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FinTech

L’agrégation de comptes bouscule la banque de détail

Créé le

31.03.2016

-

Mis à jour le

03.05.2016

La consultation de compte, point d’entrée de la relation client, est améliorée par les agrégateurs. Certaines banques investissent au capital de ces FinTech, d’autres les imitent… toutes doivent s’adapter.

Internet est devenu le principal canal d’interactions client-banque et le développement de la banque par Internet a été fulgurant, notamment pour les opérations simples (consultations, virements…). Désormais, le nombre de connexions aux applications bancaires dépasse le nombre de connexions réalisées depuis un ordinateur faisant du mobile le premier canal d’interactions client-banque.

Dans ce contexte, de nouveaux entrants s’attaquent à la gestion quotidienne des comptes en proposant de nouveaux services de consultation de comptes enrichis et multi-établissements. Avec plus de 2 millions d’utilisateurs en France, ces outils de PFM (Personal Finance Management) comme Linxo ou Bankin semblent avoir rencontré leur public. Ces outils accèdent aux comptes personnels de leurs utilisateurs et agrègent l’ensemble des comptes détenus au sein d’une ou plusieurs banques.

Des fonctionnalités partiellement offertes par les banques

La principale fonctionnalité offerte par ces solutions est la répartition automatique des dépenses entre différentes catégories (habitation, vêtement, vacances…), permise grâce au code commerçant récupéré lors de l’enregistrement de la transaction. L’utilisateur peut par la suite affecter des budgets et des alertes à chaque catégorie de dépenses et en faire un outil de suivi budgétaire sur mesure. Les banques ont bien perçu la plus-value client et cette fonctionnalité de catégorisation automatique devient un standard proposé directement par les établissements bancaires sur les espaces clients.

Toutefois, les banques se refusent aujourd’hui à proposer de l’agrégation de comptes externes, c’est-à-dire de comptes détenus par le client au sein d’autres établissements. Ainsi, l’agrégation de comptes détenus dans plusieurs banques est à ce jour uniquement proposé par des FinTech. Il peut, en effet, être délicat pour une banque de consulter les comptes d’un client hébergé chez un confrère, le tout en utilisant les codes secrets personnels du client. Car l’utilisation de ces applications implique que les clients communiquent leurs propres identifiants bancaires.

La DSP2 : sécurité, concurrence et boom des usages ?

Néanmoins, ces FinTech sont encore peu connues du grand public. De plus, elles exercent leur activité en dehors de tout cadre réglementaire et pratiquent ce que l’on appelle du « scraping » en collectant les données d’authentification du client pour se connecter à sa place et récupérer les informations sur les transactions enregistrées sur le compte. Si près de 2 millions de Français ont franchi le pas, beaucoup craignent de communiquer leurs identifiants bancaires par définition personnels et confidentiels.

C’est dans ce cadre que la DSP 2, nouvelle directive sur les services de paiements, entre en jeu avec pour objectifs de favoriser la concurrence et la transparence en libéralisant le marché des paiements et l’accès ou la consultation de compte. Cette directive devrait changer la donne et permettre à ces services de décoller en termes d’usages, en levant le principal frein : la sécurité.

D’une part, les banques devront désormais ouvrir leurs systèmes d’information à ces acteurs, en leur fournissant un accès propre et différencié des clients et seront obligées de traiter les mouvements financiers initiés depuis ces plates-formes sans discrimination. Dans ce cadre, les banques ne pourront plus limiter l’accès à ces services, comme c’est aujourd’hui le cas par des mesures techniques ou au travers de certaines conditions générales dénonçant toute responsabilité en cas d’utilisation de ces services. D’autre part, l’activité de ces FinTech sera régulée. Ces dernières devront ainsi s’enregistrer auprès de l’ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution).

C’est désormais à l’ABE (Autorité bancaire européenne) de définir les modalités techniques qui permettront la mise en œuvre de cette réforme. Ces dernières sont attendues avec impatience car structurantes pour définir le réel degré d’ouverture des systèmes d’information des banques à des tiers. Dans cette attente, la FBF (Fédération bancaire française) s’est déclarée particulièrement attentive aux questions de sécurité posées par cette nouvelle législation européenne.

