Square

Qu’est-ce que l’innovation dans la banque ?

Créé le

20.06.2013

-

Mis à jour le

26.06.2013

Avant d’exposer comment les banques peuvent s’y prendre pour innover, encore faut-il s’entendre sur une définition précise du terme « innovation ». Il semble en effet qu’à la méconnaissance du champ sémantique de l’innovation s’ajoute celle du rôle et du fonctionnement de la banque.

À lire nombre de commentateurs et même de professionnels, si les banques d’aujourd’hui n’innovent pas, elles seront remplacées par de nouveaux acteurs qui offrent des services de tenue de compte, de paiement et même de (petit) financement en mode participatif, à l’imitation de ce qu’a réussi à faire Paypal dans le paiement par Internet. Mais qu’est-ce d’abord que cette « innovation » si désirée ?

De nombreuses définitions pour un même concept

Il existe de nombreuses définitions pour cerner un concept large et surtout porteur d’un imaginaire fort de lendemains qui chantent. Il semble que la nature humaine soit ainsi faite qu’elle ait besoin de croire viscéralement en un avenir bien meilleur, dans le « progrès », et qu’elle est ainsi constamment portée à vouloir changer les choses du présent, bref à chercher à innover… et à célébrer l’innovation !

Proposons la définition suivante, issue de Wikipedia : « une innovation est le développement pour la première fois de nouvelles valeurs grâce à des solutions qui répondent à des nouvelles exigences, des nouveaux besoins ou d'anciens besoins d'un marché ou d'une société. Ces nouvelles valeurs sont proposées à travers de nouveaux produits, méthodes ou processus, services, technologies ou idées qui sont mis à disposition des marchés, des gouvernements et de la société et qui les transforment ».

C’est une généralisation de la définition donnée par un des premiers penseurs systématiques de l’innovation et de son rôle dans le développement économique d’une entreprise dans un monde concurrentiel, Joseph Schumpeter. L’économiste a en effet proposé dès 1930 une définition du concept d’innovation en distinguant cinq champs d’applications :

  • la fabrication de biens nouveaux ;
  • les nouvelles méthodes de production ;
  • l'ouverture de nouveaux débouchés ;
  • l'utilisation de nouvelles matières premières ;
  • une nouvelle organisation du travail.

Distinguer l’idée innovante de l’innovation

Ces définitions ont tendance à privilégier la vision du producteur de l’innovation : une innovation apporte, au moment de son lancement, face à la concurrence, et pour la première fois, un avantage décisif pour le marché, le client, l'utilisateur ou le consommateur, décisif au sens de « qui fait prendre une décision », celle de changer d'habitude ou de préférence d'achat.

Mais il faut aussi prendre en compte le point de vue du client, du consommateur, voire du citoyen, bref le niveau de perception de l’innovation pour les individus ou le collectif dans ses dimensions de créativité, d'inattendu, d’amélioration de la vie, de la culture, et sa déclinaison moderne en « innovation responsable ».

Une rectification sémantique est ici nécessaire : appeler innovation une idée nouvelle, une invention, un positionnement marketing fort, est un abus de langage bien trop répandu qui confond l’espoir avec la réalité. Une innovation est d’abord le constat d’une réussite liée à l'utilisation et/ou la concrétisation d’une idée nouvelle, non la promesse de celle-ci.

Introduire une « échelle » dans le niveau d’innovation

Il faut également introduire la différenciation portant sur le niveau d’impact d’une innovation, bien que les frontières entre les degrés d’évaluation soient floues et qu’il existe différentes échelles d’évaluation. Proposons-en une : l’innovation incrémentale se situe un cran au-dessus de l’amélioration ; l’innovation majeure change les rapports de force dans un marché ; l’innovation de rupture crée un nouveau marché.

Inversement, la frontière entre une amélioration et une innovation incrémentale est très subtile. Les départements marketing savent très bien jouer de cette ambiguïté et communiquent trop souvent sur une supposée innovation qui n’est qu’une amélioration, alimentant ainsi la confusion qui existe sur la définition de l’innovation. Ainsi, le fait d’utiliser un nouveau canal de communication pour interagir avec ses clients est une obligation banale de la part du distributeur qu’est la banque, qui doit maximiser sa surface commerciale. L’innovation dans la banque, ce n’est pas la manipulation de la technologie à la mode où on se retrouve avec des agences bourrées d’écrans, mais c’est l’usage intelligent qui en est fait pour tirer profit des particularités du canal considéré et ainsi apporter de nouveaux services contextuellement adaptés aux besoins des clients.

Ne pas confondre le processus d’innovation avec l’innovation proprement dite

Une autre confusion sémantique existe : le mot innovation est parfois employé pour décrire la dynamique du processus d’innovation : partir d’une problématique à laquelle il faut trouver une solution innovante pour aller jusqu’à sa transformation en succès pour l’entreprise ou la société. De fait, le Manuel d’Oslo de l’OCDE définit les activités d’innovation correspondant à toutes les opérations – scientifiques, technologiques, organisationnelles, financières, commerciales et R&D – qui conduisent effectivement ou ont pour but de conduire à la mise en œuvre des innovations. C’est le champ de développement des diverses méthodes d’innovation comme le Triz (exploration systématique des pistes d’innovation sur tout dispositif industriel), le design thinking (appelé aussi user-centric design), Ocean Bleu (au lieu de se battre pour gagner des parts minuscules sur un marché stabilisé, trouver un endroit où personne n’a encore posé les pieds pour créer son marché), et autres C-K Theory de l’École des Mines, etc. Leur nombre croissant montre qu’il n’existe pas de martingales de la réussite !

