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Innovation

La distribution en ligne de crédits immobiliers sur la rampe de lancement

Créé le

22.06.2016

-

Mis à jour le

31.08.2016

Au moment où de premières initiatives sont lancées sur ce marché, le crédit immobilier en ligne semble avoir un avenir prometteur. L’évolution de la réglementation et de la technologie y contribue.

Consultation et opérations 24 heures sur 24, plage de contact étendue, souscription en ligne, etc. : la diversité des canaux permet de réaliser la quasi-totalité des opérations en autonomie. Grâce à l’omnicanal, les contacts avec les banques sont aujourd’hui en vaste majorité en ligne mais des progrès sont à réaliser concernant la souscription à distance. Pour exemple, BNP Paribas se fixe dans son rapport annuel un objectif de 50 % de produits vendus en ligne en 2020, contre seulement 12 % aujourd’hui.

Le crédit immobilier reste encore un produit à part et la dématérialisation du processus de souscription, plus encadrée, était impossible jusqu’à l’été dernier. Mais un règlement européen a changé la donne. Dans un contexte où le client peut facilement mettre les banques en concurrence, s’informer et souscrire en ligne, il est nécessaire pour les établissements d’assurer un service continu et plus rapide, accessible via une diversité de canaux, à des taux plus attractifs. La digitalisation du crédit immobilier est donc d’un intérêt stratégique.

L’intégration des canaux pour stimuler le trafic

Malgré un cadre réglementaire plus contraignant que certains produits simples, le crédit immobilier se doit lui aussi de devenir un vrai produit omnicanal pour stimuler le trafic. Le défi à ce jour est de réussir à couvrir toutes les étapes de l’achat immobilier, depuis la mise en place d’un projet d’achat par le futur emprunteur, en amont, jusqu’à la renégociation éventuelle du crédit, en aval. La phase amont et les premières étapes du processus d’octroi sont les plus concurrentielles : simulateurs en ligne variés, accords entre banques et sites d’annonces immobilières, comparateurs, courtiers, proactivité des contacts des banques avec leurs prospects…

Les clients eux-mêmes sont demandeurs de ce type de fonctionnalités. Ils sont de plus en plus volatils lors de la phase amont, comme le montre le développement des activités de courtage, représentant près de 40 % des dossiers de crédit immobilier en France. Les mentalités évoluent aussi vers une plus grande autonomie : d’après une enquête CSA réalisée pour ING Direct, 48 % des Français qui envisagent de souscrire un crédit immobilier dans les 12 mois seraient prêts à le faire auprès d’une banque en ligne. Du point de vue de l’expérience client, la démarche devient plus souple, plus rapide, plus autonome aussi. Par ces nouveaux services, les banques ont l’opportunité de se démarquer et de prendre pied plus tôt dans le parcours client, par exemple en offrant une assistance à la recherche de biens. Ces différentes étapes sont essentielles, car ce sont elles qui mènent vers une souscription en ligne ou en agence.

La phase de finalisation de la souscription est à ce jour l’étape clé de la dématérialisation, encore rarement disponible en ligne. L’envoi postal ou le rendez-vous en agence restent souvent incontournables. Dans la suite du processus, les actes notariés ne sont pas non plus automatiquement transmis aux banques. Le contexte d’uniformisation et de simplification des crédits, comme on le voit en France avec une généralisation des crédits immobiliers à taux fixe, favorise cette transition et la digitalisation. La réduction des coûts que permet la numérisation de la chaîne de valeur y participe également.

Une nouvelle réglementation porteuse d’opportunités

De récents changements réglementaires pourraient également contribuer à l’essor de la distribution en ligne. Adoptée en 2014, et entrant en vigueur à partir du 1er juillet 2016, la directive européenne MCD (Mortgage Credit Directive) a comme objectif de renforcer le niveau d’information et de protection des consommateurs. Elle vise entre autres à uniformiser la communication des conditions de prêt selon des standards communs via l’introduction de la Fiche d’information standardisée européenne (FISE). Pour les emprunteurs connectés, cela facilite la mise en concurrence directe des banques, puisque les différentes offres de prêt peuvent être obtenues rapidement et deviendront plus directement comparables. Cette mise en concurrence pourrait même s’élargir à terme au niveau européen, les courtiers bénéficiant via la MCD de la création d’un nouveau statut qui leur permettra d’offrir leurs services hors des frontières nationales.

Cette directive renforce également les processus d’évaluation de la solvabilité des emprunteurs, une opportunité pour les banques d’inclure dans leurs techniques de scoring, un panel de données plus large, obtenu par exemple à travers les réseaux sociaux. En utilisant directement les données émises par ces clients connectés, les banques ont de nouveaux outils à disposition pour renforcer la surveillance de signes précurseurs d’impayés et prévenir en amont des difficultés de paiement, ou encore de mieux contrôler les informations frauduleuses, ce qui va dans le sens des dispositions prévues par la MCD.

Les banques françaises sortent du lot

Un benchmark réalisé par Sia Partners sur un large panel de banques françaises et internationales montre que les établissements bancaires français ont une réelle longueur d’avance sur leurs concurrents européens. En France, par exemple, 65 % des banques analysées sont capables de faire une proposition immédiate en ligne.