Une première désintermédiation en passe d’être réussie ?

Les impacts d’une telle réforme sur les business models des banques ne peuvent être négligés. Tout d’abord, le taux de multibancarisation n’a jamais été aussi haut en Europe. Aujourd’hui, près d’un client sur trois détient des comptes dans au moins deux enseignes. De plus, le taux de multibancarisation est largement supérieur chez les ménages dits « aisés », pourvoyeur d’une part non négligeable du revenu des banques. Dans ce contexte, l’agrégation de comptes répond à un réel besoin client. L’arrivée des banques en ligne aux stratégies marketing agressives et la loi sur la mobilité bancaire devraient accentuer ce phénomène.

De plus, l’offre des agrégateurs s’enrichit rapidement : la nature des comptes gérés est plus complexe et les fonctionnalités de plus en plus riches (anticipation des soldes de fin de mois, analyse des comportements d’épargne, etc.). L’apport de valeur est réel, tangible et touche au cœur du métier de la banque.

Si ces applications ne proposent aucune fonction transactionnelle, les lignes évoluent. Ainsi, en Europe, de nouveaux entrants – notamment SoFort – proposent d’initier des virements depuis un compte en renseignant simplement ses codes d’authentification de banque à distance.

Une longueur d’avance pour les FinTech

Demain, nous pourrons donc depuis ces interfaces consulter l’ensemble de nos comptes, avec une restitution visuellement et analytiquement aboutie et effectuer nos transactions. Dès lors, pourquoi se connecter à un espace client propre à une seule banque ?

L’avance technologique de certains nouveaux entrants est réelle. Leur agilité permise aussi bien par un état d’esprit que par des systèmes d’informations construits ex nihilo (alors que les SI bancaires sont constitués de nombreuses strates héritées du passé) devrait leur permettre de garder cet avantage.

L’agrégation de comptes pourrait donc conduire à désintermédier la relation client/banque elle-même et donner un ascendant marketing et commercial très fort à ces plates-formes. Dès lors, les acteurs traditionnels de la banque pourraient voir leur position remise en cause et devenir à terme de simples producteurs de produits bancaires.

Une saine concurrence pour se préparer à de nouveaux entrants

Toutefois, les institutions financières disposent d’atouts majeurs : une relation client établie, la confiance de leurs clients, une puissance financière et une réelle force de frappe commerciale et marketing.

En France, les banques ont déjà réagi par des acquisitions remarquées (rachat de Fiduceo par Boursorama), ou des levées de fonds (Linxo auprès de Crédit Mutuel et du Crédit Agricole pour 2 millions d’euros). Et les frontières entre banques et FinTech s’estompent : Boursorama a été la première banque à proposer un service d’agrégation de comptes externes. Ses clients peuvent ainsi consulter l’ensemble de leurs comptes y compris ceux détenus au sein d’autres banques. Plusieurs établissements pourraient lui emboîter le pas et proposer ce type de service sur leur portail client.

L’arrivée de ces nouveaux entrants offre une occasion unique d’améliorer la proposition de valeur faite aux clients et de se préparer à l’arrivée sur le marché bancaire d’autres acteurs. Si l’activité des GAFA – Google, Amazon, Facebook, Apple – dans la sphère financière est pour l’heure cantonnée à des initiatives dans les paiements, avec des succès relatifs, il y a fort à parier que cette activité ne soit qu’une porte d’entrée. Aussi, Orange se lance sur le marché avec l’ambition d’offrir l’intégralité des services et produits d’une banque traditionnelle. Dans ce contexte, l’offre de ces FinTech apparaît comme une réelle opportunité pour les banques de refondre les interfaces proposées au client, tant en matière de design que de fonctionnalités. Charge aux banques d’accepter ces changements de modèle et de s’y préparer. Au-delà des mentalités, l’enjeu est également de pouvoir s’appuyer sur des systèmes d’information ouverts, plus agiles, capables d’échanger avec des entités externes.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº796
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