Alors qu'Internet ne se prolonge habituellement pas au-delà du monde électronique, les objets connectés représentent l'extension d'Internet à des choses et à des lieux. Grâce à une technologie intégrée (QR codes, codes-barres, puces RFID, etc.), ces objets deviennent désormais capables de communiquer avec le monde réel. Parmi les plus célèbres, on retrouve les montres SmartWatch de Sony, les bracelets Nike FuelBand SE ou encore les lunettes Google
26 milliards d’objets connectés en 2020
En 2020, selon les prévisions de Gartner,
Daniel Kofman, professeur à l’ENST et directeur du LINCS, laboratoire de recherche dédié aux nouvelles technologies, explique que « les objets connectés vont introduire des changements majeurs de paradigme dans de multiples secteurs, tels que ceux de la santé, l’énergie, les transports, etc. À titre d’exemple, le suivi continu et en temps réel de son état de santé deviendra possible, grâce à des capteurs corporels et autres dispositifs d’objets communicants, présents dans nos voitures ou dans nos habitats intelligents. […] grâce à la connectivité des objets, nous aurons accès à des services de plus en plus personnalisés : demain, nous n’achèterons pas un produit mais un “digital design” que nous pourrons personnaliser grâce à des outils que nous trouverons sur le cloud, que nous pourrons prototyper grâce à nos imprimantes 3D. Ce “digital design” deviendra ensuite un fichier intelligent, que nous transmettrons à l’usine de notre choix pour y être manufacturé, puis un objet qui communiquera avec les objets de l’usine, composants et robots, pour aboutir enfin au produit personnalisé tant attendu. Ce produit final deviendra lui aussi un objet communicant, proposant lui-même des améliorations de design par exemple. » Pour le spécialiste, « cela introduit la quatrième révolution industrielle caractérisée par la production de masse de produits et services personnalisés, rendue possible grâce aux concepts d’objets communicants ».
Des applications bancaires déjà disponibles sur Google
Tous les secteurs devraient donc être impactés et, selon Gartner, les pionniers devraient être ceux de la santé, de l’assurance et de la banque.
Sur ce dernier
En France, le Crédit Mutuel Arkéa a lancé une application aux fonctionnalités similaires et la Caisse d’Épargne s’est distinguée en lançant l'application « Google Glass Coffre-fort numérique », qui permet de prendre des photos de justificatifs, de les conserver dans un coffre-fort virtuel accessible à tout moment. Pour ce qui concerne les autres banques françaises, certaines prévoient un lancement imminent, d’autres préfèrent poursuivre la réflexion.
Valider l’usage avant la technologie
Les banques mettent en garde contre le risque de se focaliser avant tout sur la technologie des objets connectés – présentés comme le prochain développement sur lequel le secteur bancaire doit se positionner, après le mobile, la tablette ou encore les réseaux sociaux –, et non sur les usages. Françoise Boscus Galasso, directrice marketing, communication et développement durable du Crédit Agricole Aquitaine, pressent que « les objets connectés n’auront de valeur que s’ils ont une réelle utilité. Il faudra donc valider l’usage avant la technologie. En parallèle, la maturité des clients devra également être prise en compte, chaque client aura en effet sa propre courbe d’expérience. » Une vision partagée par la majorité des banques françaises, mais avec des méthodes empiriques variées.
Sensibiliser les clients et les collaborateurs
Les Banques Populaires ont par exemple choisi de mettre en avant, auprès de leurs clients, les nouveaux services que les objets connectés pourraient proposer, le sous-jacent étant que le client puisse se projeter et prendre conscience du potentiel des objets connectés. Pour Patrick Bianchetti, directeur adjoint du développement Banques Populaires, en charge du marketing et de la distribution, « il s’agit d’illustrer de manière concrète comment les objets connectés peuvent aider un client dans ses achats au quotidien. L’application Google Glass pourrait permettre, dans le cas d’un achat d’impulsion, de consulter le solde de son compte, d’effectuer un virement si besoin et encore d’effectuer le paiement. »
D’autres banques intègrent aussi que ces évolutions technologiques et leurs nouveaux usages participent à la transformation digitale de leur entreprise, non seulement pour les clients, mais également pour les collaborateurs. Tester, toucher, utiliser les objets connectés pour mieux les comprendre et favoriser la créativité, telle est l’approche du Groupe BPCE. témoigne : « nous offrons à nos collaborateurs et à nos dirigeants la possibilité d’expérimenter ces innovations, témoigne Pierre Philippe Cormeraie, son directeur de l’innovation. Pendant plusieurs semaines, 60 collaborateurs du groupe ont ainsi pu tester et vivre avec des objets connectés (bracelet, montre, Google Glass). Nous avons également convié 3 500 dirigeants du groupe à un événement autour de l’innovation. À cette occasion, les labs des Banques Populaires, des Caisses d’Épargne et de Natixis, ainsi qu’Orange, Visa, la FNAC, France Télévisions et Peugeot ont pu leur présenter et leur faire tester des innovations majeures telles qu’une banque, une ville, un magasin, une maison ou encore une voiture connectés. »
Frédéric Laurent, directeur général adjoint du Crédit Mutuel Arkéa est également convaincu de la nécessité d’impliquer à la fois les utilisateurs, les collaborateurs, mais également les experts issus d’autres secteurs, pour faire émerger de la valeur ajoutée :« nous utilisons le design thinking comme méthode d’innovation centrée sur l’utilisateur et nous travaillons étroitement au travers de différents partenariats, en particulier avec des développeurs, au sein de notre Cantine numérique brestoise, afin d’identifier de nouveaux usages. »
Des services en fonction de l’objet connecté et du comportement du client
Une fois les clients, collaborateurs et autres experts sensibilisés, l’étape suivante consiste à se démarquer de l’offre déjà proposée sur le mobile, comme la consultation du solde ou la messagerie sécurisée, pour créer cette valeur ajoutée tant attendue.
Un premier axe de différenciation consiste à offrir des services plus personnalisés et plus interactifs, grâce au Big Data. Si l’on se réfère aux autres secteurs, les objets connectés n’ont en effet d’intérêt que s’ils sont capables de générer des données, c'est-à-dire tout simplement s’ils sont utilisés. À titre d’exemple, un pèse-personne connecté n'aura de sens que s'il permet de suivre l’évolution de son poids, pour mesurer l’efficacité d’un régime. Pour Guillaume Gozlan, directeur Marketing, Web et IT chez MeilleurTaux.com, les banques doivent suivre cette logique en s’appuyant par exemple sur les données déjà générées par la carte bancaire : « La carte bancaire est déjà un objet connecté en soi, qui se synchronise avec les achats. On pourrait imaginer en augmenter la profondeur d’historique consultable, et proposer des tendances statistiques, des acceptations de crédit, directement sur un écran digital sur la carte. » Les banques peuvent donc imaginer une analyse des données sur plusieurs années pour faire profiter à leurs clients de promotions en adéquation avec leurs comportements d’achats.
Un second axe consiste à adapter le service en fonction de l’objet ou du comportement du client : alors que les services bancaires proposés sont les mêmes quel que soit le mobile possédé, ils pourraient s’adapter et différer en fonction de la nature de l’objet. Selon Guy Bordelais, responsable des services digitaux et de l’innovation dans le secteur Banque-Assurance, « on pourrait imaginer, au minimum, la consultation du solde du compte ou la réception d’alertes personnalisées sur un écran restreint comme celui d’une montre connectée. Une gestion de budget très élaborée reposant sur des modèles prédictifs de comportement du client serait quant à elle disponible sur un écran plus large, comme celui des Google Glass. »
L’objet connecté pourra également se démarquer en tenant compte de l’activité du client de plus en plus mobile et dont le besoin de rester connecter à Internet le plus longtemps possible s’amplifie. Denis Mancosu, directeur de la distribution multicanal de la Caisse d’Épargne précise que « l’objet connecté devra répondre de manière pertinente à un besoin ou correspondre à une situation. Il doit permettre de gagner du temps quelle que soit l’activité du client. »
Un accès immédiat à son conseiller ou à un expert
Plus de personnalisation, grâce à la quantité de nouvelles données disponibles, de nouvelles situations d’usage, plus de simplicité devraient donc différencier les objets connectés de ce qui est aujourd’hui proposé par les banques sur les applications et sites mobiles. Pour Sylvain Lassus, responsable marketing digital et réseaux sociaux au Crédit Agricole Nord Europe, il ne s’agirait pourtant pas là de la principale avancée. Elle doit, selon lui, concerner en priorité la relation avec la banque : « le mobile a permis d’offrir aux clients de l’autonomie dans la gestion de leurs comptes, mais assez peu de lien avec son banquier. Les objets connectés devraient permettre de développer le relationnel. »
Pour renforcer la différenciation avec l’offre bancaire sur mobile, les banques doivent donc également se focaliser sur la relation client, en offrant notamment la possibilité de contacter immédiatement son conseiller, voire un expert. Des services de vidéoconférence, d’option de rappel automatique ou encore d’accès aux agendas pour pouvoir fixer un rendez-vous devraient donc compléter les options existantes sur les applications mobiles (téléphone, mail, ou chat pour les offres les plus avancées).
Des applications également en agence
Pour la banque, les objets connectés peuvent également s’avérer utiles en ce qui concerne la sécurité en
Ces mêmes objets peuvent aussi faciliter la vie des conseillers dans la gestion de leurs rendez-vous client, grâce à des bornes de détection installées en agence. Elles permettraient ainsi de prévenir immédiatement le conseiller de l’arrivée de son client et de renseigner ce dernier sur le temps d’attente.
Patrick Bianchetti précise : « un conseiller avec des Google Glass pourrait avoir un accès immédiat aux données de son client, que ce soit pour un crédit ou pour un placement, mais également à de l’information produit en fonction des attentes du client et cela sans aucune interruption. Cela permettrait de fluidifier l’échange. » Enfin, pour valider la souscription du produit, le conseiller pourrait proposer une signature électronique basée sur la reconnaissance faciale ou rétinienne du client.
De la valeur ajoutée perçue par le client…
Les clients
…mais aussi de nombreux freins à l’adoption
Toutefois, il apparaît également que de nombreux freins à l’adoption seront à prendre en considération. Lorsque l’on évoque la réception d’alertes automatiques pour être prévenu de promotions en fonction de sa localisation, les avis deviennent mitigés. Les clients craignent en effet de recevoir, en plus d'éventuelles offres intéressantes, un nombre élevé d’alertes dans des localisations à forte densité commerciale.
Pour ce qui concerne la reconnaissance vocale ou faciale, les craintes s’amplifient encore, à la fois concernant le risque d’erreurs potentielles, mais également en termes de sécurité pendant le paiement, avec un risque d’agression physique ou de vol perçu comme plus important qu’avec une carte bancaire ou un mobile.
Le prix également jugé excessif pour certains objets, le risque d’addiction avec la perspective de devenir un « être ultra-connecté », la protection des données personnelles ou encore la crainte de tomber dans de « l’assistanat » viennent compléter la liste déjà longue des freins à l’adoption que les banques auront à prendre en considération.
Cet état de fait est pris très au sérieux par nombre d’entre elles, notamment au sein de Société Générale. Son responsable de l'innovation, Arnaud-Louis Chevallier, insiste ainsi sur les impacts éventuels sur la santé : « les Google Glass côtoieront directement les tempes, et donc le cerveau, avec des risques potentiels liés au rayonnement des ondes. Les effets sur nos yeux sont également encore mal connus. » Sylvie Tierny, également responsable innovation, complète en reprenant, quant à elle, le risque de développement de l’assistanat : « l’utilisation d’objets connectés peut également favoriser la perte de contrôle de la part de l’utilisateur, dans le sens où ces objets favorisent le tout automatique. »
De nombreux challenges à relever avant la révolution ?
Protection des données personnelles, prix jugé élevé, sécurité, addiction potentielle sont autant de questions soulevées auxquelles les banques seront confrontées. En parallèle, il apparaît que certains services offerts, comme le gain de temps dans le processus de souscription d’un crédit ou l’immédiateté de la relation avec son conseiller ou un expert, apparaissent comme une réelle valeur ajoutée auprès des clients interrogés.
Nous sommes cependant bien loin de la révolution annoncée dans le secteur de l’assurance automobile, où la voiture connectée sans chauffeur devrait permettre l’émergence de nouveaux business model, ou encore dans celui de l’assurance santé, avec l’intégration des données vitales du patient dans le calcul de la prime. Dans le secteur bancaire, les objets connectés apparaissent en conséquence, à ce stade de la réflexion, plutôt comme une évolution et non comme une révolution.
Toutefois, les clients étant encore peu matures sur le sujet et la majorité des banques françaises étant encore au stade de la réflexion, ce constat ne pourrait être que temporaire. Cela dépendra en effet des nouveaux usages clients qui émergeront ou non, mais également de l’utilité des services bancaires qui seront proposés au-delà de ceux déjà existants sur le mobile.