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Banque de détail

La fin de l’âge d’or des réseaux d’agences bancaires ?

Créé le

18.02.2013

-

Mis à jour le

16.04.2013

Les réseaux d’agences des banques de détail en Europe vont être​ confrontés à de profonds changements de format, d’implantation et de ​missions, ainsi qu'à une pression accrue sur leur modèle économique et à des ​fermetures sélectives. Avec deux défis majeurs : devoir arbitrer entre ​canaux de proximité et canaux directs et réinventer le contrat social ​avec les commerciaux d’agences.

Après des années de rentabilité stable, 69 % des dirigeants de banques en Europe (89 % en France) s’accordent à dire que les revenus générés par les agences ne permettront plus d’en assumer les charges opérationnelles, d’autant que leur part contributive pourrait passer de 81 à 62 % (en France, de 93 à 83 %). De fait, l’étude publiée en décembre 2012 par Equinox Consulting avec l’EFMA met en évidence que les tendances démographiques, la digitalisation de la société, la pression réglementaire et les changements comportementaux des consommateurs transforment profondément l’équilibre de la distribution de proximité. Conscients des risques induits sur leurs marges, les dirigeants interrogés engagent des diversifications, sources pressenties de relais de croissance, et des chantiers de réduction de charges, leviers de reconstitution de capacités d’investissement.

L’évolution du rôle de l’agence

Les chantiers de moyen terme relevés dans l’étude cherchent à réconcilier, non sans difficultés, le besoin d’accès à une agence (réitéré par les sondages de clients) et les usages croissants du multicanal (voire du tout-à-distance) :

  • côté agence, les efforts portent sur l’attractivité, motif de visite des clients, en recourant aux artifices parfois audacieux d’une diversification de l’offre qui, nulle part, ne démontre sa pertinence : les plus cuisants échecs sont espagnols (General Stores de BBVA, par exemple) et… français (services à la personne et téléphonie mobile, proposés par plus d’une banque sur cinq – voir Encadré 1) ;
  • côté banque à distance, le mot d’ordre est de construire des parcours clients cross-canal. L’agence y serait légitime à jouer son rôle de conseil (le visage derrière la marque), mais dans un registre plus focalisé et moins incontournable qu’aujourd’hui (plus de 30 offres sont accessibles en pure e-souscription sur les sites Internet de BNP Paribas et Crédit Agricole par exemple).

Une cure d’amaigrissement sélective

Toutes les banques interrogées font part de projets de rationalisation « douce » de leur réseau sur le moyen terme, ordonnée autour de quatre axes principaux :

  • une organisation en grappes d’agences principales encadrant de petites agences satellites ;
  • un dimensionnement d’équipes locales revu à la baisse (40 % des agences ont moins de quatre collaborateurs en France) ;
  • la poursuite de l’automatisation des transactions simples, avec des innovations s’appuyant notamment sur des offres sous blisters à code-barre proposés à la souscription en gondole self service (les intentions de tests à court terme atteignent 40 % en Europe, 25 % en France) ;
  • la différenciation des formats d’agence selon leur marché local. Finis les « schémas directeurs réseaux » déroulés partout ; désormais, jusqu’à dix formats différents sont nécessaires pour une immersion différenciée, adaptée au plus juste dans les villages ruraux, les gares, cœurs de ville, galeries marchandes, quartiers résidentiels ou universitaires…

Limiter le niveau de service des petites agences, voire les fermer

Au-delà, et c’est nouveau, les banquiers n’hésitent plus à engager des solutions plus radicales. En premier lieu, en restreignant les niveaux de services dans les petites agences ; dit autrement, en limitant les offres vendues par les conseillers pour limiter le coût de la formation et de la non-qualité. Ensuite, en fermant les agences en zones à faible dynamisme commercial : 76 % des banquiers européens (56 % en France) partagent l’idée que la densité de leurs agences en ruralité va décroître, à l’exception notable partout en Europe du champion national détenant des petites agences rurales, bastions appréciés pour leur contribution à la collecte d’épargne longue.

Difficiles arbitrages d’investissement en faveur des canaux à distance

Au-delà des solutions de gains de coûts, voire des fermetures sélectives, il devient incontournable pour les dirigeants de banque de détail de procéder à des arbitrages plus drastiques d’allocation de moyens. À la question « Que feriez-vous d’une extension budgétaire allouée à votre activité de banque de détail ? », 76 % des dirigeants donneraient la préférence à la banque à distance, contre 24 % à leurs agences physiques. La ventilation des investissements programmés dans la distribution multicanal reflète déjà ce transfert : dans 8 banques sur 10, moins de 50 % du budget annuel d’investissement reste affecté aux agences (voir Encadré 2).

Repenser le contrat social

Sous la contrainte de rentabilité et de moyens d’investissement, la méthode « douce » d’adaptation des réseaux risque de ne plus suffire. Outre réinventer le rôle des agences, il faut faire évoluer le contrat social passé avec leurs collaborateurs dans un écosystème multicanal. Ainsi, des pays européens matures en surcapacité d’agences voient la banque de proximité se reconfigurer. En France, l’étude éclaire l’ambition nourrie par quelques rares établissements de donner vie à l’agence « agile », non plus canal mais lieu d’expression et de symbiose de tous les canaux, au prix d’un effort considérable de « reformatage » du poste de travail et de la posture de milliers de commerciaux. Un pari sur le temps et sur la vitesse d’adaptation face à la montée de nouveaux concurrents – banques directes (selon 81 % des dirigeants sondés) et grands acteurs digitaux (78 %).

Faire évoluer profondément les métiers de l’agence

Trois défis RH attendent ainsi la banque de proximité. En premier lieu, il faut faire évoluer rapidement et profondément les métiers de l’agence.

Le rôle du directeur d’agence, décisif dans la performance de son agence, doit évoluer : moins stimuler une équipe au sein de son agence (le « combien »), davantage faciliter l’exécution collective de compétences hors de l’agence (le « comment »). À la clé, une récompense de la performance indexée non plus sur la vente de tel ou tel produit, mais sur le collectif et le qualitatif : animation du portefeuille de clients (progression nette des encours, gain net de nouveaux clients, etc.), météo client (l’accueil sous toutes ses formes), partage d’opportunités du conseiller avec les autres canaux… Par contrecoup, de plus en plus de réseaux ordonnés en « grappage » suppriment la fonction dans les petits points de vente, qui se voient rattachés à leur agence principale. Le bénéfice est l'homogénéité des feuilles d’objectifs.

Concernant le conseiller commercial, le modèle d’affectation des clients en portefeuille individuel reste en France une orientation solide à moyen terme (90 % des banques interrogées ont renforcé le poids relatif du conseil dans l’agence, ou vont le faire). Dans les petites agences, le conseiller verra sa responsabilité de vente focalisée sur la gamme des essentiels. Avec l’assimilation par l’agence des canaux digitaux s’ouvre un immense chantier de formation des conseillers à une nouvelle posture : n’étant plus l’unique pivot de la relation avec le client, ni même celui par qui passent toutes les ventes de prestations, il demeure l’incarnation de l’écoute, du diagnostic et du conseil, à l’occasion de moments de vie structurants pour le patrimoine du client et la planification du budget familial. Il va lui falloir apprendre à fragmenter son temps utile (commercial) entre divers canaux : rencontrer le client en face-à-face (moins souvent, mais mieux) et aussi, de plus en plus, relancer par téléphone, saisir un feedback rapide par SMS, répondre aux mails sous 24 heures, participer à un chat avec le client internaute… Des exigences nouvelles qu’imposent les attentes des générations 100 % digitales, avec à la clé des difficultés et des craintes à surmonter, ainsi que des méthodes d’animation et de pilotage à revoir.

Le guichetier est une fonction vouée à disparaître (selon 77 % des répondants en Europe et 90 % en France). Les transactions simples passent par le libre service bancaire ; les effectifs sont convertis en assistants commerciaux ou agents d’accueil dans les plus grandes agences. Certaines banques vont jusqu’à supprimer la fonction d’accueil du référentiel des emplois au motif que « l’accueil est l’affaire de tous ». À noter que quelques rares réseaux forts d’un positionnement orienté clients professionnels et haut de gamme (les remises d’espèces des uns s’écoulant par les retraits des autres) préservent leur ligne de guichet, mais… pour combien de temps encore ?

Redonner du pouvoir décisionnel à l’agence

Les nouvelles technologies viendront de plus en plus au secours de la compétence de proximité. Par exemple, la visioconférence offre un accès aux conseillers spécialisés et experts concentrés dans les grandes agences. Autre perspective, les outils d’aide à la décision décentralisée : ces « moteurs de règles » obéissant à des paramètres de plus en plus nombreux et complexes, plus personnalisables encore que les outils de scoring auxquels il reste nécessaire d’adjoindre un contrôle détaillé ou un visa de la région ou du siège, facilitent les interactions entre le client et sa banque en scénarisant tout le champ du possible et du souhaitable. En retour, les délégations accordées aux conseillers d’agence seront, vues du client, suffisantes pour donner le sentiment d’une décision locale, rapide et fiable.

Réinventer des modèles de parcours professionnels dans les réseaux

Le moteur d’ascension sociale au mérite, qui a longtemps prévalu, a perdu de son efficacité. Primo, la promotion méritocratique laisse place à une sélection récompensant l’aptitude à organiser : coordonner toutes les expertises environnant l’agence devient aussi important (voire plus) que d’être doué en vente ou dans le montage de dossiers de crédit ! Secundo, en dépit de l’identification précoce des hauts potentiels, l’équation « performance individuelle = promotion = mobilité » est devenue difficile à résoudre. Devenir manager fait moins rêver les jeunes conseillers : responsabilités étendues, pression du résultat, exigences accrues de conformité réglementaire, emploi du temps à rallonge sont autant d’aspects mis dans la balance face à la qualité de vie et au temps choisi.

Repenser le contrat social des réseaux est un vaste chantier posé sur le bureau des patrons de banques de détail, qui appelle nombre d’innovations, parmi lesquelles :

  • différencier les parcours entre hauts potentiels et collaborateurs moins mobiles ;
  • différencier les politiques d’objectifs et de rémunération selon les agences ;
  • reconnaître la contribution collective sans devoir pratiquer le double bonus ;
  • assouplir les règles de travail en fonction des niveaux de service client proposés localement (portefeuilles clients, offres, horaires…).

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº760
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