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EDF : des obligations vertes aux obligations sociales

Créé le

21.03.2022

L’impact vu par un émetteur. Ou comment EDF, après s’être lancé dans les émissions vertes, est passé aux obligations sociales. Avec en filigrane, la délicate question de l’efficacité des outils mis en place pour la transition énergétique. Logique d’engagement ou d’efficacité ?

Établi en 2015, le plan stratégique d’EDF dénommée Cap 2030 a mis en exergue l’ambition de faire d’EDF le leader des énergies bas-carbone. Gravée dans les statuts en 2020, notre raison d’être en témoigne : « Construire un avenir énergétique neutre en CO, conciliant préservation de la planète, bien-être et développement grâce à l’électricité et à des solutions et services innovants. »

Peu avant, déjà, notre groupe s’était distingué. En lançant en 2013, la première émission verte jamais réalisée par une entreprise, EDF avait atteint deux objectifs :

– d’une part, répondre à la demande des investisseurs désireux de participer au financement des énergies renouvelables mais en restant en dehors du nucléaire. L’occasion pour le groupe d’élargir son bassin d’investisseurs ;

– d'autre part, l’émission régulière d’obligations vertes permettait de mettre en valeur nos investissements importants réalisés dans les énergies renouvelables. Ces activités avaient été visibles jusque-là au sein d’EDF Energies Nouvelles, mais l’étaient moins depuis son retrait de la cote parisienne à l’été 2011.

Depuis l’émission inaugurale de 2013, pas moins de 8,75 milliards d’équivalents euros ont été émis par EDF en six émissions. Parmi les opérations réalisées, deux innovations. D’une part, en 2017, une émission libellée en yen. D’autre part, en 2020, une émission convertible en actions. Parallèlement, en moins de dix ans, le marché des obligations vertes a connu un développement extraordinaire. Tous les secteurs économiques s’y sont essayés, avec plus ou moins de bonheur, rejoints par les administrations publiques, principalement les États.

L'insuffisance actuelle du greenium

Dans ce domaine, l’émission la plus remarquable est celle de la République Fédérale d’Allemagne. Le même jour, elle a émis deux obligations identiques en tout, si ce n’est que l’une des deux est verte ! Cela a permis de mettre en évidence la valeur de la prime à l’obligation verte. Ce greenium (green premium) permet de mesurer la préférence des investisseurs pour les obligations vertes, reflet de l’équilibre offre-demande. C’est sur cet équilibre qu’a d’ailleurs décidé de peser le législateur européen lorsqu’il a lancé début 2018 le paquet européen Finance durable constitué de plusieurs législations affectant entreprises et investisseurs et suite logique des accords de Paris de 2015 et des travaux préliminaires du HLEG (High Level Expert Group) lancé en décembre 2016. En créant pour les obligations vertes un standard européen exigeant, il vise à donner des gages de qualité, mais aussi à créer un effet de rareté. Dans le même temps, en incitant au travers du renforcement de leurs obligations de transparence investisseurs et gérants d’actifs à se porter acquéreur de telles obligations, il vise à créer un rapport offre/demande favorable à l’élargissement de ce différentiel. Autrement dit, à réduire les frais financiers de l’émetteur !

Problème, aujourd’hui, le greenium n’est pas suffisant pour envoyer un signal-prix massif en faveur du financement par obligations vertes. Surtout pour des entreprises de taille moyenne, compte tenu des exigences du reporting. Pourquoi alors continuer ? Tout simplement car on remarque que la qualité des books d’ordres est bien meilleure. Cela conduit, quand les marchés sont au beau fixe à un niveau élevé de sursouscription permettant un resserrement des conditions jusqu’à annihiler la prime d’émission, et quand les marchés sont au contraire tumultueux, à faciliter l’exécution de la transaction. Le 9 mars dernier, on a ainsi assisté au succès du placement de l’émission verte de l’énergéticien espagnol Iberdrola tandis que son concurrent allemand EnBW était conduit à annuler son émission classique au terme de la même journée ! Alors, l’obligation verte, instrument financier par excellence de la transition verte ? Pas tout à fait !

Le coût du risque de réputation

D’une part, parce que la transition nécessite aussi des investissements dans des secteurs aujourd’hui fortement émissifs de GES [1] , et de ce fait non éligibles à l’émission d’obligations vertes. C’est pour eux qu’ont été inventés les « Sustainability-linked bonds (SLB) ». Elles mettent en avant non pas les actifs verts financés aujourd’hui, mais des objectifs de réduction d’émission de GES dans le futur. Objectifs dont la non-atteinte se traduirait par des pénalités financières. Là aussi, celles-ci sont toutefois trop faibles pour donner un signal-prix suffisant ! La principale incitation reste finalement le risque de réputation. Mais c’est aussi le souci de la réputation, éviter de se voir reprocher de pratiquer le greenwashing, qui pousse les émetteurs à ne pas se contenter du moindre effort, mais au contraire à annoncer des objectifs ambitieux, quitte à les reculer dans le temps.

Qui dit transition, évoque aussi le processus schumpetérien qui verra les disparaître les actifs de production et de distribution liés aux énergies fossiles. Le mouvement tectonique promet d’être considérable et pose d’emblée la problématique cruciale du redéploiement de l’emploi depuis les secteurs exposés au lent effondrement des énergies fossiles vers les nouveaux moyens de consommation et de production. Pour s’en rendre compte, il est bon de se rappeler qu’une automobile électrique exige pour sa fabrication beaucoup moins d’heures de travail qu’un véhicule à moteur thermique ! Comment organiser la reconversion ? De plus, on n’échappera pas à un renchérissement du coût de l’énergie. Macroéconomiquement, il pourra seulement être amorti par la sobriété et la productivité. Mais au niveau micro-économique, il posera des difficultés aux entreprises et ménages aux situations les plus précaires.

Le revers social de la médaille verte

Tout ceci démontre que la transition a des implications sociales fortes qu’il faut par conséquent anticiper pour espérer entrainer la nécessaire adhésion des citoyens. Cet accompagnement nécessite des financements nouveaux : c’est le champ d’action des obligations sociales qui visent à démontrer des impacts sociaux positifs au bénéfice de populations ciblées. La première émission de ce type chez EDF en 2021 a par exemple été utilisée pour des investissements dans le réseau électrique que le développement des sources de production renouvelable et des infrastructures de recharge pour véhicules électriques rend nécessaire de renforcer. Une partie importante de ces travaux sont réalisés localement par des PME dont le développement concourt à la vitalité économique des territoires où elles sont implantées.

On le voit sur ces exemples, loin de s’opposer, obligations vertes et obligations sociales peuvent toutes deux concourir au financement de la transition écologique. Mais au-delà du risque d’image, les émetteurs ne s’y retrouvent pas encore ! Peut-on donc espérer que les incitations financières puissent accélérer les investissements en faveur de la transition vers une économie bas-carbone ? Dans le cas des obligations dont le produit d’émission est fléché (verte ou sociale), l’élargissement de la prime dépendra de leur rareté au regard des incitations, selon leur traitement fiscal ou prudentiel, ou de la contrainte que le législateur exercera côté demande sur les investisseurs alors que l’offre restera limitée par la quantité de projets. On devrait en revanche voir se multiplier les SLB. Cette potentielle abondance ne devrait donc pas permettre l’apparition de primes et l’atténuation de l’ambition des objectifs restera toujours le moyen privilégié pour éviter un possible surcoût plutôt que de prévoir une modulation à la baisse du coupon en cas d’atteinte, option qui n’a pas la faveur des investisseurs même parmi ceux les plus convaincus par l’ESG…

 

1 GES : gaz à effet de serre. Principalement le dioxyde de carbone (CO), mais aussi le méthane (CH), 25 fois plus néfaste que le CO2, le protoxyde d’azote (N0), 300 fois plus sans compter les divers fluorures des milliers de fois. L’eau (HO) contribue à l’effet de serre mais avec une si faible persistance dans l’atmosphère qu’elle n’est en revanche pas significative.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº867
Notes :
1 GES : gaz à effet de serre. Principalement le dioxyde de carbone (CO), mais aussi le méthane (CH), 25 fois plus néfaste que le CO2, le protoxyde d’azote (N0), 300 fois plus sans compter les divers fluorures des milliers de fois. L’eau (HO) contribue à l’effet de serre mais avec une si faible persistance dans l’atmosphère qu’elle n’est en revanche pas significative.