En France, l’épargne retraite affiche des performances décevantes et occupe une place marginale dans l’ensemble de l’épargne financière. La loi PACTE, qui cherche à encourager l’épargne retraite et l’investissement en actions, pourrait améliorer la situation.
L’épargne retraite proprement dite représente à peine 4 % de l’épargne financière des ménages français, contre 14 % en moyenne dans l’ensemble zone euro. Pourtant, contrairement à ce qu’on lit ici ou là, les épargnants français sont moins court-termistes et moins averses au risque que les investisseurs institutionnels. En témoigne la répartition de leur épargne : le patrimoine immobilier pèse 61 %, le reste (39 %) étant consacré au patrimoine financier [1], qui se compose ainsi :
La part actuelle des actions dans le patrimoine des ménages français (détenues directement et indirectement) est faible même si elle est nettement supérieure à celle des assureurs. La part des actions en risque propre (donc hors unités de compte pour lesquelles le risque financier est essentiellement supporté par les assurés) des assureurs français est de seulement 6 % de leurs actifs. Même lorsqu’il s’agit spécifiquement d’engagements retraite, un fonds de pension assurantiel comme Préfon n’est investi qu’à hauteur de 13 % en actions.
L’épargne retraite française : un nain
Le principal objectif d’épargne exprimé par les Français est la retraite. Cependant, ils privilégient pour cela d’abord la pierre, et ensuite l’assurance vie. L’épargne spécifiquement dédiée à la retraite demeure lilliputienne, malgré la réforme des retraites de 2003 et la création des PERP [2] et des PERCO [3]. La Banque de France ne la distingue même pas de l’assurance vie et des fonds d’investissement. Les encours du PERP ne représentent que 1 % de ceux de l’assurance vie, après treize années d’existence.
La répartition des encours des produits dédiés à l’épargne retraite en France (en milliards d’euros) est la suivante :
Rappelons que l’encours de l’assurance vie s’élève quant à lui à 1 600 milliards d’euros. L’épargne retraite est beaucoup plus développée dans d’autres pays européens, comme le Royaume-Uni, les Pays-Bas ou l’Allemagne, surtout grâce aux fonds de pension collectifs, mais pas seulement : par exemple, le produit phare d’épargne retraite individuel allemand, la rente « Riester » – lancée peu avant le PERP en 2002 – compte 16 millions de souscripteurs… contre 2 millions pour le PERP.
Le principal placement financier utilisé par les Français pour leur retraite est d’abord et surtout l’assurance vie. Cette dernière est le plus souvent nettement moins contraignante, moins compliquée, plus transparente, moins taxée et plus performante [5] que les produits spécifiquement dédiés à la retraite.
Pourtant, ni la pierre ni l’assurance vie ne sont les produits les mieux adaptés pour la retraite.
Une épargne retraite peu performante
Une épargne retraite développée et performante est vitale pour les Français et également pour le financement de l’économie réelle et des investissements productifs.
L’intérêt des épargnants à long terme rejoint celui de l’économie et de l’investissement productif car il plaide lui aussi pour une allocation plus importante de l’épargne aux actions et, en particulier aux actions des petites et moyennes entreprises.
Sur le long terme, les portefeuilles diversifiés en actions ont en effet surperformé les produits à taux fixe (obligations) et l’immobilier, et à l’heure actuelle, le rendement des obligations est devenu très faible, parfois même en deçà de l’inflation. De plus, les actions des PME cotées ont très largement surperformé sur le long terme celles des grandes entreprises, en France comme en Europe ou aux USA.
Exemple : depuis le début du siècle (dividendes réinvestis) :
L’épargne à long terme, et en particulier l’épargne retraite, doit donc être investie pour une part non négligeable en actions, et en particulier en actions des PME, pour obtenir de meilleurs rendements à long terme, qui protègent au moins le pouvoir d’achat à long terme des épargnants.
Le principal produit d’épargne longue utilisé pour la retraite est le contrat d’assurance vie en euros, investi très majoritairement (90 %) en obligations et autres produits de taux. Il affiche depuis le début du siècle une performance nette de frais et après inflation parmi les meilleures des produits d’épargne utilisés pour la retraite en Europe (+24 % après frais et après inflation de fin 1999 à fin 2016 [6]). Cependant, ce rendement deviendra en moyenne probablement négatif dès 2018 en raison de la baisse des taux d’intérêt, d’une remontée de l’inflation, et d’une fiscalité alourdie qui ne tient pas compte de l’érosion monétaire.
Oui aux objectifs affichés par le projet « PACTE »
C’est pourquoi nous souscrivons pleinement aux objectifs affichés par le projet de loi PACTE en matière d’épargne retraite : pas seulement favoriser l’investissement productif et le financement en fonds propres des entreprises, mais aussi « offrir de meilleures perspectives de rendement aux épargnants » et améliorer l’attractivité de l’épargne retraite.
Pour ce faire, ce projet prévoit de « développer et simplifier les produits d’épargne retraite, pour les faire converger autour de caractéristiques communes » :
Pour rendre l’épargne retraite plus performante et plus attractive, nous identifions cinq priorités.
1. Améliorer la performance : une épargne retraite davantage investie en actions, et plus simple, et donc avec des frais totaux modérés.
La révision des règles prudentielles (directive européenne dite « Solvabilité 2 ») et des ratios de fonds propres pour les engagements à long terme et de retraite des assureurs est nécessaire, afin de leur permettre d’investir davantage en actions :
Cette révision était absente de la Consultation publique sur PACTE, mais a été fort heureusement reprise par le ministre lui-même, dans son discours du 28 mars dernier.
Cependant, nous avons vu que la performance récente des fonds en euros des PERP (voir note 6) est inférieure à celle des fonds en euros assurance vie : cela démontre que l’allongement de la durée n’implique hélas pas forcément de meilleures performances !
De même, la part des fonds en euros investie en actions peut varier du simple au quintuple (de 4 à 20 %) selon les contrats, qui sont pourtant tous sous la contrainte de Solvabilité 2. Par conséquent, cette nécessaire révision des normes prudentielles doit aussi s’accompagner d’un engagement fort des assureurs à augmenter la part de leurs placements en actions dans les fonds en euros.
S’agissant des contrats en unités de compte (« UC »), ils sont certes exempts – eux – des contraintes prudentielles, mais ils ne sont pas forcément la panacée : depuis le début du siècle, ils ont perdu 11 % en valeur réelle depuis le début de ce siècle [8], alors que les marchés de capitaux (actions et obligations) ont connu une évolution très positive sur la même période.
Comme quoi, augmenter le degré de risque n’implique hélas pas forcément de meilleures performances. Une des principales raisons est que, pour les UC actions, ces contrats sont en moyenne trois à quatre fois plus chargés en frais que les contrats en euros ; d’où l’intérêt de produits simples sans superposition de couches de frais parfois trop élevés [9].
2. Simplifier et unifier le patchwork existant. On ne voit hélas pas trace, dans les débats français récents, du projet européen de PEPP (« Pan-European Personal Pension » ou produit d’épargne retraite individuel pan-européen), sur la table à Bruxelles depuis juin 2017. Pourtant, le PEPP est l’une des composantes de l’initiative communautaire d’Union des marchés de capitaux, qui vise précisément à orienter davantage l’épargne vers l’économie réelle et l’investissement productif.
Toute unification doit être durable. Il est grand temps que la France prenne en compte ce projet communautaire porteur de simplification, d’unification, de concurrence et d’économies d’échelle, et s’y investisse fortement pour maximiser ses chances de succès et son efficacité, plutôt que de se laisser de nouveau aller à ajouter encore de nouveaux produits au millefeuille déjà très épais de l’épargne française.
Une première étape favorable, annoncée par le ministre, est de permettre la portabilité totale d’un produit retraite à un autre (individuel ou collectif) moyennant l’harmonisation des conditions de sortie et de la fiscalité.
Ensuite, l’unification doit être véritable et comprendre par conséquent tous les produits d’épargne retraite individuelle, sans exclure d’entrée les deux plus importants d’entre eux : Préfon et Corem (ex CREF), qui représentent 26 milliards d’encours et 800 000 clients à eux deux et bénéficient déjà de dérogations réglementaires, malgré des interrogations sur leur gouvernance [10] et sur leurs performances [11].
3. Rendre la rente plus attractive. Les Français n’aiment pas la rente, nous dit-on, mais les Anglais (qui viennent de supprimer totalement l’obligation de sortie en rente pour tous leurs fonds de pension) et les Américains (dont le principal produit d’épargne retraite sort quasiment exclusivement en capital selon le choix des participants) encore moins. En réalité, personne n’aime aliéner son capital avec le risque de ne pas le récupérer en cas de décès prématuré. Et pour cause ! La rente viagère (c’est-à-dire versée à vie) est justement la meilleure assurance contre le risque de longue vie, pas contre celui de vie courte ! Elle constitue par conséquent le meilleur mode de sortie (en d’autres termes la meilleure « décumulation ») pour l’épargne retraite… à certaines conditions.
La rente viagère doit constituer la principale voie de sortie, mais elle doit être rendue plus attractive, et non pas imposée en l’état, comme c’est le cas aujourd’hui, avec les résultats que l’on sait : moins de 5 % de l’épargne financière longue des Français est convertie en rente. Pour renforcer cette attractivité, plusieurs mesures doivent être prises :
4. Développer les associations d’épargnants indépendantes souscriptrices. La France doit aussi défendre et promouvoir activement à Bruxelles le modèle français de gouvernance de l’épargne retraite individuelle (souscrite en France dans la grande majorité des cas par des associations indépendantes d’épargnants). C’est un modèle original et innovant qui permet un meilleur équilibre des rapports entre les assureurs et les épargnants retraite individuels. L’épargnant seul est le plus souvent démuni face à la complexité des produits d’épargne retraite. Une association vraiment indépendante d’épargnants peut mieux négocier les conditions de son produit d’épargne retraite et mieux en suivre le fonctionnement et les performances au cours du temps.
5. Instaurer une fiscalité qui ne pénalise plus l’épargne financière à long terme. Comme pour l’épargne immobilière (qui bénéficie d’abattements en fonction de la durée de détention), la fiscalité doit s’appliquer aux gains réels et non pas purement nominaux, c’est-à-dire qu’elle doit prendre en compte l’érosion monétaire qui grève considérablement la valeur réelle des placements financiers à long terme. Ainsi, même avec une hausse des prix de seulement 2 % par an sur quarante ans (ce qui ne s’est jamais vu dans l’histoire récente de la France), l’épargnant retraite verra la valeur réelle (le pouvoir d’achat) de ses versements amputée à terme de 55 %.
De même, il faut mettre un terme à la discrimination fiscale de la sortie en rente par rapport à la sortie en capital d’un produit d’épargne retraite, la première étant imposée au taux marginal de l’IR, et la seconde à un taux forfaitaire de 7,5 %.
Enfin, la fiscalité de l’épargne retraite en rente (PERP, Madelin) doit être moins pénalisée, en mettant fin à la double imposition de cette épargne aux prélèvements sociaux (pas de déductibilité à l’entrée et imposition intégrale à la sortie).
Face au vieillissement de la population, à l’allongement de la durée de vie et à la baisse tendancielle de la retraite obligatoire de base, la France a l’urgent devoir de développer fortement une épargne retraite plus performante. Nos enfants et nos petits-enfants nous haïrons si nous ne le faisons pas… et ils auront raison.
Achevé de rédiger le 8 avril 2018
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