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Publics migrants

« Les banques ouvrent souvent d’office des Livrets A aux réfugiés et aux demandeurs d’asile »

Créé le

15.04.2019

-

Mis à jour le

07.05.2019

L’association Domasile, qui accompagne des personnes exilées dans leurs démarches, constate qu’elles se voient davantage délivrer des Livrets A que des comptes courants. Depuis 2016, les demandeurs d’asile reçoivent leur allocation sur une carte rechargeable prépayée. Avec d’autres associations, Domasile veut interpeller la Banque de France au sujet de l’accès au droit au compte.

Quel est l'objet de l’association Domasile ?

Domasile est une association qui propose un service de domiciliation pour les personnes exilées, essentiellement des réfugiés et déboutés du droit d’asile, et des demandeurs d’asile. Nous les accueillons sans rendez-vous dans nos permanences et s’ils ont des difficultés d’accès à des droits, nous les aidons. Nous faisons de l’accompagnement pratique pour l’accès à ces droits sociaux, à l’assurance maladie, aux allocations et au compte courant.

En quoi les publics que vous accompagnez ont-ils besoin de posséder un compte courant ?

L’accès à l’immense majorité des prestations sociales nécessite a minima d’avoir un Livret A, voire, de plus en plus, un compte courant. La question de l’accessibilité bancaire de ces personnes est donc une priorité. Pour toucher le RSA, par exemple, auquel les réfugiés ont droit, il faut un relevé d’identité bancaire (RIB). De même, pour avoir accès à la couverture médicale universelle (CMU), de plus en plus de caisses d’assurance maladie demandent un RIB pour instruire la demande ou renouveler les droits, et il en faut également un pour bénéficier du tiers payant. Avoir accès à un compte courant, c’est avoir une vie normale, consommer ce que l’on peut, et avoir accès à des droits sociaux vitaux.

Êtes-vous sollicités pour des questions d’accès au compte courant ?

Nous sommes peu sollicités pour des comptes courants, car les banques ouvrent souvent d’office des Livrets A aux réfugiés et aux demandeurs d’asile, lorsqu’ils demandent l’ouverture d’un compte. Et même si c’est plus compliqué d’avoir une vie normale avec un Livret A, les personnes s’adaptent. Le droit au compte n’est donc pas respecté : sous prétexte que ces personnes n’ont pas beaucoup de revenus, on les oriente vers le Livret A.

Les demandeurs d’asile ont des difficultés à ouvrir un compte courant, car ils n’ont souvent pas de justificatif d’identité, l’attestation de demande d’asile n’étant pas reconnue officiellement comme un document d’identité. Cette attestation permet pourtant l’ouverture de tous les autres droits sociaux (assurance maladie par exemple, ou déclarer ses impôts). Le récépissé de demande d’asile fait office de justificatif d’identité pour les administrations, mais les banques le refusent souvent comme justificatif d’identité. Cette attestation ne fait partie de la liste officielle des documents recevables comme documents d’identité pour l’ouverture d’un compte. Les associations n’ont jamais mené d’action en justice contre ce refus du récépissé comme document d’identité, pour ne pas risquer de jurisprudence négative, mais nous l’envisageons.

De fait, les demandeurs d’asile ouvrent des Livrets A ?

Avant la loi du 29 juillet 2015 relative au droit d’asile, les demandeurs d’asile avaient besoin d’un RIB pour toucher leur Allocation temporaire d’attente (ATA). Une convention a été signée entre l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) qui gère cette allocation et La Banque Postale pour faciliter leur accès au Livret A et donc à un RIB. Du fait de cette convention avec l’OFII, La Banque Postale a été très sollicitée par les demandeurs d’asile et les réfugiés.

Aujourd’hui, l’Allocation demandeur d’asile (ADA), qui remplace l’ATA depuis le 1er mars 2016 suite à la loi du 29 juillet 2015, est versée par l’OFII sur une carte rechargeable prépayée. Pour la toucher, un demandeur d’asile n’a donc plus nécessairement besoin d’ouvrir un Livret A, notamment pour avoir un RIB. Pour l’OFII, la carte est aujourd’hui le moyen prioritaire de verser l’ADA, pour simplifier et rendre moins coûteux le versement de l’allocation. De moins en moins de demandeurs d’asile vont donc avoir accès à un Livret A pendant la procédure de demande d’asile, sauf lorsque certains organismes d’accueil ont un partenariat avec la banque voisine. Cela crée des inégalités territoriales d’accès au compte. Domasile se bat pour un accès pour toutes et tous à un compte bancaire.

Qu’en est-il des personnes qui obtiennent le statut de réfugié ?

Les personnes avec le statut de réfugié que nous rencontrons arrivent sans grande difficulté à ouvrir un Livret A. Elles devraient pouvoir ouvrir un compte courant sans problème, mais cela reste en pratique très difficile pour eux. Elles se voient souvent refuser l’ouverture d’un compte parce que leurs ressources sont jugées « insuffisantes » par les banques, ce qui est sans fondement et illégal.

Les personnes que vous accompagnez ont-elles recours au droit au compte ?

Dans le cadre de nos accompagnements, pour faciliter les démarches, nous faisons parfois un courrier type pour que la personne qui veut recourir au droit au compte demande à la banque qui a refusé de lui ouvrir un compte un refus écrit. En effet, nous constatons que sans notre intervention, les banques refusent de délivrer un refus écrit, alors que c’est une obligation légale. Parfois, quand une banque est désignée en vertu du droit au compte, elle refuse d’ouvrir un compte ou bien ouvre le compte et le ferme quelques semaines plus tard. Or la Banque de France, qui désigne une nouvelle banque quand la première a refusé d’ouvrir un compte, n’a pas de pouvoir coercitif en la matière.

Chez Domasile, nous informons les personnes des délais d’attente parfois importants qu’implique une procédure de droit au compte : plusieurs semaines, voire plusieurs mois d’attente avant d’obtenir une lettre de refus, puis à nouveau plusieurs semaines avant d’avoir la désignation de la Banque de France. Lorsque les personnes n’ont pas l’énergie de mener une énième bataille juridique, nous leur conseillons parfois tout simplement de tenter leur chance dans plusieurs banques différentes, plutôt que de recourir au droit au compte, qui est une procédure longue et à l’issue incertaine.

Comment améliorer cet accès au droit au compte ?

Nous avons créé un collectif inter-associatif avec d’autres associations (Secours Catholique, France terre d’asile, Fondation Abbé Pierre) pour préparer une action juridique et de sensibilisation de grande ampleur destinée à dénoncer ces pratiques discriminatoires et abusives, et interpeller la Banque de France sur le droit au compte. Pour nous, celui-ci n’est pas effectif : même en cas de désignation d’une nouvelle banque après un refus, celle-ci ne s’exécute pas toujours.

Que pensez-vous des offres alternatives aux offres bancaires classiques ?

Nous constatons que ces offres de banque en ligne ne sont pas une réponse pour le public que nous rencontrons, qui est en situation de grande précarité économique, sans accès régulier à internet et maîtrisant peu le français. En outre, celles que nous connaissons exigent un titre de séjour, donc elles ne sont pas accessibles aux personnes sans papiers et difficilement accessibles aux demandeurs d’asile.

Propos recueillis par L.B.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº832