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Stratégie internationale

Les normes prudentielles sont-elles du protectionnisme ?

Créé le

22.01.2016

-

Mis à jour le

31.03.2016

La difficulté de mise en conformité des banques des pays émergents avec les derniers standards de solvabilité, de liquidité et de gestion opérationnelle restreint leur accès au marché européen.

Dans une décision rendue le 26 janvier 2015, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a prononcé, à l'encontre de Bank of Africa France, un avertissement assorti d'une sanction pécuniaire de 100 000 euros. Les 1er mars 2013 et 2 décembre 2013, la Tunisian Foreign Bank et la Banque Châabi du Maroc se voyaient également épinglées par l’ACPR, respectivement à travers un blâme assorti d’une sanction pécuniaire de 700 000 euros et un blâme assorti d’une sanction pécuniaire de 1 million d’euros.

Filiales françaises de groupes bancaires africains, ces petites structures ont été sanctionnées pour non-conformité réglementaire de :

  • leurs dispositifs de contrôle interne, de lutte antiblanchiment et de lutte contre le financement du terrorisme (LCB/FT) ;
  • leur niveau de fonds propres ;
  • leur organisation comptable.
Déjà déficitaires pour la plupart, ces banques, en pleine stratégie de pénétration sur le marché français, voient la publication du détail des sanctions accentuer l’impact négatif sur leur réputation. Comment expliquer un tel désavantage concurrentiel ?

Les règlements prudentiels en barbelés inextricables

La principale explication de la problématique rencontrée par ces filiales bancaires est leur rattachement à des groupes dont les sièges sociaux sont implantés en dehors des frontières de l’Union européenne, où s’appliquent des règles moins strictes qu’en Europe en matière de régulation bancaire. Il existe donc un gap technique et culturel d’autant plus marqué à franchir lorsque le comité de direction d’une de ces banques décide d’implanter leur établissement sur les marchés européens – stratégie courante visant à demeurer la banque de sa diaspora.

Nul n’est censé ignorer la loi ? Certains répondent qu’à l’impossible nul n’est tenu. Quand la loi se compose de milliers d’articles, de templates et se répercute surtout en impacts techniques organisationnels de grande envergure, chacun y va de sa priorisation et de son interprétation.

Une supervision différente

L’organisation bancaire de l’Afrique et de la régulation des différents marchés est également une des raisons de la non-conformité des banques émergentes en France : par exemple, l’Afrique n’a pas de régulateur central fort comme la BCE et se trouve organisée en zones bancaires indépendantes, avec des régulateurs locaux par zone, voire par pays. Le régulateur local émet des règlements régissant les différentes banques présentes dans les pays constituant sa zone (UEMOA pour l’Afrique de l’ouest [1] – CEMAC pour l’Afrique centrale [2] , etc.). Chaque zone étant indépendante, les régulateurs actualisent les différents règlements bancaires en fonction de la typologie et de la volumétrie des transactions de leur zone, mais surtout en fonction des politiques financières menées par les différents gouvernements des États du périmètre de tutelle. En Afrique, les lois financières et les plans stratégiques des différents États sont plus importants que les règlements bancaires, car ils influencent directement l’activité des banques, alors plus sensibles aux recommandations gouvernementales qu’aux régulateurs locaux. Ces régulateurs deviennent alors moins influents et leur rôle est alors assumé (involontairement ?) par les États.

Des régulateurs moins influents, et donc des banques moins rigoureuses ? C’est en tout cas le constat de la difficile adaptation à un environnement réglementaire autrement plus complexe au sein de l’Union européenne. L’organisation financière de l’Afrique affaiblit les régulateurs locaux et confère plus d’importance aux lois étatiques qu’aux règlements bancaires, ce qui reste préjudiciable aux banques voulant s’exporter sur les marchés mieux organisés avec des autorités puissantes : avec un niveau d’exigence réglementaire trop faible au départ (exigence qui culturellement n’existe pas non plus en interne nous allons le voir ensuite), le gap à combler est d’autant plus important au moment de l’export ; l’exposition à la non-conformité s’accroît logiquement.

Des modèles économiques incompatibles

Au-delà de l’organisation de la supervision, les difficultés d’adaptation aux règles de l’Union européenne s’expliquent également par la structure bilancielle de ces banques. En France, l’évolution et la précision apportée par les règlements bancaires ces dernières années restent fonction de l’orientation des business models développés par les banques et de la crise financière de 2007-2008. Ces business models ont plutôt évolué vers des modèles de banque universelle, avec, en plus des activités traditionnelles de banque de détail, des activités de banque de financement et d’investissement offrant des produits financiers de plus en plus complexes. Ces modèles entraînent logiquement une augmentation exponentielle des transactions entre pays, sur différents marchés internationaux, une multiplication des prises de risque et une forte exposition au risque systémique. Se basant sur ces nouvelles données, nous assistons ces dernières années à un renforcement des dispositifs de supervision, une surveillance accrue des banques en France afin d’éviter de nouvelles crises. Face à cette recherche de performances des banques à travers la diversification et la globalisation des échanges, les règlements bancaires sont fréquemment actualisés, affinés par les organes de contrôles pour une maîtrise du cadre des transactions.

A contrario, le business model des banques africaines est surtout resté traditionnel, avec un PNB basé sur :

  • presque exclusivement des activités de banque de détail ;
  • une petite diversification avec l’avènement du corporate banking ;
  • l’émergence, ces dernières années, du private banking.
Ce qui s’avère logique dans un contexte africain affichant un taux de bancarisation globale autour de 11 %. Cette bancarisation reste la priorité des banques africaines avec le développement du crédit classique et, conséquence logique, l’objectif des organes de contrôle reste la mise en place et l’assimilation totale des règlements régissant les activités de la banque de détail. Dès lors, quels besoins de revoir les règlements ? De ce fait, l’implantation d’une banque africaine sur le marché européen nécessite une mise en conformité spécifique de cette filiale puisque ni le siège, qui définit la stratégie d’implantation ni aucune filiale de ce même groupe n’est conforme aux règlements du marché bancaire français.

Une culture « risque » encore trop faible

Enfin, les fonctions « risque & conformité » régissant cette veille réglementaire n’ont pas encore trouvé leur place dans les organigrammes des banques « émergentes ». Ces fonctions provenant du système occidental se sont renforcées avec la mise en place de Bâle II dès 2005, puis pleinement imposées au lendemain de la crise financière de 2008. Ces fonctions n’ont pas encore pleinement intégré les organigrammes des établissements financiers des banques issues de pays émergents. Leur positionnement, leur fiche de poste et leur importance sont en cours d’identification pour certaines banques, en cours d’appropriation pour d’autres. Se focalisant sur les organigrammes des groupes bancaires africains qui présentent ces fonctions, leur rattachement hiérarchique qui augure de leur poids et de leur importance dans la chaîne de décision ainsi que la description des activités qui les composent restent propre à chaque banque. D’une banque à une autre, ces fonctions n’ont apparemment pas les mêmes objectifs sachant qu’elles sont structurées autour de la même réglementation. L’absence de ces fonctions ou la non-maîtrise de leurs activités a pour conséquence l’exposition à un risque de non-conformité, donc d’amende et de réputation.

Vers un mouvement inverse ?

Si l’arrivée de banques émergentes sur nos marchés occidentaux semble ainsi ardue, le chemin inverse ouvre, lui, une voie bien plus lucrative. La dernière AG de l’actionnariat HSBC, fin avril 2015, a été l’occasion pour son président de mettre ouvertement sur la table la question de l’optimisation de l’implantation géographique de son siège social. Le coût d’une telle opération, pourtant astronomique (entre 1,5 et 2,5 milliards d’euros), serait presque aussitôt compensé par l’allégement fiscal qu’HSBC en tirerait. Pas besoin donc de chercher bien loin l’origine d’une telle réflexion : entre le fardeau fiscal (« Bank Levy » à Londres, par exemple) et l’étranglement prudentiel des années postcrise (normes de solvabilité et de liquidité, lois locales de séparations bancaires, par exemple), crise pourtant initiée par des pratiques bancaires, qui rappelons-le, surfaient sur certaines facilités législatives comme par exemple le coût en capital et en liquidité d’opérations de retitrisations complexes (et encore obscures). Les géants de la banque internationale sont prêts à tout, et même à quitter le navire, maintenant que leur bilan a dégonflé, pour ne pas perdre leur liberté et leur marge de manœuvre.

Une moindre concurrence

Un crime de lèse-majesté qui devrait alerter les autorités : il illustre une forme de protectionnisme qui finit par se retourner contre soi. Et la construction européenne regorge encore d’autres exemples de ce type. S’il ne s’agit pas de remettre en cause les apports des normes prudentielles, reconnaissons toutefois que le perdant de cette histoire est une fois encore le client final. La concentration bancaire lui est imposée : moins de concurrence est synonyme de moins d’innovation produit et de compétitivité prix. Le comble quand, une fois le marasme 2008-2010 à peu près endigué, ces géants bancaires clamaient à qui voulait l’entendre que l’avenir serait de porter à nouveau le client final au centre de leurs attentions…

 

1 Union économique et monétaire ouest-africaine : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo.
2 Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale : Cameroun, République centrafricaine, République du Congo, Gabon, Guinée équatoriale et Tchad.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº793
Notes :
1 Union économique et monétaire ouest-africaine : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo.
2 Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale : Cameroun, République centrafricaine, République du Congo, Gabon, Guinée équatoriale et Tchad.
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