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L’évolution de la coopération en matière financière

La perspective d’une autorité nationale de supervision

Créé le

12.03.2020

En matière financière également, la coopération, tant intra-européenne qu’avec les autorités des pays tiers, évolue et s’intensifie, notamment face aux évolutions technologiques et dans le contexte du Brexit.

La coopération internationale est aujourd’hui une composante indispensable de l’action des autorités de marché. L’interconnexion grandissante des marchés au plan international exige en effet des régulateurs qu’ils conduisent leur mission en assurant un équilibre approprié entre la protection des investisseurs et l’ouverture des marchés sous leur supervision à des acteurs et produits provenant de pays étrangers. Dans ce contexte, la coopération internationale est à la fois une composante clé de l’efficacité de la régulation et un facteur susceptible de faciliter la conduite transfrontalière des activités de marché. Aussi les régulateurs ont-ils mis en place des mécanismes de coopération, dont l’objet et la forme ont évolué dans le temps en fonction des besoins. La coopération internationale a aujourd’hui pour objet tant le maintien de l’intégrité des marchés (lutte contre les abus de marché) et la protection des investisseurs, que la convergence de supervision entre juridictions (recherche d’un level playing field et lutte contre l’arbitrage réglementaire), ou encore des préoccupations de stabilité financière. Elle recouvre un enjeu spécifique relatif à la supervision lorsqu’il s’agit de la coopération entre autorités de l’Espace économique européen (EEE), en raison du passeport qui matérialise le marché unique. En l’occurrence, la coopération pour la supervision des activités conduites au sein de l’EEE est largement régie par les textes sectoriels sous-jacents et il sera donc davantage question, dans cet article, de la coopération avec les autorités de pays hors EEE, plus multiforme.

 

1. Quels sont les objectifs de la coopération internationale et comment ont-ils évolué ?

L’organisation des marchés reposait traditionnellement sur des acteurs nationaux, appliquant des règles nationales, édictées et contrôlées par des autorités dont les pouvoirs étaient définis au plan national. La coopération internationale a donc débuté pour répondre aux besoins d’obtention d’informations en dehors du champ de compétence des autorités, lorsqu’un acte sanctionnable s’avérait lié à un comportement, des parties impliquées ou des preuves situées dans un pays étranger. Historiquement, c’est en matière de répression des abus de marché que s’est d’abord développée la coopération internationale, dans le cadre d’enquêtes qui constituent aujourd’hui encore une part majoritaire de la coopération, en particulier pour la poursuite des manquements d’initiés. Il s’agit en pratique d’obtenir des informations sur les donneurs d’ordres/bénéficiaires finaux de transactions qui peuvent être situés à l’étranger, et il est aujourd’hui très rare qu’une enquête n’ait pas une dimension internationale.

Au cours des dix ou quinze dernières années, la coopération internationale a trouvé à s’exprimer de manière croissante pour les besoins de la supervision d’entités régulées opérant de manière transfrontière. Coopérer, dans ce contexte, va de pair avec l’approche retenue dans un pays donné en matière d’ouverture des marchés. Plus le marché est ouvert plus il importe d’avoir des mécanismes efficaces pour permettre un accès en toute sécurité aux marchés et aux investisseurs locaux à des acteurs ou à des produits venant de pays étrangers et donc soumis à des réglementations différentes et placés sous des autorités de tutelle autres. Pour superviser efficacement des acteurs internationaux intervenant dans leur champ de compétence, les autorités doivent désormais mieux connaître et comprendre le territoire et les particularismes de leurs homologues. Cette coopération est particulièrement marquée à l’échelon européen. Elle s’avère tout aussi importante au niveau international où le nombre toujours plus élevé d’acteurs intervenant à distance sur plusieurs marchés fait naître un besoin croissant d’outils de coopération, sous forme d’accords en matière de coopération, mais pas seulement.

Un élément accélérateur de la coopération à des fins de supervision a été la crise financière de 2008, qui a révélé le caractère insuffisant de la coopération entre régulateurs pour la bonne supervision des marchés et de leurs acteurs, et conduit à l’adoption de mesures correctives aux plans international et européen via l’édiction d’un corpus de règles conséquent. Il est à ce propos intéressant de noter l’évolution qui a conduit les autorités de régulation à coopérer davantage au moment de l’élaboration des standards internationaux, sous l’égide du Conseil de stabilité financière (CSF) créé au lendemain de la crise, et des normalisateurs internationaux (OICV[1] et Comité de Bâle notamment) et à la demande du G20. Le mot d’ordre est désormais à la convergence entre cadres réglementaires, ce qui est de nature à limiter la fragmentation des marchés. Sur le plan international, un exemple parlant est celui de la régulation des marchés dérivés de gré à gré, marché international s’il en est, non régulé jusqu’au Dodd-Frank Act aux États-Unis et au règlement EMIR en Europe. Aujourd’hui, les régulateurs européens travaillent avec leurs homologues aux États-Unis afin de mettre en place de mécanismes permettant aux acteurs qu’ils ont agréés d’opérer de manière transfrontière en réduisant les duplications inutiles. Le même type de préoccupations anime d’ailleurs les régulateurs des marchés asiatiques.

On voit donc qu’historiquement, la coopération se faisait principalement à des fins de lutte contre les abus de marché, mais évolue rapidement pour répondre à d’autres finalités, notamment en accompagnement de l’ouverture des marchés. Son développement permet une meilleure connaissance mutuelle et une meilleure compréhension réciproque, propices au renforcement de la confiance entre autorités, et donc au développement des flux d’affaires de manière transfrontière. Il n’est pas inutile de souligner qu’en dehors de leur mission de surveillance et de supervision, les autorités de marché développent, dans la mesure de leurs moyens, une coopération technique particulièrement utile dans les nouveaux domaines, notamment dans celui des FinTechs. Par des accords d’assistance technique, les autorités partagent leur expertise ou leur expérience et progressent collectivement dans l’appréhension des réponses à apporter aux nouveaux défis qui se posent à elles. L’AMF a ainsi signé sept accords de coopération ciblés sur le développement des FinTechs avec des autorités partageant la même approche.

 

2. Quelle forme pour la coopération ?

Si les accords entre régulateurs sont restés pendant longtemps bilatéraux (l’AMF notamment a signé environ 50 administrative agreements depuis 1989, le premier ayant été signé avec la US SEC[2]), la nécessité d’une multilatéralité s’est fait jour rapidement afin de permettre une capacité de coopération maximale de la part de l’ensemble des autorités de marché sur la base de standards établis en commun.

Le 11 septembre 2001 s’est révélé être un tournant en matière de coopération, en participant à des évolutions au sein des organisations internationales et plus spécifiquement l’OICV, qui a été pionnière en la matière[3]. En 2002, l’accord multilatéral de coopération portant sur la consultation, la coopération et l’échange d’informations[4], adopté par l’OICV en vue de favoriser le développement des échanges d’informations entre régulateurs, a été un marqueur fort. Cet accord a pour objet d’organiser l’assistance mutuelle et l’échange d’informations destinés à permettre l’application et le respect des lois et réglementations en vigueur dans les juridictions des autorités signataires. Sa signature est désormais une condition pour devenir membre de l’OICV. Il présente la particularité, qui en fait sa force, de subordonner l’obtention, par une autorité, de la qualité de signataire à sa capacité de démontrer qu’elle est à même de coopérer et d’échanger des informations avec des autorités étrangères selon les normes qu’il établit. À fin 2018, ce MMoU compte 121 signataires et permet des échanges croissant d’informations : en 2006, environ 500 demandes d’assistances étaient enregistrées, contre plus de 4 000 à fin 2018.

S’agissant des besoins de coopération en matière de supervision, ils ont conduit les membres de l’OICV à mettre au point des principes publiés en 2010, qui ont été utilisés par les membres de l’Organisation pour établir des accords bilatéraux de coopération. L’AMF et ses homologues se sont ainsi inspirés de l’accord-type accompagnant ces principes pour signer une quarantaine d’accords bilatéraux en matière de supervision dans les domaines de la gestion d’actifs et des infrastructures de marché. Il convient également de relever les cinq accords de coopération à des fins de supervision ayant une dimension transfrontière signés par l’AMF, dont le dernier en 2017 avec la SFC de Hong-Kong, pour permettre la commercialisation croisée de fonds d’investissement dans les deux pays.

Les nécessités en termes de supervision et d’accompagnement des activités transfrontières ont également contribué à la création de nouveaux outils de coopération. Les Collèges de régulateurs, par exemple pour les contreparties centrales, sont devenus centraux en raison d’une interconnexion croissante d’acteurs paneuropéens ou mondiaux. Il est intéressant de relever que les régulateurs d’Euronext avaient été relativement précurseurs en la matière avec la création du collège des régulateurs de l’opérateur boursier paneuropéen créé en 2001.

En 2014, la signature du MMoU de l’ESMA est un autre marqueur important. L’Union européenne est une zone où, par construction, la coopération est indispensable, voire consubstantielle à l’existence du passeport et au marché unique, et donc des relations entre autorités d’accueil (host) et autorités des sièges (home). À l’avenir, le renforcement de la coopération en matière de supervision sera également nécessaire pour assurer une plus grande convergence des pratiques. En termes d’intégration financière, l’Europe apparaît comme un précurseur au niveau mondial.

 

3. Quels défis pour demain ?

Plusieurs indices laissent penser que des évolutions importantes sont en cours. Jusque très récemment, la majorité des pays, voire la quasi-totalité, appliquaient une approche de la régulation reposant sur l’obligation pour tout acteur de se faire agréer ou enregistrer auprès du régulateur local pour fournir ses services, sans aucune prise en compte du fait qu’un acteur souhaitant fournir des services pouvait déjà être agréé, réglementé et supervisé dans son pays d’origine, c’est-à-dire sans mécanisme d’équivalence et de reconnaissance (approche dite de « national treatment »[5]). Compréhensible de prime abord d’un point de vue de protection des clients, de maintien de l’intégrité des marchés et d’égalité de traitement entre acteurs intervenant sur un marché donné, cette approche est néanmoins également source de duplications, voire d’incompatibilités lorsque les règles détaillées mettant en œuvre les principes internationaux de régulation diffèrent par trop les unes des autres dans les pays où le prestataire est actif. Or, on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que les autorités des pays concernés s’en remettent les unes aux autres pour au moins une partie de la réglementation applicable lorsqu’une certaine équivalence a été constatée.

C’est cette approche que l’Union européenne promeut traditionnellement vis-à-vis des pays tiers, et dont la forme la plus aboutie a d’ailleurs donné naissance au marché unique où, sur la base du respect d’un même corps de règles, le « single rulebook », les acteurs bénéficient du passeport européen qui leur permet d’opérer dans l’Union sur la base du seul agrément reçu dans leur État membre d’origine. Après une période d’ouverture unilatérale très large aux acteurs de pays tiers à l’UE, l’Europe s’est dans certains cas légèrement écartée de cette approche et rapproché de l’approche traditionnellement plus américaine, laissant certes toujours une part importante à la reconnaissance de l’équivalence du cadre législatif de pays tiers mais avec un encadrement plus précis, voire parfois renforcé. Tel est notamment le cas s’agissant du régime des chambres de compensation, renforcé à la suite du règlement EMIR 2.2. De leur côté, les autorités américaines évoluent elles aussi. La CFTC a proposé pour la première fois de s’appuyer sur les règles applicables dans le pays d’origine de la chambre de compensation – sous certaines conditions – (régime « d’alternative compliance »). La SEC, traditionnellement attachée à une approche « national treatment » a elle aussi récemment fait des propositions dans le cadre de son régime applicable aux swap dealers en introduisant une possibilité de substituted compliance, permettant, sous certaines conditions, à un acteur donné de ne pas respecter certaines règles américaines lorsque les règles du pays tiers ont été évaluées comme comparables et sous réserve de la signature d’un accord de coopération.

Un autre défi pour les autorités de supervision est celui lié à la mise en place en Europe d’un cadre de protection des données personnelles (RGPD), dont la portée extraterritoriale – rare s’agissant de l’approche traditionnelle européenne – a donné lieu à de nombreux échanges entre autorités de marché de l’Union européenne et autorités hors UE, afin de trouver les moyens d’assurer la continuité de la coopération dans un cadre respectueux de la législation européenne et de celle des pays tiers. Cela a été fait une fois de plus dans le cadre multilatéral de l’OICV, avec l’aide précieuse des services de l’ESMA. Le résultat en a été la signature par les membres de l’OICV d’un accord administratif prévoyant les garanties dont bénéficient les ressortissants de l’Union en ce qui concerne les données personnelles échangées entre autorités de l’Union et celles de pays tiers dans le cadre de la coopération internationale entre régulateurs de marché.

Le Brexit crée une complexité supplémentaire pour l’Union européenne, le Royaume-Uni étant appelé à devenir un pays tiers, dont la particularité est l’étroite imbrication des activités entre le pays et les autres États de l’Union, qu’il s’agisse des activités sur dérivés de gré à gré mais aussi plus largement de toutes les activités financières. Le Brexit aura des conséquences sur la relation entre autorités britanniques et autorités des pays de l’UE27, car il s’agira d’assurer la continuité de la coopération dans un monde où les premières seront devenues autorités de pays tiers, sous des modalités différentes de celles prévalant aujourd’hui ; mais il aura aussi pour conséquence une évolution dans le sens d’un renforcement de la coopération au sein de l’UE27 pour la bonne supervision des acteurs relocalisés du Royaume-Uni vers plusieurs pays de l’Union.

Enfin, un autre élément notable de l’évolution de la coopération est lié à l’environnement dans lequel opèrent les autorités de marché qui, sous l’influence des développements des marchés de dérivés de marchandises ou encore de l’innovation technologique, les conduit à coopérer avec des autorités œuvrant dans des domaines mitoyens des marchés financiers telles que France Agri, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) ou encore l’Agence nationale de la sécurité et des systèmes d’information (ANSSI).

La coopération est donc éminemment évolutive. Alors que le CSF, comme l’OICV, se préoccupe à nouveau d’éviter qu’une fragmentation excessive des cadres réglementaires[6] ne porte préjudice à la conduite efficiente des activités de manière transfrontière, les autorités de marché telles que l’AMF demeurent attachées au développement de mécanismes de coopération permettant d’assurer la convergence et la non-duplication des règles, dans le cadre d’un juste équilibre reposant sur la confiance mutuelle entre autorités.

 

Texte mis à jour le 30 décembre 2019.

 

[1]  Organisation internationale des commissions de valeurs.

 

[2]  Accord signé avec la Commission des Opérations de Bourse (COB), dont l’AMF a repris les droits et obligations.

 

[3]  Son exemple a été suivi par l’organisme international réunissant les autorités de supervision du secteur de l’assurance (International Association of Insurance Supervisors – IAIS).

 

[4]  Multilateral Memorandum of Understanding concerning consultation and cooperation and the exchange of information – MMoU.

 

[5]  Voir le rapport de l’OICV, « Cross border regulation », de septembre 2015 : https://www.iosco.org/library/pubdocs/pdf/IOSCOPD507.pdf

 

[6]  Voir les rapports du CSF : https://www.fsb.org/wp-content/uploads/P040619-2.pdf et celui de l’OICV https://www.iosco.org/library/pubdocs/pdf/IOSCOPD629.pdf.

 

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