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Droit des moyens et services de paiement

La protection de la clientèle devant la Commission des sanctions de l’ACPR

Créé le

22.03.2022

Retour sur une curieuse décision de la Commission des sanctions de l’ACPR (déc. n° 2020-07, 5 nov. 2021, BNP Paribas Réunion, blâme et sanction pécuniaire de 3 millions d’euros).

Si elle a déjà été commentée dans les colonnes de Revue Banque [1] et a attiré l’attention d’autres auteurs [2] , la décision BNP Paribas Réunion mérite que l’on s’y arrête encore. Car hormis sur le terrain du droit au compte [3] , ce serait donc la première fois que l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) sanctionnerait la méconnaissance de règles relatives à la protection de la clientèle [4] . C’est pourtant, avec la préservation de la stabilité financière des établissements qui lui sont assujettis, au cœur de la mission de contrôle de l’Autorité [5] , veillant par-là à réduire l’« asymétrie d’information » entre professionnels de la banque et de l’assurance et leurs clients [6] .

La pratique du name and shame en question

Cette première sanction serait même double en l’espèce, dans la mesure où l’établissement bancaire poursuivi faisait reproche à la procédure disciplinaire de s’ajouter, en violation de la règle non bis in idem, à la publication d’un communiqué du Gouverneur de la Banque de France, en sa qualité de président de l’Observatoire de l’inclusion bancaire (OIB), ayant mis en cause ses pratiques tarifaires [7] . Même si l’argument est, sans surprise, écarté par la Commission des sanctions, on ne peut s’empêcher de regretter une telle dénonciation publique, préalable à l’ouverture d’une procédure disciplinaire. Il ne faudrait pas que ce détestable « name and shame » de malheureuse importation gagne nos autorités [8] .

Quoi qu’il en soit, la décision n° 2020-07 du 5 novembre 2021 retiendra principalement notre intérêt en ce qui concerne la caractérisation, puis la sanction, du non-respect des plafonds réglementaires des frais dits « bancaires ». Des frais qu’il serait plus exact de nommer « incidents de paiement ».

Perdus dans les plafonds

Àl’instar du rejet d’un chèque, les frais perçus par le prestataire de services de paiement (PSP) du payeur au titre d’un incident de paiement sont plafonnés, « quelles que soient la dénomination et la justification de ces sommes », précisent tant les articles D. 131-25 (rejet d’un chèque) que D. 133-26 (incidents de paiement autres que le rejet d’un chèque) du Code monétaire et financier (CMF).

Question, peut-être inédite, était ainsi posée à la Commission des sanctions : le calcul du plafond des frais d’incidents (les frais bancaires) doit-il inclure le montant de la commission d’intervention [9] susceptible d’être également perçue en rémunération du service d’analyse réalisé par l’établissement ? Doit-il l’inclure sachant que les commissions d’intervention font elles-mêmes l’objet d’un plafonnement spécifique à raison des articles L. 312-1-3 [10] et R. 312-4-1 [11] du CMF ?

Qu’il s’agisse du rejet d’un chèque ou d’un prélèvement, l’ACPR n’entend pas admettre la possibilité d’exclure les commissions d’intervention des plafonds de frais d’incidents : « Pour les mêmes motifs que ceux qui ont été exposés au point 14 ci-dessus [rejet d’un chèque], dès lors que la prestation qu’elles rémunèrent intervient à l’occasion du rejet d’un prélèvement, les commissions d’intervention ne sauraient être facturées au client que pour autant que le total des sommes facturées ne dépasse pas le plafond prévu par l’article D. 133-6 du CMF » [12] . Autrement dit, un établissement financier ne peut contourner le plafond des frais bancaires sous prétexte qu’il facturerait des commissions d’intervention.

Pas facile d’être la fille d’une bonne mère

Il est rare de lire, dans une décision de la Commission des sanctions de l’ACPR, une telle considération générale, mêlant appréciation de politique législative et réflexion sur le groupe d’appartenance de l’établissement poursuivi : « Le législateur a entendu accroître peu à peu la protection des consommateurs de services bancaires, notamment en plafonnant le montant des sommes susceptibles d’être mises à leur charge en cas d’incident et les frais de toute nature qui peuvent être facturés par les établissements de crédit. Les dispositions du CMF qui, pendant de nombreuses années, ont été méconnues par BNPP Réunion au préjudice de ses clients étaient, ainsi qu’il a été dit, sans ambiguïté. Au demeurant, BNPP Réunion pouvait d’autant moins se méprendre sur la portée de l’obligation qu’elles lui imposaient qu’elle appartient à un groupe important et que la société mère de ce groupe, comme d’ailleurs, selon la poursuite, la généralité des établissements de crédit, s’y conformait. À cet égard, si BNPP Réunion a fait valoir, au cours de l’audience, que le marché présente, à la Réunion, des spécificités, celles-ci n’autorisaient aucune interprétation spécifique de la loi et ne permettaient pas à l’établissement de priver ses clients de la protection dont sa société mère savait devoir faire bénéficier les siens. »

Voilà qui est asséné dans un style qui ne ressemble pas, immédiatement, à celui d’une autorité de contrôle. On ne sait trop pourquoi, mais cette décision n° 2020-07, rendue en matière de protection de la clientèle, sonne d’un ton, sinon d’une musique, particulier.

 

1 Jérôme Lasserre Capdeville et Jean-Philippe Kovar, « Frais : l’ACPR sanctionne BNP Paribas Réunion »,  Revue Banque n° 863-864, p. 116.
2 Cf. J. Morel-Maroger, « Première condamnation par l’ACPR pour les manquements relatifs à la facturation des services bancaires », Gazette du Palais 8 févr. 2022, n° 4, p. 60.
3 Cf. déc. n° 2012-09, 3 juill. 2013, Le Crédit Lyonnais, et déc. n° 2013-04, 19 mai 2016, Société Générale.
4 Cf. J. Morel-Maroger, précit.
5 Cf. CMF, art. L. 612-1, I, al. 1er : « L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution veille à la préservation de la stabilité du système financier et à la protection des clients, assurés, adhérents et bénéficiaires des personnes soumises à son contrôle. »
6 Cf. Site ACPR, Protéger la clientèle, Principes de la protection de la clientèle et missions de l’ACPR. Comp. ACP, Rapport annuel 2010, p. 71.
7 Voir également Rapport annuel de l’Observatoire de l’inclusion bancaire 2019, p. 22 : « Les résultats du suivi des engagements de plafonnement des frais d’incidents bancaires au profit des clients financièrement fragiles (…) confirment que les engagements sont appliqués par une très large majorité des établissements. Pour autant, deux établissements filiales de groupes bancaires, BNP Paribas Réunion et Crédit du Nord se sont signalés par des dispositifs encore en décalage par rapport aux engagements pris et aux pratiques de leurs groupes d’appartenance respectifs. »
8 Comp. Exercice illégal : l’ACPR met en garde le public contre la fourniture de services de paiement par des entités non autorisées, Communiqué de presse, 1er mars 2022, annonçant l’inscription sur « liste noire » d’opérateurs de services de paiement non autorisés.
9 Cf. CMF, art. D. 312-1-1, 12° : « Commission d'intervention : somme perçue par l'établissement pour l'intervention en raison d'une opération entrainant une irrégularité de fonctionnement du compte nécessitant un traitement particulier (présentation d'un ordre de paiement irrégulier, coordonnées bancaires inexactes, absence ou insuffisance de provision …) ».
10 Cf. CMF, art. L. 312-1-3, al. 1er : « Les commissions perçues par un établissement de crédit à raison du traitement des irrégularités de fonctionnement d'un compte bancaire sont plafonnées, par mois et par opération, pour les personnes physiques n'agissant pas pour des besoins professionnels. (…) ».
11 Cf. CMF, art. R. 312-4-1 : « Les commissions perçues par les établissements de crédit, mentionnées à la première phrase de l'article L. 312-1-3 du Code monétaire et financier ne peuvent dépasser par compte bancaire un montant de 8 euros par opération et de 80 euros par mois ».
12 Déc. n° 2020-07, précit., pt 20.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº867
Notes :
11 Cf. CMF, art. R. 312-4-1 : « Les commissions perçues par les établissements de crédit, mentionnées à la première phrase de l'article L. 312-1-3 du Code monétaire et financier ne peuvent dépasser par compte bancaire un montant de 8 euros par opération et de 80 euros par mois ».
1 Jérôme Lasserre Capdeville et Jean-Philippe Kovar, « Frais : l’ACPR sanctionne BNP Paribas Réunion »,  Revue Banque n° 863-864, p. 116.
12 Déc. n° 2020-07, précit., pt 20.
2 Cf. J. Morel-Maroger, « Première condamnation par l’ACPR pour les manquements relatifs à la facturation des services bancaires », Gazette du Palais 8 févr. 2022, n° 4, p. 60.
3 Cf. déc. n° 2012-09, 3 juill. 2013, Le Crédit Lyonnais, et déc. n° 2013-04, 19 mai 2016, Société Générale.
4 Cf. J. Morel-Maroger, précit.
5 Cf. CMF, art. L. 612-1, I, al. 1er : « L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution veille à la préservation de la stabilité du système financier et à la protection des clients, assurés, adhérents et bénéficiaires des personnes soumises à son contrôle. »
6 Cf. Site ACPR, Protéger la clientèle, Principes de la protection de la clientèle et missions de l’ACPR. Comp. ACP, Rapport annuel 2010, p. 71.
7 Voir également Rapport annuel de l’Observatoire de l’inclusion bancaire 2019, p. 22 : « Les résultats du suivi des engagements de plafonnement des frais d’incidents bancaires au profit des clients financièrement fragiles (…) confirment que les engagements sont appliqués par une très large majorité des établissements. Pour autant, deux établissements filiales de groupes bancaires, BNP Paribas Réunion et Crédit du Nord se sont signalés par des dispositifs encore en décalage par rapport aux engagements pris et aux pratiques de leurs groupes d’appartenance respectifs. »
8 Comp. Exercice illégal : l’ACPR met en garde le public contre la fourniture de services de paiement par des entités non autorisées, Communiqué de presse, 1er mars 2022, annonçant l’inscription sur « liste noire » d’opérateurs de services de paiement non autorisés.
9 Cf. CMF, art. D. 312-1-1, 12° : « Commission d'intervention : somme perçue par l'établissement pour l'intervention en raison d'une opération entrainant une irrégularité de fonctionnement du compte nécessitant un traitement particulier (présentation d'un ordre de paiement irrégulier, coordonnées bancaires inexactes, absence ou insuffisance de provision …) ».
10 Cf. CMF, art. L. 312-1-3, al. 1er : « Les commissions perçues par un établissement de crédit à raison du traitement des irrégularités de fonctionnement d'un compte bancaire sont plafonnées, par mois et par opération, pour les personnes physiques n'agissant pas pour des besoins professionnels. (…) ».