Le leader du sujet est le Crédit Mutuel Arkéa, qui offre à ses clients depuis le début de l’été la possibilité de souscrire un crédit 100 % en ligne.  Une telle initiative permet à Arkéa de s’affirmer comme véritable pionnier de l’innovation technologique, avec de vrais avantages pour le client, en particulier des délais réduits à onze jours entre la proposition et la signature du prêt et l’absence de tout déplacement.

D’autres acteurs ne sont pas en reste sur le marché français : ING, Boursorama, Crédit Agricole et HSBC. Mais aucun ne propose à ce jour de parcours 100 % dématérialisé. Sur le site d’ING par exemple, il est possible d’obtenir un accord de principe de 30 jours, mais le dossier est à renvoyer intégralement par la poste. Idem pour le Crédit Agricole, une des seules banques françaises de réseau à avoir presque entièrement digitalisé son offre de crédit immobilier. L’innovation dans ce domaine n’est donc pas la chasse gardée des banques 100 % en ligne. Si ces dernières sont bien positionnées pour profiter du développement de ce produit, leur part de marché reste marginale. Leur offre se limite principalement à des financements simples, standardisés et aux profils de risque mesuré. Boursorama ne permet pas par exemple la transférabilité.

Ces innovations sont portées par la disparition des derniers obstacles à la dématérialisation. Au niveau réglementaire d’abord, le règlement européen eIDAS (identification électronique et services de confiance), entré en vigueur le 1er juillet, a permis la reconnaissance officielle de la signature électronique dans toute l’Europe, et contribue à la généralisation de son utilisation, une fois passés les filtres antiblanchiment. Du point de vue technologique, la biométrie comportementale et l’empreinte vocale se développent et permettent d’authentifier un emprunteur de manière plus sécurisée, atténuant ainsi le risque de fraude en ligne. Les derniers efforts sont donc à faire au niveau du réseau, pour que les conseillers soient en mesure et aient intérêt à promouvoir ce mode de souscription, mais aussi vis-à-vis de clients qui n’ont pas tous la même appétence digitale. La qualité des interfaces proposées et des informations proposées sont essentielles pour réussir à convertir le plus grand nombre d’entre eux.

Les prémices du machine learning

Chez nos voisins européens et au-delà, certaines initiatives méritent aussi d’être mentionnées. Au Royaume-Uni, Nationwide propose par exemple une souscription de crédit immobilier entièrement construite par vidéo, avec des taux de satisfaction clients bien plus élevés qu’en agence. En Tunisie, BIAT a développé un partenariat avec le site Lamudi Tunisie, qui recense des offres immobilières, permettant ainsi de combiner recherche de biens en ligne et offre de financement, renforçant ainsi la souplesse et la rapidité du processus. Aux États-Unis, Rocket Mortgage by Quicken Loans permet aux clients d’obtenir un préaccord totalement en ligne, sans fournir de pièces justificatives. Le scoring est fait à partir d’informations disponibles en ligne ou à partir d’organismes de collecte de données.

Le machine learning (apprentissage automatique) peut en effet être appliqué au crédit immobilier. Grâce à diverses techniques d’exploitation des données, dont celles disponibles sur les réseaux sociaux, on peut par exemple estimer la capacité de remboursement des individus.

Certaines sociétés appliquent déjà ces techniques à d’autres champs du crédit. C’est le cas de la start-up américaine Affirm ou encore de Biz2Credit dans le domaine du prêt inter-entreprises. Récemment, ING a pris une participation dans WeLab et Kabbage, deux autres start-up spécialisées dans l’octroi de crédits en ligne. Kabbage se concentre sur les petites entreprises, et couple l’analyse de leur présence en ligne sur des sites tels que Facebook ou LinkedIn avec d’autres « signaux faibles », comme l’horaire de la demande, l’adresse e-mail utilisée, le rythme de frappe, la vitesse et la régularité des clics etc.

S’ils offrent une vraie rupture technologique dans laquelle certains établissements essaient de se développer pour profiter d’un avantage compétitif, le machine learning et le Big Data posent aussi de nombreuses interrogations. En premier lieu au niveau juridique. Dans l’Union Européenne par exemple, la directive sur la protection des données personnelles, complétée par le cadre juridique Safe Harbor, en cours de révision, limite l’utilisation commerciale de données obtenues sur le web. Les individus doivent être informés du contenu collecté et peuvent s’opposer à tout transfert. Par ailleurs, le risque de piratage ou d’utilisation des données à d’autres fins inquiète. Enfin, techniquement, le récent développement de ces modèles et le faible nombre de publications sur les performances des start-up utilisant ces techniques ne permettent pas encore de démontrer un lien véritable entre e-réputation et risque de crédit.

Il faut donc compter sur un développement continu et rapide du crédit immobilier en ligne dans les prochaines années, avec une intégration toujours plus forte des processus de distribution, même si ce produit financier structurant ne disparaîtra pas des agences pour autant. Et comme sur d’autres produits bancaires, cela pourrait laisser la place à de nouveaux opérateurs, entre autres les GAFA. Google commence à investir, il n’est pas le seul…

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº799