En juin 2013, le Chief Secretary du trésor anglais, Danny Alexander, annonce la signature par la British Bankers Association (BBA) et la Council of Mortgage Lenders (CML) d’un accord de bank disclosure (transparence). Sept grandes banques participent, dont l’espagnole
Selon cet homme fort du ministère, cet accord fournit « aux nouveaux acteurs de la finance les moyens pour identifier et combler les lacunes de service des banques ; et aux entreprises, les moyens pour sanctionner les banques responsables. » Il précise en outre que, s’il n’est pas efficace, le Gouvernement pourra « envisager alors un recours à la Loi ». La dureté du propos de D. Alexander s’explique : le mois de juin voit une crise de la réputation des banques anglaises. Suite à la faillite de RBS, la manipulation du LIBOR, et faute de recapitalisation, les banques anglaises « deleveragent » (diminuent leurs engagements) aux dépens du secteur industriel. En 2013, elles baissent de 16 % l’encours des lignes de
D. Alexander affirme les objectifs et principes de l’accord : améliorer l’allocation de l’épargne vers l’économie productive par la publication par les banques des informations sur certaines de leurs activités de crédit dans chaque zone postale du pays. La transparence révélera les « déserts financiers » où les banques peinent à financer les entreprises et les
Une mobilisation en faveur de la transparence bancaire
L’engagement du gouvernement conservateur anglais, à travers cet accord, représente un succès pour les membres du Community Investment Coalition (CIC). Il fait suite à des années de plaidoyer auprès des élus et du
La participation à la conférence de mars était limitée aux partenaires du CIC. Pour tous, le premier objectif est de rendre compte des premières analyses des nouvelles informations bancaires. Peut-on s’en servir pour :
- identifier les déserts financiers ?
- évaluer la performance des banques et suivre les partenariats locaux ?
- relancer le financement bancaire, notamment des TPE, en panne ?
- communiquer, notamment aux grandes collectivités, l’intérêt d’exploiter les informations pour renforcer les politiques de développement économique ?
- réduire l’emprise des préteurs «
prédateurs » ?[6]
Les informations divulguées par les banques britanniques
L’accord prévoit la publication d’une information plus
En revanche, l’accord prévoit la comparabilité entre banques sur chaque territoire, car chaque établissement doit publier également ses propres données. Or des problèmes de formatage d’information sont notés par les participants. Le plus important est l’absence d’un formatage commun pour les rapports de chaque banque. Ainsi, HSBC publie son premier rapport en
Comme prévu lors de l’annonce de l’accord, la première remise de données par les banques a eu lieu en décembre 2013. Après agrégation par les fédérations, elles ont été publiées en ligne. Les données fournissent des informations sur une partie importante du total national des volumes des trois classes de crédit bancaire :
- 60 % de l’ensemble des crédits TPE ;
- 73 % des crédits immobiliers ;
- 60 % des prêts à la consommation hors cartes (30 % du total réel).
Publication par code postal pour protéger les informations personnelles
L’accord exploite le système de code postal pour définir la zone de reporting territorial, appelée « sector ». Un code postal anglais se décompose en 4 parties. Par exemple, B47DG étant le code d’un des quartiers de Birmingham : B est le code « area » ; 4 est le code de « district » ; 7 est le code de « sector » ; DG est le code de « unit ».
En général, l’accord prévoit la publication des informations de crédit au niveau des sectors (9 000 sectors dans le UK) au lieu des units (1,8 million). Ce choix – censé protéger l’identité des particuliers – est retenu pour définir l’échelle effective de la publication des données
En revanche, le choix du sector limite la finesse d’
Les premières analyses de la ville de Birmingham
Birmingham se divise en 126 sectors. La ville a demandé à ses services techniques d’analyser en priorité l’offre de crédits bancaires à la consommation. La raison en est un ressentiment fort des électeurs face au surendettement, face notamment aux acteurs non bancaires de crédit, les payday lenders. Pour la municipalité, il s’agit de mieux comprendre la relation entre l’inégalité territoriale de l’offre de services bancaires et l’expansion sur les territoires discriminés des établissements de crédit « prédateurs », les payday lenders. Selon l’analyse de Birmingham, en effet, une certaine utilisation de crédit de consommation est nécessaire : toute sous-utilisation relative de crédit bancaire est signe possible d’exclusion bancaire. En effet, d’autres analyses confirment, dans ces quartiers délestés, une corrélation entre le retrait des banques et l’augmentation de l’endettement auprès des
La première analyse par la ville de Birmingham montre, d’une part, que l’offre de crédit bancaire per capita est moindre dans les quartiers défavorisés et estudiantins du centre-ville et, d’autre part, que l’offre des banques dans ces quartiers est moindre qu’ailleurs dans le
La ville de Manchester publiera prochainement ses analyses de l’offre de crédit aux TPE (création, financement de projet et découverts). L’étude finale permettra d’obtenir une vision globale du crédit bancaire par territoire et d’y comparer l’offre de chaque banque.
L’analyse des inégalités territoriales en équipements bancaires
Autour de Andrew Leyshon et Shaun French à l’Université de Nottingham, les chercheurs intéressés par la géographie de l’exclusion bancaire ont constitué et tiennent à jour depuis les années 1980 une base nationale de données sur l’emplacement des agences bancaires. Cette base permet d’étudier les évolutions des équipements bancaires par territoire, notamment celles des grands réseaux bancaires.Depuis 2013, la base s’étend pour inclure l’emplacement des officines des préteurs non bancaires, les payday lenders.
Au Royaume-Uni, le nombre d’agences bancaires (banques et mutuelles) s’est réduit de 42 % entre 1989 and
Ces constats contredisent l’argument, souvent mis en avant par la BBA et bien d’autres,selon lequel la modernisation de la banque passerait par la mise en place d’innovations qui remplacent les agences : la banque en ligne, les centres d’appel, la centralisation de l’analyse de risque, les méthodes de scoring… Au lieu d’une diminution uniforme de la présence des agences, on constate :
- une fermeture d’agences substantiellement plus forte dans les quartiers modestes et anciennement industriels ;
- une accentuatation de l’inégalité territoriale due à ce retrait territorial sélectif de l’offre bancaire ;
- une corrélation entre la fermeture des agences et le recours des habitants de ces « déserts » financiers aux crédits « prédateurs », les payday lenders.
En synthèse, les premières analyses des données des banques anglaises rappellent la pratique américaine de redlining bancaire (qui consiste à ne pas prêter dans telle zone définie), interdite par le Community Reinvestment Act de 1977 (CRA). En effet, le retrait sélectif de services avait dévasté des quartiers semblables aux Etats-Unis. Le redlning contribue à la création de « déserts » financiers : l’initiative économique des habitants y est artificiellement lésée. Ce retrait des banques augmente l’opacité des marchés locaux (voire favorise les transactions au noir). Assiste-t-on à une tendance semblable en Europe ?
Alors qu'au Royaume-Uni, les équipes commencent tout juste l’analyse des nouvelles données de crédits bancaires aux TPE, les multiples analyses expertes européennes, américaines et françaises s’accordent sur le fait que la présence physique des agences bancaires, l’expertise et la connaissance du marché local sont déterminantes pour assurer aux TPE une offre bancaire utile.
En Europe, une décision de la Commission européenne (2009) fait jurisprudence, en soulignant l’importance des réseaux d’agences bancaires dans l’accès aux
Une insuffisante qualité de l’offre des réseaux bancaires aux TPE ?
En outre, la présence des agences bancaires ne garantit pas en soi la qualité de la prestation d’une banque. La recherche et l’expérience permettent de constater une certaine inadéquation pour les besoins des TPE et l’offre des grands réseaux. Par exemple, en Allemagne, les travaux de l’économiste Richard Werner confirment l’importance pour le financement du tissu TPME de l’Allemagne de la qualité de la prestation des petites banques locales dédiées, les
Une étude de 2013 du Board of Governors de la FED américaine confirme enfin l’inadéquation de l’offre des grands réseaux : délocalisation des décisions, techniques de scoring, absence de suivi et de conseil aux clients. L’étude souligne l’importance pour les petites entreprises d’un accès aux équipes experts des agences bancaires des «
Considérations pour la France
La vision macroéconomique du crédit PME est globalement plus positive pour la France que pour l’Angleterre. Les réseaux d’agences bancaires en France ne sont pas en contraction, alors que la banque, en France, connaît une concentration comparable à celle de l’Angleterre. Le «
La comparaison avec l’Allemagne donne une vision moins favorable de la situation française. Malgré l’aide publique, selon le sondage européen de la BCE en 2013, l’accès aux prêts bancaires figure parmi les principaux soucis des entrepreneurs français, alors que pour leurs homologues allemands, la question n’est pas sensible. Le BCE publie un rating dit « finance gap » (une mesure du déséquilibre entre demande et disponibilité de crédit) par pays de la zone euro : ce gap est croissant pour la France et en baisse pour l’
Un élément qui pourrait expliquer la différence en matière de croissance des TPE entre la France et l’Allemagne est l’absence en France des réseaux équivalents aux Sparkassen, cette fédération de 600 caisses d’épargne obligées par leurs statuts de réinvestir localement une majorité de l’épargne d’un
Mais la vision macroéconomique, pas plus que des sondages européens, ne permet pas de discerner finement la situation de la bancarisation des TPE dans nos territoires, en France. Existe-t-il en France, comme en Angleterre, des « déserts financiers » dans les zones urbaines et ruraux de relégation ? Nos banques passent-elles à côté d’opportunités importantes pour financer la création et la croissance des TPE ?
Pour l’instant, la faiblesse du reporting territorial demandé par la Banque de France aux établissements de crédit rend notre expérience nationale encore anecdotique, peu propice à un diagnostic suffisamment fin pour répondre à ces
Cependant, le fait même qu’il existe d’importantes subventions publiques pour soutenir les réseaux de financement et d’accompagnement non bancaire des créateurs d’entreprises, des TPE et des entreprises sociales, ne prouve-t-il pas la reconnaissance par l’Etat de l’insuffisance de services bancaires actuels ?
Le témoignage des experts de terrain, banquiers et responsables des réseaux de financement et d’accompagnement non bancaire, convergent pour confirmer les grandes lignes des conclusions internationales présentées
Que font les banques françaises ?
Le CRA et d’autres dispositifs de transparence bancaire ont fourni aux États-Unis les moyens de faire évoluer favorablement les pratiques des grands réseaux tout en encourageant la compétition. Ce progrès se fait sans subprime et sans risques souverains : il n’y a pas de titrisation de la dette TPE aux États-Unis. Le gouvernement et les banques anglaises viennent de faire un pas important dans le sens de la transparence. Pourtant, en Angleterre, les banques françaises ne participent pas à l’engagement de transparence bancaire ; et en France, rien ne se
Comme d’autres pays, la France, ses petites entreprises et ses banques auraient tout à gagner d’un dispositif territorial de transparence bancaire.