Enfin, parmi ces diverses formules pour le succès, il faut noter deux orientations majeures : l'une est centrée sur une dynamique interne de sollicitation des idées innovantes venant des collaborateurs de l’entreprise, appelée innovation participative, l'autre sur le constat qu’une entreprise est immergée dans un continuum de ses parties prenantes et qu’elle doit le solliciter dans un esprit d’innovation «  ouverte [1] ».

Comment faire ?

Il faut noter que les produits et services bancaires ne relèvent pas de la protection de la propriété intellectuelle, car ils sont par essence de nature intangible. De plus, les technologies utilisées sont disponibles sur le marché de la même façon pour toutes les banques ; la seule barrière à l’entrée est le temps de formation d’un réseau bancaire à un nouveau produit. Il est ainsi très difficile de justifier le retour sur investissement en innovation pour une direction générale.

Les banques, même si elles deviennent très volontaires, sont souvent dénuées des connaissances et pratiques d’innovation nécessaires pour avancer efficacement et, in fine, industriellement. Face à elles, de nouveaux entrants savent identifier et exploiter les niches qui se dégagent dans les nouvelles chaînes de valeur et, avec le bon business model, les exploiter plus rapidement, comme en témoignent les innovations de rupture, si rares dans cette industrie. On peut citer celle de Square, qui équipe la clientèle des « pros » américains d’un lecteur de carte bancaire et d’un logiciel de gestion de caisse et paiement par rajout d’un appendice matériel à l’iPhone, pour leur donner la même capacité d’accepter des paiements que les marchands plus gros, et celle de Zopa, leader historique anglais qui, au travers d’une plate-forme d’intermédiation sur Internet, permet à des particuliers de prêter de l’argent à d’autres particuliers en remplacement, et pour moins cher, de prêts à la consommation : on dit crowdlending pour faire bien.

Ce dénuement conceptuel provient du fait que la banque de détail ne dispose pas de l’immense support académique et des expériences des professionnels de la R&D et de l’innovation, développés depuis des décennies pour améliorer l’efficience de ces processus dans les autres industries : ce substrat théorique n’existe simplement pas et il faudra bien se mobiliser pour le créer au vu des spécificités de l’activité bancaire et donc des nécessaires particularités des processus d’innovation à mettre en œuvre.

Pour les banques, il s’agit avant tout de s’organiser pour développer le sens de l’innovation au véritable service de leurs clients avec tous les efforts nécessaires pour ancrer durablement ces attitudes sur les plans de la gouvernance, de la stratégie, des processus, des moyens, des ressources et des modalités permettant de tester l’innovation malgré le fardeau du quotidien opérationnel.

Pourtant, elles commencent depuis peu à essayer de véritablement innover et cela se traduit parfois par la création de nouvelles banques avec des concepts plus numériques même si on peut s’interroger sur leur capacité à transformer ces essais en innovation… c’est-à-dire en succès.

Dans cet effort, et à des degrés variables, il faut que les banques tiennent compte de tout l’écosystème du champ d’action de la banque, où se retrouvent l’État mais également les nouveaux acteurs innovants, sans oublier les autres banques !

Ainsi, les innovations à portée sociale importante, comme les nouveaux moyens de paiement, devront nécessairement participer d’une coopération poussée entre tous les acteurs sous l’aune parfois nécessaire de l’État garant des intérêts de ses citoyens clients de banque. Un exemple frappant est le rôle de l’État anglais, qui sponsorise « l'annuaire », qui rapproche tous les clients des banques anglaises et leurs coordonnées de téléphonie mobile. Il permet ainsi aux banques d’offrir un service de transfert de personne à personne à partir de n’importe quel mobile, considéré comme utile aux citoyens. Faut-il attendre que l’État décide que le paiement mobile doit se répandre pour bénéficier de cette innovation potentielle ?

Finalement, du fait du rôle fondamental sociétal que jouent les banques et après les errements de la période d'« exubérance irrationnelle » passée, ne doivent-elles pas se mettre au diapason des évolutions de l’humanité, de la société, des entreprises et des clients citoyens ? comprendre que leur créativité est absolument nécessaire pour résoudre les problèmes immenses et nouveaux à l’échelle planétaire et permettre aux hommes de vivre pleinement leur vie, comme elles ont permis à l’Occident, par leurs innovations, de prendre son envol à la fin du Moyen Âge ? N’appelle-t-on pas cela tout simplement l’innovation responsable pour un développement durable partagé ?

1 Lire à ce sujet l’article de Thierry Dinard et Mélanie Ingouf, «Les banques en route vers l’“open innovation”».

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº762
Notes :
1 Lire à ce sujet l’article de Thierry Dinard et Mélanie Ingouf, «Les banques en route vers l’“open innovation”».