Pour la Commission des sanctions de l’ACPR, la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LCB-FT) est un business porteur. Depuis janvier 2017, 82,89 % des amendes prononcées par la Commission des sanctions de l’ACPR sont liées à ce sujet. À la clef, plus de 105 millions d’euros sur les quelque 127 millions d’euros d’amende infligés sur cette période !
La procédure actuelle pourrait être remise en cause par des décisions européennes (voir encadré). En attendant, les décisions semblent tendanciellement orientées à la hausse. Les années 2017 et 2018 avaient été marquées par la succession de sanctions prises à l’encontre des plus grandes banques. Après une année 2019 plus calme
Le principe du « non bis in idem » inapplicable, sauf…
À plusieurs reprises ces dernières années, les établissements ayant reçu une notification de griefs ont tenté d’en réduire le nombre en arguant que plusieurs griefs reposaient en réalité sur les mêmes faits. Ou que les mêmes faits leur étaient reprochés sous plusieurs qualifications. Pour ce faire, le fondement juridique invoqué est toujours le même : l’application du principe de non bis in idem.
La Commission des sanctions écarte systématiquement ce moyen, car il ne peut trouver à s’appliquer « dans une procédure disciplinaire unique au titre de laquelle les mêmes faits recevraient plusieurs qualifications »
La Commission des sanctions se fonde aussi sur une décision du Conseil constitutionnel selon laquelle « le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature différente en application de corps de règles distincts »
La Commission des sanctions a depuis étoffé cet argument avec un principe désormais consacré, fondé sur la décision du Conseil d’État n° 418463 du 6 novembre 2019 et formulé ainsi : « le principe non bis in idem ne fait pas obstacle à ce que, dans le cadre d'une même poursuite conduisant à une même décision de sanction, plusieurs manquements distincts puissent résulter de mêmes faits »
La brèche récemment ouverte
Une brèche à ce principe consacré semble toutefois s’être ouverte ces derniers mois. En effet, à l’occasion de trois décisions récentes, la Commission des sanctions, tout en écartant le principe du non bis in idem, précise qu’il convient de prendre en compte le fait que plusieurs manquements distincts résultent des mêmes faits
Une grille de sanctions plus prévisible
L'article L. 612-39 du Code monétaire et financier dresse une liste à sévérité croissante de sanctions disciplinaires à la disposition de la Commission des sanctions : avertissement, blâme, interdiction d’effectuer certaines opérations, suspension temporaire ou démission de dirigeants, retrait partiel ou total d’agrément ou radiation de la liste des personnes agréées. De tout cet arsenal, la Commission des sanctions retient nettement le blâme alors que l’avertissement
Le blâme, par son rang dans la hiérarchie des sanctions, fait office d’épée de Damoclès en instaurant une menace de retrait d’agrément en cas de récidive. Sans conséquence directe donc, il ne peut toutefois qu’inciter les établissements sanctionnés à demeurer en conformité. Sauf cas spécifiques, la seule sanction avec une conséquence immédiate sur l’établissement en cause est la sanction pécuniaire, prononcée « soit à la place, soit en sus » des sanctions listées ci-avant.
Le quantum de base des sanctions pécuniaires n’est en pratique que peu détaillé. L’analyse de la jurisprudence de la Commission des sanctions révèle néanmoins une grille de sanctions dont les facteurs d’atténuation et d’aggravation gagnent en prévisibilité au fil des années. Comme le martèle la Commission dans l’ensemble des décisions concernées, ces facteurs sont sans effet sur la qualification des griefs et ne peuvent donc être avancés pour solliciter l’abandon de certains griefs. Ils sont en revanche pris en compte pour déterminer le quantum de la sanction.
L’atout de remédier vite et bien
Pour la première fois en 2014, la Commission des sanctions a estimé au moment de déterminer le quantum de la sanction qu’il convenait de tenir compte du processus de mise à niveau du dispositif LCB-FT dans lequel s’était engagée la société mise en cause
De plus en plus, la Commission des sanctions souligne l’importance des moyens mis en œuvre, qu’ils soient humains ou financiers, et détaille la nature des actions et outils développés grâce à ces moyens
La simple mise en place de telles mesures de remédiation n’est toutefois pas suffisante, la Commission des sanctions étant attentive à son contenu et au délai nécessaire à sa mise en œuvre. Elle relève régulièrement que l’ampleur et l’efficacité de ces mesures demeurent à vérifier, et a pu reprocher leur caractère tardif notamment au regard de l’ancienneté de l’implantation de l’établissement en cause et de l’identification ancienne de certaines carences
Mieux vaut être jeune et petit que gros et ancien
De manière générale, la Commission des sanctions semble relativement plus clémente avec les « FinTech » qu’avec les banques traditionnelles qui évoluent dans ce cadre réglementaire depuis toujours. Elle a par exemple estimé qu’un intermédiaire en financement participatif, au vu de sa « très petite taille » et de sa création récente, pouvait faire valoir des difficultés à déterminer les implications et les modalités de mise en œuvre du cadre réglementaire LCB-FT lui étant applicable
Elle a également souligné la croissance rapide d’un établissement de monnaie électronique luxembourgeois et le développement de produits innovants qui pouvaient rendre difficile l’identification certaine des obligations LCB-FT applicables et leurs implications pratiques
À l’inverse, les décisions récentes ont mis en lumière un facteur d’aggravation pour les établissements dont l’importance et l’implantation ancienne rendaient plus difficilement excusable l’ignorance des risques et obligations existants en matière de LCB-FT
L’environnement et les conséquences du Covid
La Commission des sanctions a récemment accepté des facteurs d’atténuation jusqu’ici inédits, à savoir la situation concurrentielle du marché dans lequel évolue l’établissement en cause ainsi que les conséquences de la crise sanitaire. Elle a notamment tenu compte du fait qu’un établissement était en concurrence avec des acteurs exemptés qui n’avaient pas à supporter les coûts de mise en conformité en matière LCB-FT
Les critères de détermination de la sanction dégagés par sa jurisprudence récente montrent donc que la Commission des sanctions ne se borne pas à une analyse « in abstracto » mais qu’elle s’efforce de plus en plus à contextualiser les manquements.
Les fonds propres, indicateur privilégié
D’après les textes, la sanction pécuniaire ne peut représenter plus de 10 % du chiffre d’affaires annuel net et ne peut dépasser 100 millions d’euros. Le chiffre d’affaires n’est toutefois pas forcément le critère retenu. La Commission des sanctions a ainsi développé une pratique prétorienne du quantum de l’amende qui consiste à se référer à un ensemble d’éléments financiers appréciés de manière casuistique, raison pour laquelle elle exige préalablement à l’audience tous les éléments utiles relatifs à l’évolution de la situation financière de l’établissement en cause. Elle refuse de cristalliser une quelconque règle à cet égard, ce qui lui permet d’user d’une plus grande marge de manœuvre et éventuellement de mettre en avant les chiffres les plus significatifs.
Dès 2013 par exemple, la Commission des sanctions refusait de se fonder exclusivement sur le résultat net (en l’espèce de 25 000 euros uniquement), semblant estimer que le niveau de fonds propres (égal à 40,5 millions d’euros) était plus révélateur de l’assise financière
La durée de la honte limitée à cinq ans
Dans de rares cas, la Commission a publié des décisions sous forme anonyme : en juillet 2018, à la suite d’une fusion-absorption, en vertu du principe de responsabilité personnelle et de personnalité des peines qui faisait obstacle « à ce qu’une sanction non pécuniaire soit prononcée à l'encontre de la société D pour des manquements commis par la société C avant son absorption »
Réduction de peine de cinq à trois ans dans certains cas
Jusqu’à récemment, la publicité était faite pour une durée indéterminée. Depuis une décision de décembre 2018, la pratique du name and shame est accompagnée d’un droit à l’oubli consistant en l’anonymisation de la décision passé un certain délai. Cette nouveauté est très certainement inspirée des décisions récentes du Conseil d’État. L’une d’entre elles en particulier a considéré au sujet d’une décision rendue par l’Autorité des Marchés Financiers que la sanction complémentaire consistant à rendre la décision publique est excessive si elle ne précise pas la durée de son maintien en ligne puisqu’elle doit alors « être regardée comme ayant infligé une sanction sans borne temporelle »
Mis à part deux décisions qui ont réduit ce délai à 3 ans sans autre explication apparente que le faible montant de l’amende associée (inférieur ou égal à 150 000 euros)