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Empreinte carbone dans la finance : le défi du scope 3

Créé le

15.03.2022

Jusqu’à 90 % de l’empreinte carbone d’un établissement financier relève des émissions liées à ses fournisseurs et, surtout, à ses investissements. Pour prendre les bonnes décisions, il est indispensable d’en tenir compte. Ces pistes à explorer.

La pandémie a entraîné une accélération du changement de comportement chez les Français, qui se montrent de plus en plus concernés par l’impact environnemental et social de leurs placements. En parallèle, une grande partie du secteur financier doit rendre des comptes sur la façon dont ses activités soutiennent la transition écologique au sens de la taxonomie de l’Union européenne, effective depuis le début de cette année. Conséquence : de plus en plus de banques et de sociétés de gestion annoncent ainsi leur désinvestissement des énergies fossiles, une tendance encouragée par la pression des ONG et des clients. La finance est aussi soumise à l’obligation de publier des rapports sur son empreinte carbone.

Mais le calcul exhaustif de cette empreinte peut s’avérer complexe. Certes, les émissions directes de scope 1 peuvent être facilement quantifiées. En revanche, les émissions indirectes de scopes 2 et 3 se révèlent plus difficiles à estimer. En effet, elles ne dépendent pas directement de l’établissement financier, mais de ses fournisseurs et de ses investissements finaux. Bref, il convient ici de prendre en compte l’amont et l’aval. En effet, de par la structure d’attribution des émissions carbone, les gaz à effet de serre produits par les activités d’investissement et de financement des banques font partie intégrante de leur bilan carbone (voir infographie).

Les émissions de scope 3 sont loin d’être anodines. Elles représentent même la majeure partie des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur financier, parfois bien au-delà de 90%. Ainsi, selon l'ONG Carbon Disclosure Project, les institutions financières produisent 700 fois plus d'émissions de CO2 par le biais des entreprises présentes dans leurs portefeuilles d'investissement et de financement, que par leur scope 1 et 2. De ce fait, la finance est un secteur clé pour la décarbonation de l’économie non seulement nationale, mais également européenne et internationale. En effet, la décarbonation d’une institution financière déclenche des réductions dans le reste de l’économie, par un effet d'entraînement.

Un préalable à la prise de décisions efficaces

Pourquoi mesurer les émissions de scope 3 dans le secteur financier ? La première raison semble évidente : dans le cadre d’un objectif de neutralité carbone, il ne s’agit pas seulement d’installer des luminaires basse consommation dans les bureaux ou de s’équiper d’une informatique dernier cri moins énergivore. La consommation d’énergie ne représente d’ailleurs que 0,1 % des émissions du secteur financier. Elle reste marginale par rapport aux émissions provenant des investissements et des financements.

Au contraire, évaluer ses émissions en scope 3 permet d’avoir une compréhension holistique de l’impact environnemental de l’organisation, incluant ses activités en amont et en aval. Cette connaissance permet d’établir un rapport complet, détaillé et standardisé de son impact environnemental, ce qui devient un prérequis pour tout établissement financier dans un contexte de plus en plus favorable à l’action écologique. En outre, c’est un travail préliminaire indispensable à la bonne réalisation des initiatives de décarbonation et de réduction des émissions. Car les erreurs d’évalutaion en la matière peuvent se payer cher (voir encadré).

C’est aussi un point de départ pour mesurer les améliorations réalisées d’une année sur l’autre. Pour ce faire, il faut être en mesure de collecter et d’analyser des données, puis de les transformer en informations actionnables. Cela demande cependant une expertise spécifique et des outils de comptabilité carbone extrêmement rigoureux. Une banque française avait ainsi annoncé, il y a quelques années, une empreinte de 138 millions de tonnes de gaz à effet de serre. Elle fut revue à 700 millions de tonnes après un recomptage par des ONG.

Anticiper l’évolution de la réglementation

En outre, il y a fort à parier que, dans un avenir proche, le calcul du scope 3, aujourd’hui volontaire et non imposé par la réglementation, devienne obligatoire. Anticiper cette évolution permet à l’établissement d’être parfaitement en ordre de marche. Il n’aura besoin que de quelques ajustements pour être en conformité le moment venu. De nombreuses entreprises financières nous contactent déjà afin de préparer leurs rapports relatifs à la taxonomie européenne, au règlement CSRD ou à d’autres textes législatifs en préparation. C’est bien parce qu’il est chronophage de récupérer des données externes à la compagnie que les organisations anticipent d’ores et déjà ces futures obligations.

Enfin, sur le long terme, la réduction des émissions permettra de réduire les coûts et d’améliorer la performance financière des investissements et, en conséquence, celle de l’établissement financier. Cela permettra aussi de renforcer la performance de l’analyse ESG et d’améliorer la réputation institutionnelle de l’organisation ainsi que sa marque employeur, permettant d’attirer de nouveaux clients et les meilleurs talents.

Un parcours semé d’embûches

Pour entamer cette démarche, il convient en premier lieu de réaliser un inventaire exhaustif des émissions directes de l’organisation, indirectes des fournisseurs et des investissements. Des initiatives de comptabilisation carbone sont souvent déjà en place, mais elles sont au mieux partielles, voire empiriques. Mieux vaut tout remettre à plat !

La classification dans les différents scopes 1, 2 et 3 permet d’analyser le carbone des compagnies de manière uniforme et conforme au protocole international GHG (Greenhouse Gas Protocol), synonyme de cadre harmonisé au niveau mondial. Cela permettra de mettre en place des actions de réduction des émissions ciblées tout au long de la chaîne de valeur.

Les trois défis à affronter

Dans cette optique, les établissements doivent faire face à trois défis.  

Premier défi : la collecte des données

Contrairement aux scopes 1 et 2, les données relatives au scope 3 sont très rarement disponibles à l'intérieur des systèmes de la compagnie. Ces données doivent donc être récupérées soit directement auprès des sociétés (investies, financées ou fournisseurs), soit en distribuant des questionnaires aux employés ou aux organisations extérieures concernées. Il est parfois possible d’utiliser la « spend-based » méthode, une technique de calcul des émissions basées sur les dépenses d’une compagnie plutôt que sur ses données d’activité. Bien que retenue par le protocole GHG comme une méthode valide, elle n’en perd pas moins en précision.

Deuxième défi : la centralisation des résultats et les mises à jour

S’il est compliqué de récupérer les données nécessaires au calcul des émissions appartenant au scope 3, il est encore plus difficile de suivre ses données sur plusieurs années de façon cohérente. Il est donc nécessaire de mettre immédiatement en place un système unifié de collecte de données capable de prendre en compte les évolutions – parfois rapides – des émissions indirectes. Ce système doit en outre être suffisamment flexible pour accepter et traiter des données provenant de différents systèmes, zones géographiques et activités.

Aujourd’hui, beaucoup de compagnies nous contactent afin de raccorder leurs données non financières à leur système de traitement de données global afin de permettre à leurs business units d’intégrer ces informations sous un seul et même toit. Cela permet de régler cet énorme défi qu’est l’unification des données.

Troisième défi : la diversité du scope 3

Derrière ce troisième scope se cache une réalité complexe : il inclut non seulement les émissions relatives aux chaînes de valeur amont et aval des activités, mais aussi toutes les activités impliquant un fournisseur, du trajet domicile-travail des employés à la location d’équipement… Vous l’aurez compris, la complexité de ce scope recèle plusieurs défis et requiert plusieurs tactiques de calcul à partir de sets de données extrêmement variés. Afin de couvrir toutes ces catégories d'émission, une institution financière doit se doter d’outils capables de concaténer ces données, de les convertir en CO2-équivalent à l’aide de facteurs d’émission cohérents, et finalement de présenter ces résultats de façon unifiée.

Le secteur financier ne peut plus ignorer le calcul des émissions de scope 3 dans sa démarche ESG globale. Le défi est immense. Il s’agit alors de choisir le bon outil pour accompagner cette comptabilisation. Il devra être capable d’évaluer précisément cette partie de l’empreinte carbone, mais aussi aider à la réduction en proposant automatiquement des solutions grâce à une intelligence artificielle embarquée et être conforme aux plus hauts standards internationaux afin de pouvoir éditer des rapports précis et normalisés. Fini le greenwashing, place à l’action !

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº867