Square
 

Rétrospective

Le trade finance précipité dans la régulation et la modernité

Créé le

20.12.2021

Face à une crise sanitaire mondiale sans précédent, les banques, maillons essentiels du financement du commerce international, ont rapidement adapté leurs dispositifs administratif et commercial afin d’assurer la continuité de leurs services. Deux ans après le déclenchement de la pandémie de Covid-19, où en sont-elles ?

Les récentes images d’embouteillages de porte-containers à l’entrée des grands ports et les perturbations des chaînes d’approvisionnement nous feraient presque oublier qu'il y a dux-huit mois, l’économie mondiale se confinait, entraînant au 2e trimestre 2020, une chute de 27 % du volume du commerce mondial de marchandises. Dans cette industrie du trade finance, encore dominée par le papier, l’ampleur et la rapidité de propagation de la pandémie ont bouleversé les habitudes des back-offices bancaires, y compris ceux disposant de plan de continuité d’activité (PCA) éprouvé. En effet, le traitement administratif de ces produits (les encaissements et les crédits documentaires, les garanties et les avances import ou export) nécessite un travail humain important, parfois complexe, reposant, en grande partie, sur un flux documentaire important (factures, documents de transport, certificats d’assurance entre autres). Les documents, supports de la transaction sous-jacente, font l’objet de contrôles et d’examens approfondis, permettant à la banque de se faire ainsi une opinion et de déclencher, le cas échéant, le paiement.

Des back-offices sous pression

Ce processus requiert à la fois de l’expertise et de l’expérience, tout en se conformant au formalisme des règles de la Chambre de commerce internationale (ICC) ; par exemple, pour les crédits documentaires, respecter les 5 jours ouvrés de délais d’examen des documents pour déterminer si une présentation est conforme [1] . Sans oublier évidemment les clients, importateurs ou exportateurs, qui sont désireux, dans un tel environnement, de récupérer ces documents – ou de les faire acheminer à leur banque au plus vite – afin d’obtenir leurs marchandises ou se faire payer. Comme beaucoup de secteurs de l’industrie et des services, les équipes administratives et commerciales se sont retrouvées, du jour au lendemain, de manière hybride, en distanciel et sur site, avec comme objectif de poursuivre leurs activités et d’être plus attentives aux risques opérationnels. Au regard de la faible digitalisation de ce métier, l’appui le plus efficace au traitement à distance des documents a, sans aucun doute, été la numérisation. En avril 2020, ICC a publié deux mémos destinés aux gouvernements et aux banques centrales sur la nécessité de prendre des mesures favorisant la dématérialisation des documents dans les transactions de trade finance [2] . Dans ce contexte très particulier, où les documents ne pouvaient plus être acheminés entre banques (fermeture des frontières terrestres et aériennes), certaines banques centrales ont mis en place des procédures avec leurs banques nationales, pour que ces dernières puissent accepter des documents scannés, de la part de leurs correspondants, avec une confirmation testée via le réseau SWIFT. Dans cet univers bien réglementé, le système D a pu parfois s’imposer. Une surcharge exceptionnelle de travail et l’implication des gestionnaires administratifs ont permis, par conséquent, d’éviter de nombreux risques opérationnels, forcément plus critiques que d’habitude.

Le spectre de la crise financière de 2007-2008

L’autre aspect des activités de trade finance est d’apporter de la liquidité aux entreprises, à travers des financements (avances, préfinancements, financements de créances), et de la sécurité (confirmation de crédit documentaire, émission de garanties) pour la bonne réalisation de leurs transactions. Au fur et à mesure que l’économie se mettait à l’arrêt, les inquiétudes sur la bonne performance et le dénouement des opérations bancaires grandissaient, par exemple des demandes d’extension de validité de crédits documentaires ou de prorogation d’échéances d’avances export.

Concernant plus spécifiquement la gestion des risques pays et des contreparties bancaires au sein des départements Institutions financières, une certaine prudence était de mise, au moins dans un premier temps. La crise de confiance entre établissements de crédits, un des marqueurs de la crise financière de 2007-2008, avait drastiquement réduit les capacités d’intervention des banques en matière de financement transactionnel, particulièrement vis-à-vis des petites et moyennes entreprises. Cette disponibilité des lignes de financement avait, depuis, fait l’objet d’études mesurant les liens entre ces écarts de financements (trade finance gaps [3] ), la croissance des entreprises et la création d’emplois (se référer par exemple à la dernière étude sur le sujet publiée par la Banque asiatique de développement [4] ).

Une des menaces de cette pandémie était, par conséquent, la réduction, voire le gel des lignes de contreparties entre les établissements financiers. À la suite de la chute des matières premières (métaux, pétrole) au début de l’année 2020, la Banque africaine de développement (AfDB) a été la première à tirer le signal d’alarme sur les risques de réduction des lignes de confirmation des correspondants bancaires asiatiques, européens ou américains des banques du continent africain [5] . De nombreux pays africains ont depuis montré une grande capacité de résistance, s’appuyant sur des plans de relance gouvernementaux conjugués aux appuis des bailleurs internationaux, permettant aux banques correspondantes de maintenir leurs lignes de confirmation.

Une activité financière résistante, mais qui doit se digitaliser

La crise financière de 2007-2008 avait mis en lumière la forte capacité de résistance des produits de trade finance. Qu’en est-il avec une crise sanitaire – et ses conséquences sociales et économiques – qui n’a pas dit son dernier mot ? Selon le FMI, le volume des échanges de marchandises a baissé de 7 % en 2020. Sur la même période, le nombre de messages SWIFT correspondant aux crédits documentaires (MT700) a chuté de 12 %, en grande partie du fait de la baisse des transactions liées au commerce des matières premières et des contrats qui ont été reportés ou annulés. Néanmoins, les taux de défaut des différents produits du trade finance sont loin d’être catastrophiques, comme le montre la récente publication par ICC du Trade Register Report [6] . En revanche, dans le secteur du financement des matières premières, les fermetures des ports et des accès aux entrepôts, les absences de contrôles ont favorisé quelques fraudes retentissantes (à Londres, Dubaï et Singapour), se soldant par des faillites de sociétés de négoce et, potentiellement pour le secteur bancaire, par des pertes importantes.

Conséquences de ces faillites, plusieurs initiatives en matière de contrôles des opérations ont été lancées par les banques centrales, allant de la mise en place de « code de bonnes pratiques » (Singapour [7] ) à un « rappel à l’ordre » du régulateur (Royaume-Uni) sur l’évaluation des risques financiers (Financial Crime Risk Assessment) [8] . Plus généralement, la crise sanitaire a montré le besoin pour cette industrie d’accélérer le mouvement de digitalisation. Les chantiers n’ont jamais été aussi nombreux [9] , notamment  pour harmoniser les pratiques [10] et trouver des standards permettant à l’écosystème, et pas seulement les banques, d’échanger les données et de favoriser l’interopérabilité.

 

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº863-864
Notes :
1 Article 14 (b) des RUU 600, Règles et Usances uniformes relatives aux Crédits documentaires (Copyright © 2006). Publication CCI N° 600 EF.
2 « ICC Memo to governments and central banks on essential steps to safeguard trade finance operations » (6 avpril 2020) et « Digital Trade Rapid Response Measures by Banks Under COVID-19 » (24 avril 2020).
3 Ces écarts mesurent la différence entre la demande des entreprises en matière de lignes de financement et les lignes accordées par les banques. ADB, pour sa part, estime ce montant à 1700 Md$.
4 ADB 2021 Trade Finance Gaps, Growth, and Jobs Survey, n° 192 (October 2021).
5 Africa Economic Brief - COVID-19 Pandemic- Potential Risks for Trade and Trade Finance in Africa - Volume 11-  Issue 6 (23 June 2020).
6 Lire l’article « Hausse des taux de défaut », Revue Banque n°861 (novembre 2021). Consulter également la version allégée du Trade Register Report 2020 (https://iccwbo.org/publication/icc-trade-register-report/).
7 Code of Best Practices Commodity Financing (November 2020) lancé par un groupe de travail regroupant 28 banques à Singapour.
8 Lettre adressée par la Banque d’Angleterre et le Financial Conduct Authority (FCA) le 9 septembre 2021 aux directeurs de banque concernant leurs activités de trade finance (https://www.bankofengland.co.uk).
9 SWIFT Information paper Digitising trade : the time is now, (August 2021).
10 Harmonisation du cadre juridique, par exemple avec l’adoption de UNICITRAL’s Model Law on Electronic Transferable Records (MLETR).