sophistiquées, dites « alternatives » ou « structurées ».

Ces montages peuvent être complexes, car ils sont adaptés au profil particulier de chaque assureur. Ils nécessitent des échanges poussés avec les régulateurs afin d’obtenir leur approbation.

Du stock de capital à la volatilité des flux de capitaux et de la solvabilité

Il y a quelques années et, dans une moindre mesure, aujourd’hui encore, la principale problématique des compagnies d’assurance consistait à se demander si elles disposaient de suffisamment de fonds propres pour répondre aux exigences réglementaires de solvabilité. La réponse à cette question peut paraître binaire. Jusqu’à présent, les assureurs faisant appel aux marchés financiers (actions ou dette), ont gagné en transparence pour répondre aux attentes des investisseurs en la matière.

Cette priorité initiale a déjà engendré d’autres considérations, à savoir :

  • le flux (de trésorerie et de résultats) entrant au bilan et la question des fluctuations futures du stock de capital : sur ce sujet, les assureurs sont passés d’une vision statique à une vision projetée et dynamique de la solvabilité ;
  • la volatilité potentielle du stock de capital et de la solvabilité : la volatilité sous-jacente des ratios de solvabilité est communiquée par certains assureurs (cotés en bourse) qui présentent la sensibilité de leur solvabilité à certains indicateurs (généralement macroéconomiques). L’histoire montre que la volatilité des marchés financiers est un facteur qu’il convient de ne pas sous-estimer.
Le déplacement du curseur du « stock » de capital vers les « flux » de résultats a accru l’intérêt pour les couvertures de réassurance uniquement axées sur la volatilité du compte de résultat, avec un impact direct très réduit, voire inexistant, sur les besoins de fonds propres. Dans un contexte de capital coûteux et d’aversion au risque croissante, les modèles de capital sophistiqués ont été accompagnés d’une approche axée sur les résultats, entraînant in fine une diminution du coût du capital des assureurs, de la volatilité globale de leurs résultats et de leur valeur économique.

 

1 Une approche économique des risques pourrait se définir comme quantifiant la valeur nette présente des risques, reposant sur des hypothèses de valorisation future, sur base de scénarios multiples.
2 Economic Value Added.
3 Capital supplémentaire au-delà des 100 % requis par le régulateur, pour fournir une marge de manœuvre en cas de conditions adverses.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº817
Notes :
1 Une approche économique des risques pourrait se définir comme quantifiant la valeur nette présente des risques, reposant sur des hypothèses de valorisation future, sur base de scénarios multiples.
2 Economic Value Added.
3 Capital supplémentaire au-delà des 100 % requis par le régulateur, pour fournir une marge de manœuvre en cas de conditions adverses.