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« Les banques font ce qu'elles peuvent pour s’adapter aux nouvelles normes »

Créé le

16.12.2011

-

Mis à jour le

22.12.2011

De quelle façon êtes-vous affecté par les nouvelles réglementations qui visent prioritairement le secteur financier ?

Un certain nombre de nouvelles réglementations ont été déclenchées par la crise financière, qu'il s'agisse de Bâle III ou des textes sur les produits dérivés et les agences de notation. Quant à Solvabilité 2, elle a été préparée en amont de la crise. Elles sont normalement destinées à mieux encadrer les activités des acteurs financiers « purs », mais en pratique elles ont des impacts malheureusement souvent négatifs sur les entreprises.

Chacun a aujourd'hui compris comment Bâle III et Solvabilité 2 allaient inévitablement impacter le financement de l'économie « réelle », en le réduisant, en le raccourcissant et en le renchérissant. De façon plus discrète, la réglementation des produits dérivés va rendre ces outils moins adaptés et plus chers pour les corporates. Cet exemple est symptomatique. Il montre comment un cadre réglementaire inspiré par des intentions louables peut avoir des conséquences négatives sur l'activité économique générale. Il y a malheureusement une certaine accumulation de ce type de mesures. Je me demande si les régulateurs se rendent bien compte de la façon dont leurs décisions vont peser sur l'économie.

Que reprochez-vous à la réglementation des produits dérivés ?

Alors que les corporates avaient convaincu le régulateur que leur activité de couverture de risques financiers n'était en rien une activité de spéculation et que le besoin de couvertures parfaitement adaptées aux risques à couvrir plaidait pour que les dérivés traités en OTC restent possibles, c'est le régulateur bancaire qui a cru bon d'exiger que les couvertures OTC soient pénalisées en capital dans les banques ! Dès lors, il y a fort à parier que les entreprises qui ne sont pas en position spéculative mais en couverture devront passer par les marchés organisés et feront donc l'objet d'appels de marges sur la base du mark-to-market, avec leurs conséquences en cash, en résultat et en volatilité des résultats. C'est regrettable à un moment où l'accès à la liquidité est plus limité et alors que le mark-to-market de positions de couvertures qui sont portées jusqu'a l'échéance de l'élément couvert ne traduit en rien la réalité économique de la démarche de l’entreprise.

Que pensez-vous des ratios de liquidité de Bâle III ?

Tout n'est pas figé, notamment sur le ratio de liquidité à long terme, mais il est vrai que le simple fait qu'il soit envisagé de réduire considérablement les facultés des banques de faire de la transformation alors que c'est, me semble-t-il, une de leurs missions, a de quoi surprendre et même inquiéter. Cela constitue, au-delà des ratios obligeant à un renforcement du capital réglementaire, une autre menace sur le financement de l'économie à un coût compétitif.

Comment jugez-vous l’attitude des banques face à ces réglementations ?

Je ne peux que témoigner de ce que nous voyons tous : par exemple une réduction significative des bilans pour satisfaire le ratio de solvabilité, ce qui rend notamment moindre l'appétit pour le crédit. Était-ce ce que visait le régulateur? Sans doute non ! Autre exemple : une recherche effrénée de dépôts pour satisfaire le ratio de liquidité à court terme au détriment des Sicav monétaires, et donc un moindre appétit du marché pour les billets de trésorerie émis par les entreprises.

Les banques font ce qu'elles peuvent pour s’adapter aux nouvelles normes... Elles n'ont pas le choix, mais c'est malheureusement procyclique.

Et concernant leur rôle dans les origines de la crise ?

Pendant les quinze années qui ont précédé la crise, la sphère financière s'est fixé cet objectif inimaginable de ROE à 20, voire même à 25 %! Un tel objectif n’est ni raisonnable, ni pérenne. Les risques pris étaient inévitablement excessifs. La seule autre possibilité, c'est de générer des marges opérationnelles démesurées, ce qui, dans un métier bien établi et dans une économie vraiment ouverte, est normalement peu pérenne, sans compter alors que la profitabilité du métier devient quasi injurieuse pour les clients. Sauf situation très spécifique liée par exemple à l'innovation, aucune industrie ne peut générer une telle rentabilité de façon durable dans des univers à inflation maîtrisée.

Au-delà de votre question, même si la sphère financière porte sa part de responsabilités dans l'origine de la crise, il est regrettable que les nouvelles exigences réglementaires affectent autant les activités de financement.

Pour placer vos liquidités, faites-vous confiance aux banques françaises ?

Le risque de contrepartie est inévitable ! Nous avons toujours veillé à gérer ce risque, notamment en définissant des critères de limitation basés sur la taille du bilan, les fonds propres, les ratings d'une banque. Les entreprises qui ont une banque interne, comme Siemens, vont placer directement des liquidités à la BCE, ce qui est une façon de réduire son risque. Pour tous les autres qui n'ont pas une telle possibilité, il est en effet devenu nécessaire de s'assurer, plutôt deux fois qu'une, de faire des choix de placements raisonnables et défendables... sans sombrer dans la paranoïa ! C'est un exercice délicat et exigeant en ce moment, car il ne se passe pas une journée sans que les risques de défaillance du secteur bancaire ne fassent la une et sans que l’évolution des CDS des établissements financiers ne montre des signes de défiance. Un trésorier d’entreprise ne peut pas y être insensible.

Les banques mettent-elles en place un type de troc qui consisterait à vous octroyer des crédits à long terme en échange de dépôts à court terme de votre part ?

Cela existait déjà avant la crise. En échange de crédits, les banques attendent de nous du side business : des dépôts, mais aussi des transactions sur produits dérivés ou sur les marchés financiers. Globalement, on ne peut pas parler de bras de fer avec les banques, mais je considère que la gestion de la relation bancaire est une des tâches les plus délicates du trésorier. Comment créer une relation de partenariat pérenne sans tomber dans le troc permanent avec le souci pour chacun de défendre son business ? C'est un vrai travail !

Avez-vous senti un resserrement ou un renchérissement du crédit ?

Oui, à coup sûr, pour le renchérissement depuis fin 2008 et rien ne permet d'attendre une détente. Il est lié à la fois à l'environnement financier et réglementaire, mais aussi, dans notre cas, à un affaiblissement de notre notation. Sur le resserrement, c'est moins net à ce jour, mais on peut craindre qu'il soit inscrit dans Bâle III !

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº744