Droit souple et contrôle de légalité

Saisie de trois questions pr&eacute;judicielles en interpr&eacute;tation et en appr&eacute;ciation de validit&eacute; par le Conseil d&rsquo;&Eacute;tat &agrave; l&rsquo;occasion d&rsquo;un recours en exc&egrave;s de pouvoir form&eacute; par la F&eacute;d&eacute;ration bancaire fran&ccedil;aise (FBF, actionnaire principal de Revue Banque) contre un avis de l&rsquo;Autorit&eacute; de contr&ocirc;le prudentiel et de r&eacute;solution (ACPR), par lequel le superviseur a d&eacute;clar&eacute; se conformer aux orientations de l&rsquo;Autorit&eacute; bancaire europ&eacute;enne (EBA) sur la gouvernance interne et pr&eacute;cis&eacute; que ces orientations &eacute;taient applicables aux &eacute;tablissements financiers soumis &agrave; son contr&ocirc;le, la Cour confirme la validit&eacute; des orientations litigieuses au regard du droit de l&rsquo;Union, tout en indiquant les voies de droit ouvertes contre de tels actes de droit souple [1] . I. Les orientations de l&rsquo;EBA ne peuvent pas faire l&rsquo;objet d&rsquo;un recours en annulation La Cour rappelle que le recours en annulation pr&eacute;vu &agrave; l&rsquo;article 263 TFUE est ouvert &agrave; l&rsquo;&eacute;gard des actes des institutions, des organes et des organismes de l&rsquo;Union qui visent &agrave; produire des effets juridiques obligatoires, quelle qu&rsquo;en soit la forme. Un tel recours ne saurait donc &ecirc;tre dirig&eacute; contre un acte de l&rsquo;Union d&eacute;pourvu d&rsquo;effets de droit obligatoires. Pour savoir si un acte de l&rsquo;Union produit de tels effets, le juge analyse le contenu de l&rsquo;acte &agrave; la lumi&egrave;re du contexte dans lequel s&rsquo;inscrit son adoption et des pouvoirs de son auteur. Appliquant cette m&eacute;thode aux orientations litigieuses, la Cour examine successivement leur contenu et le contexte de leur adoption, ainsi que les pouvoirs de l&rsquo;ABE. S&rsquo;agissant du contenu, la Cour rel&egrave;ve que le point 2 des orientations indique que celles-ci se bornent &agrave; donner &laquo; l&rsquo;avis de l&rsquo;EBA sur les pratiques de surveillance appropri&eacute;es au sein du [SESF] [2] ou sur les modalit&eacute;s d&rsquo;application du droit de l&rsquo;Union dans un domaine particulier &raquo;. La Cour observe, plus g&eacute;n&eacute;ralement, que les orientations litigieuses sont formul&eacute;es en termes non imp&eacute;ratifs et pr&eacute;cisent que leurs destinataires, que sont les autorit&eacute;s comp&eacute;tentes au sens de l&rsquo;article 16, &sect; 3, du r&egrave;glement n&deg; 1093/2010 du 24 novembre 2010 instituant l&rsquo;EBA, doivent indiquer &agrave; cette derni&egrave;re si elles respectent ou entendent respecter ces orientations ou, &agrave; d&eacute;faut, indiquer les raisons du non-respect de celles-ci. L'importance du contexte Concernant le contexte dans lequel les orientations litigieuses s&rsquo;inscrivent et les pouvoirs de leur auteur, la Cour constate que les orientations &eacute;mises par l&rsquo;EBA sont soumises, en application du r&egrave;glement n&deg; 1093/2010, au m&ecirc;me r&eacute;gime juridique que les &laquo; recommandations &raquo; formul&eacute;es par l&rsquo;autorit&eacute; europ&eacute;enne de surveillance, lesquelles ne lient pas leurs destinataires, conform&eacute;ment &agrave; l&rsquo;article 288 TFUE, et sont, par cons&eacute;quent, d&eacute;pourvues de force obligatoire. La Cour souligne &eacute;galement que l&rsquo;EBA ne peut imposer aux autorit&eacute;s comp&eacute;tentes de se conformer aux orientations qu&rsquo;elle &eacute;met, puisque l&rsquo;article 16, &sect; 3, du r&egrave;glement n&deg; 1093/2010 pr&eacute;voit express&eacute;ment que ces autorit&eacute;s peuvent s&rsquo;en &eacute;carter et que les &eacute;tablissements financiers sont seulement tenus de rendre compte, de mani&egrave;re pr&eacute;cise et d&eacute;taill&eacute;e, du respect ou non de ces orientations. Au terme de cette analyse, la Cour parvient &agrave; la conclusion que les orientations litigieuses sont d&eacute;pourvues d&rsquo;effets juridiques obligatoires et ne sont pas susceptibles, par cons&eacute;quent, de faire l&rsquo;objet d&rsquo;un recours en annulation. Le Conseil d&rsquo;&Eacute;tat fait pr&eacute;valoir le r&eacute;alisme sur le formalisme Le raisonnement, d&rsquo;un grand classicisme, suivi par la Cour de justice pour fermer la voie du recours en annulation contre les orientations &eacute;mises par l&rsquo;EBA peut surprendre. La r&eacute;ponse donn&eacute;e par la Cour &agrave; la question pr&eacute;judicielle pos&eacute;e par le Conseil d&rsquo;&Eacute;tat aboutit &agrave; une forme de dissym&eacute;trie entre le contr&ocirc;le juridictionnel des actes de droit souple en droit national et en droit de l&rsquo;Union. En effet, le Conseil d&rsquo;&Eacute;tat a fait le choix d&rsquo;&eacute;tendre la recevabilit&eacute; du recours pour exc&egrave;s de pouvoir &agrave; des actes administratifs non d&eacute;cisoires, c&rsquo;est-&agrave;-dire &agrave; des actes pris par des autorit&eacute;s administratives qui n&rsquo;ont pas un caract&egrave;re imp&eacute;ratif et ne modifient pas l&rsquo;ordonnancement juridique [3] . Le Conseil d&rsquo;&Eacute;tat a fait pr&eacute;valoir le r&eacute;alisme sur le formalisme, en tenant compte des cons&eacute;quences que les actes de droit souple sont susceptibles de produire, dans les faits, sur la situation des op&eacute;rateurs &eacute;conomiques, et non de leurs seuls effets juridiques. Dans ses conclusions, l&rsquo;avocat g&eacute;n&eacute;ral avait appel&eacute; la Cour de justice &agrave; d&eacute;passer la d&eacute;finition traditionnelle de l&rsquo;acte produisant des effets de droit obligatoires au sens de l&rsquo;article 263 TFUE, insistant moins sur le contenu de l&rsquo;acte et les pouvoirs de son auteur que sur le point de savoir si cet acte est per&ccedil;u comme incitant, voire imposant &agrave; son destinataire de s&rsquo;y conformer. Une telle approche aurait pu conduire la Cour &agrave; consid&eacute;rer que les v&eacute;ritables destinataires des orientations litigieuses, &agrave; savoir les &eacute;tablissements financiers, sont fortement tenus de s&rsquo;y conformer, et m&ecirc;me oblig&eacute;s de le faire lorsque les autorit&eacute;s comp&eacute;tentes mettent en œuvre ces orientations en acceptant de les respecter. Il aurait &eacute;t&eacute; possible, d&egrave;s lors, de consid&eacute;rer que les orientations &eacute;mises par l&rsquo;EBA ne sont pas v&eacute;ritablement des mesures non contraignantes insusceptibles de faire l&rsquo;objet d&rsquo;un recours en annulation devant le juge de l&rsquo;Union. II. Les orientations de l&rsquo;EBA peuvent faire l&rsquo;objet d&rsquo;un renvoi pr&eacute;judiciel en appr&eacute;ciation de validit&eacute; Le choix fait par la Cour de ne pas &eacute;tendre la recevabilit&eacute; du recours en annulation &agrave; certains actes de droit souple, malgr&eacute; les invitations it&eacute;ratives de son avocat g&eacute;n&eacute;ral, peut s&rsquo;expliquer par la r&eacute;ponse donn&eacute;e &agrave; la deuxi&egrave;me question pr&eacute;judicielle pos&eacute;e par le Conseil d&rsquo;&Eacute;tat. En effet, la Cour se d&eacute;clare comp&eacute;tente pour appr&eacute;cier la validit&eacute; des orientations litigieuses sur le fondement de l&rsquo;article 267 TFUE. La Cour rappelle que l&rsquo;article 19, &sect; 3, sous b) du TUE et l&rsquo;article 267 alin&eacute;a 1er, sous b), TFUE, lui donnent comp&eacute;tence pour statuer, &agrave; titre pr&eacute;judiciel, sur l&rsquo;interpr&eacute;tation du droit de l&rsquo;Union et sur la validit&eacute; des actes adopt&eacute;s par les institutions, organes et organismes de l&rsquo;Union, sans exception aucune. Sur le fondement de l&rsquo;article 267 TFUE, la Cour peut donc se prononcer sur la validit&eacute;, au regard du droit de l&rsquo;Union, d&rsquo;actes de l&rsquo;Union d&eacute;pourvus d&rsquo;effets obligatoires, lorsqu&rsquo;elle est saisie par une juridiction d&rsquo;un &Eacute;tat membre dans le cadre d&rsquo;un renvoi pr&eacute;judiciel. La Cour a d&rsquo;ailleurs reconnu sa comp&eacute;tence pour statuer, &agrave; titre pr&eacute;judiciel, sur la validit&eacute; d&rsquo;une recommandation de l&rsquo;EBA [4] . Elle ajoute que l&rsquo;article 267 TFUE n&rsquo;impose pas que la recevabilit&eacute;, devant une juridiction nationale, d&rsquo;une exception d&rsquo;invalidit&eacute; dirig&eacute;e contre un acte de l&rsquo;Union soit subordonn&eacute;e &agrave; la condition que cet acte concerne directement et individuellement le justiciable qui se pr&eacute;vaut de cette exception. La Cour refuse ainsi de transposer au renvoi pr&eacute;judiciel en appr&eacute;ciation de validit&eacute; de l&rsquo;article 267 TFUE les conditions de recevabilit&eacute; du recours en annulation pr&eacute;vu &agrave; l&rsquo;article 263 TFUE. Cette dissociation du contr&ocirc;le par voie d&rsquo;action et du contr&ocirc;le par voie d&rsquo;exception, qui permet &agrave; la Cour d&rsquo;examiner, &agrave; titre pr&eacute;judiciel, la validit&eacute; d&rsquo;un acte de droit souple alors m&ecirc;me que, par sa nature, cet acte ne peut faire l&rsquo;objet d&rsquo;un recours en annulation, traduit l&rsquo;existence d&rsquo;un syst&egrave;me complet de voies de recours en droit de l&rsquo;Union. Les voies de droit destin&eacute;es &agrave; assurer le contr&ocirc;le de l&eacute;galit&eacute; des actes de l&rsquo;Union doivent &ecirc;tre compl&eacute;mentaires, ce qui explique que l&rsquo;acc&egrave;s limit&eacute; au pr&eacute;toire du juge en mati&egrave;re de recours en annulation soit compl&eacute;t&eacute; par un acc&egrave;s plus large en mati&egrave;re de renvoi pr&eacute;judiciel en appr&eacute;ciation de validit&eacute;. La Cour accepte donc d&rsquo;appr&eacute;cier, &agrave; titre pr&eacute;judiciel, la validit&eacute; des orientations litigieuses au regard du r&egrave;glement n&deg; 1093/2010, en soulignant que son contr&ocirc;le juridictionnel ne saurait &ecirc;tre influenc&eacute; par la nature non contraignante des actes de droit souple. Elle observe que l&rsquo;&eacute;mission d&rsquo;orientations par l&rsquo;EBA &laquo; vise &agrave; exercer sur les autorit&eacute;s comp&eacute;tentes et sur les &eacute;tablissements financiers, un pouvoir d&rsquo;incitation et de persuasion, ceux-ci devant tout mettre en œuvre pour respecter ces orientations &raquo;. Elle ajoute que ces orientations peuvent conduire les autorit&eacute;s comp&eacute;tentes &agrave; adopter, &agrave; l&rsquo;instar de l&rsquo;ACPR, des actes de droit national incitant les &eacute;tablissements financiers &agrave; modifier de mani&egrave;re significative leurs pratiques ou &agrave; prendre en compte leur respect lors de l&rsquo;examen de la situation individuelle de ces &eacute;tablissements. Le pouvoir des juges nationaux En outre, la Cour rel&egrave;ve que les juges nationaux peuvent prendre en consid&eacute;ration les orientations de l&rsquo;EBA afin de r&eacute;soudre les litiges qui leur sont soumis, notamment lorsque ces actes de droit souple ont pour objet de compl&eacute;ter les dispositions du droit de l&rsquo;Union ayant un caract&egrave;re contraignant. Enfin, la Cour consid&egrave;re que la possibilit&eacute; pour l&rsquo;EBA d&rsquo;&eacute;mettre de telles observations en s&rsquo;affranchissant du cadre &eacute;tabli par le l&eacute;gislateur de l&rsquo;Union serait de nature &agrave; porter atteinte &agrave; la r&eacute;partition des comp&eacute;tences entre les institutions, les organes et les organismes de l&rsquo;Union. Pour toutes ces raisons, la Cour insiste sur l&rsquo;importance du contr&ocirc;le du respect par l&rsquo;EBA de la comp&eacute;tence qui lui a &eacute;t&eacute; accord&eacute;e par le l&eacute;gislateur de l&rsquo;Union pour &eacute;mettre des orientations. Elle v&eacute;rifie, en premier lieu, que les orientations litigieuses s&rsquo;inscrivent bien dans le champ d&rsquo;action de l&rsquo;EBA que l&rsquo;article 1er, &sect; 2 et 3, du r&egrave;glement n&deg; 1093/2010 d&eacute;finit par r&eacute;f&eacute;rence &agrave; l&rsquo;application de certains actes de l&rsquo;Union. Pour m&eacute;moire, l&rsquo;article 1er &sect; 2 du r&egrave;glement n&deg; 1093/2010 pr&eacute;voit que l&rsquo;EBA agit selon les pouvoirs que le r&egrave;glement lui conf&egrave;re et dans le champ d&rsquo;application de plusieurs actes l&eacute;gislatifs qui y sont &eacute;num&eacute;r&eacute;s, ainsi que de tout autre acte juridiquement contraignant de l&rsquo;Union lui conf&eacute;rant des t&acirc;ches. L&rsquo;article 1er, &sect; 3, du r&egrave;glement n&deg; 1093/2010 &eacute;nonce que l&rsquo;EBA agit en outre dans le domaine d&rsquo;activit&eacute; des diff&eacute;rents &eacute;tablissements financiers vis&eacute;s par cette disposition &laquo; pour les questions qui ne sont pas couvertes directement par les actes vis&eacute;s au paragraphe 2, [&hellip;] pour autant que cette action de l&rsquo;[EBA] soit n&eacute;cessaire pour veiller &agrave; l&rsquo;application coh&eacute;rente et efficace desdits actes &raquo;. Or, la Cour juge que toutes les directives mentionn&eacute;es au point 6 des orientations litigieuses doivent &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute;es comme constituant des actes vis&eacute;s &agrave; l&rsquo;article 1er, &sect; 2, du r&egrave;glement n&deg; 1093/2010. Elle d&eacute;clare &eacute;galement que les orientations &eacute;mises par l&rsquo;EBA peuvent &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute;es comme n&eacute;cessaires pour assurer l&rsquo;application coh&eacute;rente et efficace de ces directives et, par cons&eacute;quent, comme s&rsquo;inscrivant dans le champ d&rsquo;action de l&rsquo;EBA, tel que d&eacute;fini, de mani&egrave;re g&eacute;n&eacute;rale, par l&rsquo;article 1er, &sect; 2 et 3, du r&egrave;glement n&deg; 1093/2010. L'EBA n'a pas outrepass&eacute; sa comp&eacute;tence En particulier, la Cour estime qu&rsquo;en d&eacute;finissant de quelle mani&egrave;re les &eacute;tablissements concern&eacute;s devraient inclure des modalit&eacute;s de gouvernance et de surveillance des produits dans leurs structures et leurs proc&eacute;dures internes, ces orientations doivent &ecirc;tre regard&eacute;es comme &eacute;tablissant des principes destin&eacute;s &agrave; garantir des processus efficaces de d&eacute;tection, de gestion et de suivi des risques, ainsi que des m&eacute;canismes ad&eacute;quats de contr&ocirc;le interne au sens de l&rsquo;article 74, &sect; 1, de la directive 2013/36 du 26 juin 2013 concernant l&rsquo;acc&egrave;s &agrave; l&rsquo;activit&eacute; des &eacute;tablissements de cr&eacute;dit et la surveillance prudentielle des &eacute;tablissements de cr&eacute;dit et des entreprises d&rsquo;investissement. Enfin, la Cour &eacute;nonce que l&rsquo;EBA n&rsquo;a pas outrepass&eacute; sa comp&eacute;tence en &eacute;mettant des observations qui se rattachent aux t&acirc;ches qui lui ont &eacute;t&eacute; confi&eacute;es par le l&eacute;gislateur de l&rsquo;Union, qu&rsquo;il s&rsquo;agisse de l&rsquo;instauration de pratiques communes en mati&egrave;re de surveillance ou du renforcement de la protection des d&eacute;posants.

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